Le Cap Méchant

[visite en décembre 2011]

Aujourd’hui, nous nous rendons au Cap méchant, mettre les pieds sous la table du restaurant éponyme de ce lieu magique prisé des touristes tout frais, des groupes en tout genre et des familles créoles. Le Cap Méchant est à Saint-Philippe ce que le Reflet des îles est à Saint-Denis, un poids lourd de la gastronomie créole traditionnelle.

Il partage le site avec deux concurrents : l’Etoile de mer et le Pimpin, que nous visiterons l’année prochaine. Pas de souci pour se garer : le parking est vaste (et poussiéreux). De l’extérieur, l’établissement ne paie pas de mine. Et de l’intérieur non plus, d’ailleurs. La décoration est inexistante, pas le moindre bouquet de fleurs sur les tables. L’endroit est divisé en zones tout autour d’un grand espace vide que nous supposons être la piste pour les soirées dansantes. Le lieu est calibré pour recevoir beaucoup de monde (plus de 300 personnes). L’accueil est cependant convivial. Nous nous installons à la terrasse, pour profiter de l’air marin ouvreur d’appétit.

A la carte : plats chinois et créoles essentiellement. Tandis que nous la compulsons, on nous emmène l’apéritif, un punch maison au fruit de la passion et un jus de mangue frais très goûteux, qui déclenchent un sourire de plaisir. Nous prendrons un cari bichiques (de saison) et un civet de canard.

Et pour nous éveiller les papilles, nous choisissons un gratin de palmistes. Ce dernier nous arrive brûlant, et c’est par petites touches que nous entamons la dégustation. Nous soulevons la fine croûte de fromage et la gardons pour la fin, pour pouvoir apprécier pleinement le palmiste. De bonne texture, coupé en morceau suffisamment gros pour ne pas disparaitre totalement dans la béchamel, le palmiste est divin. Juste assez de poivre pour relever le tout, une dose de sel idéale, un vague parfum de muscade et une crème onctueuse précipitent la fin du gratin dans son apothéose : la croûte du fromage, en un plaisir gustatif presque violent. Le temps d’une pause, et les bichiques sont servis. Sans piment vert « crasé ». Sacrilège. Ce n’est certes pas le rougail tomates qui convient ici, même si celui-ci est bon. Nous réclamons notre « piment Martin » qui nous est livré derechef, avec une explication : « On en mettait autrefois, mais la clientèle touristique a un peu de mal »…

Le cari bichique, lui, ne s’en porte que mieux. Juste un bout de cuiller de piment saupoudré dessus et c’est le soleil sur la forêt primitive après les grandes pluies. Tous les parfums remontent, et en bouche, c’est sublime. Le cari est « sec », comme il faut, les alevins ne sont pas abîmés, ce qui révèle une main experte dans le « tournage » en marmite avec un coup de poignet et la délicatesse requis. Le curcuma joue la partition à la perfection avec le gingembre, une humeur de thym amène de la fraîcheur, chaque épice vient porter la saveur exquise des bichiques, qui se savourent du coup autant avec la bouche qu’avec le nez. Le canard, quant à lui, est noir. Mais pour le coup c’est un heureux présage. La viande est ferme, rouge à l’intérieur, et les épices « croûtées » dans le vin en une sauce rare, épaisse, mais délicieuse, ont imprégné le canard au coeur. La viande se laisse mâcher en souplesse, libérant cette légère amertume caractéristique du vin cuit et le civet s’en va. Point de dessert. Nous sommes repus. Addition: un peu plus de 85 euros pour deux personnes. La faute aux bichiques, (22 euros la portion, deux portions minimum obligatoires) mais c’est sans regret.

Le Cap Méchant, ayant pignon sur falaise depuis des lustres, poursuit son petit bonhomme de chemin en proposant à ses convives une cuisine de qualité. Un défi pas facile tant il est aisé de tomber dans le tout venant culinaire face à la pression touristique. Pour autant, le service semble en pâtir un peu, même s’il demeure efficace et aimable. Mauvais point en revanche concernant le cadre, trop dépouillé. Il suffirait de peu de chose pour rendre le lieu plus attrayant et plus confortable. Aucun effort non plus n’est fait sur la présentation des plats. C’est un peu à la bonne franquette, c’est sans doute plus sûrement une question de manque de temps, ou au pis, de motivation. Ce côté « cantine » retire au restaurant la possibilité d’avoir une fourchette d’or, que sa cuisine mérite pourtant. Par conséquent, nous attribuons au Cap Méchant une très belle fourchette en argent. Si vous y allez le week-end, il est prudent de réserver.

Pour résumer
Accueil : bien • Cadre : très moyen • Plats : très bons
• Rapport qualité/prix : correct
Notre impression globale : très bonne table
Fourchette en argent