Le Saint-Bernard

[visite en avril 2011]

Michel Delpech chantait « chez Laurette », nous, nous sommes allés déjeuner chez Lauret, à savoir au restaurant le Saint-Bernard, à la Montagne, au frais.  

Installé dans les locaux de l’ancienne léproserie, l’endroit est connu pour être l’exposition permanente d’une collection invraissemblable et pour autant très esthétique de rhums arrangés divers et variés. Nous sommes accueillis par le patron en personne, ci-devant le sieur Lauret, qui nous propose de déguster des punch présentés au milieu de la salle. Nous nous installons à l’intérieur, la varangue extérieure étant un peu limitée en choix de table. On nous emmène la carte, bien faite, avec une présentation sommaire des lieux. Le choix se fait entre 8 entrées variées, basées surtout sur des crudités, 5 plats « poissons » (y compris camarons et langouste) et 5 viandes. Nous décidons d’attaquer par une assiette créole qui propose un assortiment de samoussas, boulettes de morue et boudin, et des rillettes de canard. Nous poursuivrons par un rougail de saucisses et un cari d’anguille. Nous mettons à profit l’attente pour découvrir plus en détail les lieux.
La pièce est recouverte de plaques de calumets tressés. Les meubles en bois et les chaises à l’ancienne donnent un certain cachet, même si les chaises en question peuvent se montrer assez inconfortables pour les gabarits importants. Une odeur de vieux bois (les calumets ?) mélangée à celle des punch et des fruits exposés à l’accueil achèvent de donner une ambiance nostalgique. Tout est très propre. La décoration des tables est sans chichis.

Les entrées débarquent. Les premières victimes sont les boulettes de morues. Rien à dire : elle sont goûteuses, très délicates au palais, et pas une trace d’huile à signaler. Le boudin s’avère correct, bien relevé, mais légèrement « pâteux ». Les samoussas, au thon, sont un peu beaucoup assaisonné au curry, mais ce n’est pas méchant. Mauvais point en revanche pour les rillettes de canard, froides. Et froides depuis longtemps, il semble, car elles n’ont plus aucun goût. Ce n’est pas les carottes râpées et les feuilles de salade autour qui vont arranger les choses. Sentiment mitigé donc, et nous voyons arrivés les plats de résistance d’un œil circonspect.

Voici donc l’anguille et les saucisses, accompagnées de deux rougails (une sauce de citron, une sauce aux oignons) et de lentilles. Mais un mot d’abord sur le riz : c’est fade. Du riz bon marché, mais bien cuit. Les lentilles, quant à elles, font de la natation dans leur bol de jus clair. L’anguille (de rivière, soi-disant), obtient une appréciation fort moyenne. Plusieurs raisons : d’abord, tout cari zanguille qui se respecte devrait être proposé au client en version pimentée ou non. Ceux qui ont le palais délicat ont alors le choix d’opter pour la version sans piment, mais une anguille sans piment, c’est comme Juliette sans Roméo. Nous avons donc dû nous contenter de la version édulcorée, et de plus cuisinée à la « boite de tomate », ce qui donne un arrière-goût inévitablement doucâtre. L’anguille elle-même n’avait plus ce côté un peu gras qui compense le caractère sec de sa chair bien cuite. Pas de la première jeunesse, donc, la bestiole. Ni de la dernière pêche.

 Nous goûtons enfin le rougail saucisse. Comment dire ? Ce n’est pas bon. Mais pas bon du tout. Pour apprécier un tel rougail saucisse, il faut avoir très très faim, en plus de posséder une charité chrétienne méritant la béatification. Saucisses bon marché, sans nul doute. Arrière goût rance. Texture désagréable des chairs moulues à la machine et une sauce à faire passer les tambouilles militaires des temps de guerre pour des préparations de grands chefs. Autant dire tout de suite que le résultat global n’est pas brillant. Surtout quand, après la mousse au chocolat bien compacte et le café à réveiller les morts, on nous présente une addition de 82 euros ! Pour deux personnes. Une addition salée, certainement à cause de l’anguille, mais eut égard à la qualité générale, on pourra légitimement trouver ça plus qu’exagéré.

Cadre très joli, agréable. Température extérieure idéale par grosses chaleurs. Une collection de rhum à voir, pour les amateurs. Et à par ça : rien. Proposer une si médiocre qualité gustative aux clients, sachant en plus que la carte est limitée en choix, c’est inacceptable. Il y a un sacré boulot à faire pour redonner à ce restaurant ses lettres de noblesses, qui, semble-t-il, font partie de l’histoire, à l’image de la léproserie où il se trouve. Car il y a quelques années, c’était bon. Nous espérons, pour le bien de nos palais, et aussi pour celui du tourisme, que cela changera. En attendant, nous avons le regret d’attribuer au Saint-Bernard une malheureuse fourchette en plastique.

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Pour résumer
Accueil : bien • Cadre : bien • Plats : médiocres • Service : bien
Rapport qualité/prix : scandaleux
Notre impression globale : Très médiocre
Fourchette en plastique
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Note août 2013 : Première fourchette en plastique et premier incident diplomatique. Le responsable descend au journal et fait le sitting dans la rédaction avec son fils. Le rédacteur en chef le reçoit et l’écoute patiemment. Pas content le monsieur, qui brandit une lettre officielle de la préfecture qui lui a décerné un prix. La lettre aurait aussi bien pu venir du Pape ou du Président de la République, cela n’aurait fait aucune différence. Quelle est l’expérience du Préfet de la cuisine créole ? Pas supérieure à la nôtre, nous avons la prétention de le croire.