Le Grand Baie

[visite en décembre 2011]

Saint-Paul, un samedi. C’est les vacances. Joyeuse cohue au marché forain du bord de mer, entre les clients habituels ou de passage et les touristes « cramés », les yeux émerveillés, qui découvrent nos produits locaux.

“C’est quoi ça ?” “La pâte piment cabri madame, sa lé bien bon.” “Ah oui ? j’en prendrai un bocal”… Ouh ! Coup de chaud en perspective ! Et c’est vrai qu’il fait chaud, mais raisonnablement, grâce à une brise légère qui nous ramène l’odeur de l’océan, mélangée à celle des épices nombreuses et variées en ce samedi de marché. Pas besoin de plus pour nous ouvrir l’appétit. Quelques encablures plus loin, près du cimetière marin, c’est beaucoup plus calme. Et c’est là qu’est installé « Le Grand Baie » dont la varangue, immense, est ouverte sur la plage. On nous y accueille poliment et nous nous installons au plus près de l’extérieur afin de continuer à profiter au maximum de la brise et du superbe paysage.

Le « Grand Baie » s’affiche comme restaurant à grillades avec spécialités créoles et métropolitaines. La carte des apéritifs est très fournie. Outre les boissons classiques, on y trouve des préparations locales comme le « ti’punch » (rhum citron) et le planteur. La carte est au panneau. Au menu aujourd’hui : civet de canard, poulet rôti, magret de canard poêlé, Échine de porc grillée, pavé d’espadon, entrecôte, brochettes de langouste… Bien, bien.
A part le civet, pas grand-chose d’autre comme plat créole. Nous interrogeons le personnel. “En fait, la spécialité créole c’est le civet aujourd’hui, ça change tous les jours”. Il y a aussi un zembrocal, mais c’est un peu mince… Qu’à cela ne tienne, pour une fois nous goûterons à la cuisine métro, sauce locale. Nous prendrons donc une darne de dorade coryphène poêlée avec le zembrocal en accompagnement et des crudités. Suivra un magret de canard, saignant.

L’assiette du poisson arrive. Jolie. Et cela sent bon. Coup de fourchette : quelle agréable surprise de voir la chair de la dorade encore souple. En bouche, elle est moelleuse, parfumée et se mélange superbement avec la sauce au beurre. Voilà ce qui s’appelle faire cuire du poisson ! C’est cela le respect du produit. Et le poisson est un produit délicat. Les crudités sont rafraîchissantes, et nous les finirons sans vinaigrette, celle mise à notre disposition dans une bouteille en plastique ne nous emballe pas. Le zembrocal est correct, mais nous nous attendions à mieux. La saveur du riz safrané est un peu en berne. Le magret remplace l’assiette vide du souvenir de la dorade. Nous l’avions demandé saignant, il l’est !  (un magret de canard saignant, ce devrait être un pléonasme). Il est beau, il est dodu, il est doré, le magret, avec sa peau « en graton » sur le dos. Et la sauce !  Coup de couteau. C’est une belle viande tendre et rouge qui se révèle. Du canard mes enfants, fin, joyeux, soumis sous la molaire du fond, enveloppé de sa sauce sucrée-salée au miel, avec un parfum de poivre et la touche subtile des sucs déglacés. Du magret simple, honnête, sans chichis, à savourer tout seul ou accompagné de son verre de vin rouge et sa modération de rigueur. Après une viande comme celle-là, il faudra un peu de temps pour que vos papilles se calment.
Pas de dessert ni de café. Il faut qu’on rentre. Tout cela nous a coûté 35 euros. Si on parle de rapport qualité-prix, certains devraient en prendre de la graine.

Vacances. Soleil. Farniente. Détente. Plaisir. Evasion. Voilà des mots qui conviennent au « Grand Baie ». On y mange bien, on y est à l’aise, que demander de plus ? Davantage de cuisine créole, par exemple, pour justifier sa publicité, et peut-être un peu plus d’enthousiasme aussi dans l’accueil et le service. Celui-ci est correct et poli mais rappelle un peu trop ce qu’on trouve dans les bistrots des villes. Seuls les habitués ont droit à quelques égards. Rien de grave. Le “Grand Baie” est une destination agréable si vos vacances vous mènent du côté de Saint-Paul, après une virée au marché, et un coucou au père La Buse, le voisin d’à côté. C’est la dernière fourchette de l’année, et elle est en argent. Joyeux Noël à tous, amis gourmets, et bonne et succulente année 2012.

Pour résumer
Accueil : moyen
 • Cadre : moyen • 
Plats : très bons • 
Rapport qualité/prix: correct
Notre impression globale : bonne table
Fourchette en argent
 

Le Cap Méchant

[visite en décembre 2011]

Aujourd’hui, nous nous rendons au Cap méchant, mettre les pieds sous la table du restaurant éponyme de ce lieu magique prisé des touristes tout frais, des groupes en tout genre et des familles créoles. Le Cap Méchant est à Saint-Philippe ce que le Reflet des îles est à Saint-Denis, un poids lourd de la gastronomie créole traditionnelle.

Il partage le site avec deux concurrents : l’Etoile de mer et le Pimpin, que nous visiterons l’année prochaine. Pas de souci pour se garer : le parking est vaste (et poussiéreux). De l’extérieur, l’établissement ne paie pas de mine. Et de l’intérieur non plus, d’ailleurs. La décoration est inexistante, pas le moindre bouquet de fleurs sur les tables. L’endroit est divisé en zones tout autour d’un grand espace vide que nous supposons être la piste pour les soirées dansantes. Le lieu est calibré pour recevoir beaucoup de monde (plus de 300 personnes). L’accueil est cependant convivial. Nous nous installons à la terrasse, pour profiter de l’air marin ouvreur d’appétit.

A la carte : plats chinois et créoles essentiellement. Tandis que nous la compulsons, on nous emmène l’apéritif, un punch maison au fruit de la passion et un jus de mangue frais très goûteux, qui déclenchent un sourire de plaisir. Nous prendrons un cari bichiques (de saison) et un civet de canard.

Et pour nous éveiller les papilles, nous choisissons un gratin de palmistes. Ce dernier nous arrive brûlant, et c’est par petites touches que nous entamons la dégustation. Nous soulevons la fine croûte de fromage et la gardons pour la fin, pour pouvoir apprécier pleinement le palmiste. De bonne texture, coupé en morceau suffisamment gros pour ne pas disparaitre totalement dans la béchamel, le palmiste est divin. Juste assez de poivre pour relever le tout, une dose de sel idéale, un vague parfum de muscade et une crème onctueuse précipitent la fin du gratin dans son apothéose : la croûte du fromage, en un plaisir gustatif presque violent. Le temps d’une pause, et les bichiques sont servis. Sans piment vert « crasé ». Sacrilège. Ce n’est certes pas le rougail tomates qui convient ici, même si celui-ci est bon. Nous réclamons notre « piment Martin » qui nous est livré derechef, avec une explication : « On en mettait autrefois, mais la clientèle touristique a un peu de mal »…

Le cari bichique, lui, ne s’en porte que mieux. Juste un bout de cuiller de piment saupoudré dessus et c’est le soleil sur la forêt primitive après les grandes pluies. Tous les parfums remontent, et en bouche, c’est sublime. Le cari est « sec », comme il faut, les alevins ne sont pas abîmés, ce qui révèle une main experte dans le « tournage » en marmite avec un coup de poignet et la délicatesse requis. Le curcuma joue la partition à la perfection avec le gingembre, une humeur de thym amène de la fraîcheur, chaque épice vient porter la saveur exquise des bichiques, qui se savourent du coup autant avec la bouche qu’avec le nez. Le canard, quant à lui, est noir. Mais pour le coup c’est un heureux présage. La viande est ferme, rouge à l’intérieur, et les épices « croûtées » dans le vin en une sauce rare, épaisse, mais délicieuse, ont imprégné le canard au coeur. La viande se laisse mâcher en souplesse, libérant cette légère amertume caractéristique du vin cuit et le civet s’en va. Point de dessert. Nous sommes repus. Addition: un peu plus de 85 euros pour deux personnes. La faute aux bichiques, (22 euros la portion, deux portions minimum obligatoires) mais c’est sans regret.

Le Cap Méchant, ayant pignon sur falaise depuis des lustres, poursuit son petit bonhomme de chemin en proposant à ses convives une cuisine de qualité. Un défi pas facile tant il est aisé de tomber dans le tout venant culinaire face à la pression touristique. Pour autant, le service semble en pâtir un peu, même s’il demeure efficace et aimable. Mauvais point en revanche concernant le cadre, trop dépouillé. Il suffirait de peu de chose pour rendre le lieu plus attrayant et plus confortable. Aucun effort non plus n’est fait sur la présentation des plats. C’est un peu à la bonne franquette, c’est sans doute plus sûrement une question de manque de temps, ou au pis, de motivation. Ce côté « cantine » retire au restaurant la possibilité d’avoir une fourchette d’or, que sa cuisine mérite pourtant. Par conséquent, nous attribuons au Cap Méchant une très belle fourchette en argent. Si vous y allez le week-end, il est prudent de réserver.

Pour résumer
Accueil : bien • Cadre : très moyen • Plats : très bons
• Rapport qualité/prix : correct
Notre impression globale : très bonne table
Fourchette en argent