[Visite en août 2012]
Aujourd’hui, nous mettons les pieds sous la table d’un restaurant gastronomique, ou en tout cas qui l’affiche comme tel : «Le temps d’mets» à Saint-Denis, rue du Général de Gaulle. Installé en lieu et place d’un ancien restaurant chinois, et refait à neuf, il fait l’angle avec la rue Jules Auber. Sur sa devanture on peut y lire « nouveau chef disciple d’Auguste Escoffier » (vous m’en direz tant !) et la formule du midi à 20 euros.
La salle, grande et parfaitement insonorisée – nous sommes très près de l’une des artères de Saint-Denis – est sobrement décorée, dans un style tendance dépouillé bleu caca d’oie. Nous sommes accueillis princièrement par un personnel souriant et très attentionné.
La carte fait la part belle… au vin ! Amateurs de ce breuvage érigé en monument de la gastronomie française vous serez servis : quatre pages vous proposent pas moins de 29 bouteilles, et pas du gros rouge qui tache, s’il vous plait… mais pour la modération, tout seul ou en couple, il faudra vous contenter d’un service au verre. Point de demi-bouteille à la carte (excepté une). Donc tarif plein pot quasi obligatoire. Pour ce qui est des plats, des entrées au dessert, on est clairement dans une tendance métropolitaine avec quelques plats locaux dans les suggestions du chef, sur lesquels nous fixons notre attention. L’ambiance est détendue. Les quelques clients déjà présents n’ont pas le petit doigt en l’air, mais nous croyons reconnaître un « gros » patron de la place aux entournures laissant présager d’un penchant certain pour la bonne chère. C’est encourageant.
Hum… (prendre la voix d’Edgar dans les « Aristochats ») nous commencerons par un « croustillant d’espadon et légumes grillés à l’huile d’olive vanillée et tamarins » (affiché « dorade » sur la note, allez comprendre) assorti d’un « carpaccio de magret de canard au café, marmelade à l’orange et blinis ». Tout le reste est dans le même genre. Ce n’est plus un menu, c’est une chanson de geste.
Plus sobrement, on poursuivra avec un civet de cerf pays, affiché à 21 euros ! Du cerf de chez Escoffier… que voulez-vous ! Plus un sauté de bœuf au palmiste frais, 22 euros quand même, oui madame. Il a fichtrement intérêt à être bon, le cerf ! La chasse est ouverte.
Le temps que les entrées nous soient servies, nous dégustons un excellent et très rafraîchissant jus de fruits frais, où nous identifions de l’ananas et de l’orange, l’ananas ayant été mixé avec des feuilles de menthe. Un bonheur de cocktail. Puis, arrivée de l’espadon et du carpaccio. Ce ne sont plus des entrées, ce sont des œuvres d’art. La présentation en met plein la vue. Et nous comptons, parmi nos légumes plus sautés que grillés au final, trois petits cigares de croustillants. Comme dit le créole : « ben mounoir, na point pou tuer ». (traduction : ben mon vieux, c’est pas la quantité qui va nous tuer).
Mais n’oublions pas que nous déjeunons chez un disciple d’Escoffier… nous sommes là pour gastronomiser, nous gastronomisons ! Et les croustillants sont à la hauteur. Croûte légère, poisson parfumé et moelleux et une petite surprise intéressante avec une touche de basilic. Les légumes, pour leur part sont bons : ti brèdes, carotte, navet et des oignons verts en déco, mais rien d’extraordinaire à priori dans « l’huile d’Olive vanillée et tamarins » dont les saveurs jouent à cache-cache.
Le carpaccio est délicieux mais un peu salé, et la marmelade à l’orange présente des morceaux d’ananas. Les deux mélangés trouvent un équilibre convenable, et la saveur du café soutient tout cela élégamment. Heureusement que les blinis viennent nous remplir la bouche, histoire de nous donner l’impression que nous mangeons quelque-chose. Si savoureux soit-il, le carpaccio est tellement fin qu’il n’a qu’une face, et en bouche il s’évapore ! Et son souvenir avec.
Pause. Plats enlevés. Questions sur notre appréciation. Nous devisons avec le personnel sans ronds de jambes ni mots ampoulés. Et voici le cerf et le bœuf, présentés dans de la vaisselle originale, accompagné de riz servi dans l’assiette et de rougails tomates dans des verres où on aurait plus tendance à mettre notre bon rhum local. Pour la quantité, cela paraît juste au niveau du riz, mais le service prend les devants en nous proposant du « rab » si nécessaire. Du riz standard, à vue de nez, soit-dit en passant, sans parfum ni saveur, accompagné de lentilles lambda. Le civet de cerf nous surprend d’abord car… un peu trop salé. Mais cela reste encore dans les limites du tolérable, surtout en le mélangeant au riz. La chair est tendre, moelleuse ou légèrement sèche selon les morceaux, bien imprégnée du vin, lequel est très efficace pour assagir et bonifier le côté un peu « gibier » du cerf. La sauce aurait été parfaite si ce n’était ce sel, trop dominant. Gageons que les amateurs de sel y trouveront leur compte, mais rappelons tout de même que le sel est un exhausteur de goût, qu’il est indispensable à l’organisme mais qu’en abuser finit par tuer la saveur de l’aliment, et tuer le mangeur aussi au bout du compte, car il favorise l’hypertension. Cette petite parenthèse diététique refermée, goûtons voir au bœuf.
Le bœuf sauté au palmiste est à l’image de l’entrée au croustillant : il veut en mettre plein la vue. Mais c’est sur-vendu, limite attrape-couillon, sur les bords. En effet, si la viande, sautée à la chinoise, dans sa sauce épaisse qui l’entoure comme une deuxième peau, fleure bon les aromates asiatiques, siave, sauce d’huitre et autre condiments exotiques… le palmiste frais a moins de goût que des pousses de bambou qui auraient pu faire l’affaire. Déjà, le palmiste en lui-même a une saveur si délicate que pour vraiment l’apprécier, il faut le manger cru, juste après avoir été coupé si possible. On ressent alors son petit côté acidulé et légèrement lacté. Dans le sauté du disciple, le palmiste, bien que présent en quantité correcte, fait de la figuration gustative. Seul son croquant présente quelque intérêt, associé à la texture un peu collante de la viande. C’est juste pour dire que c’est un plat au palmiste, et justifier le prix.
Un mot sur le rougail : à déconseiller aux mauviettes. Débouchage de sinus garanti. Mais là encore, un peu trop salé. Nous terminons par un café gourmand et un dessert aux fraises simplement appelé « douceur de fraise combava » avec des fraises, acides, de la crème, sucrée, et du combava, pas trop agressif et qui tire son épingle du jeu. La coupe terminée nous laisse avec le goût de fraise en bouche et l’odeur de combava dans les narines. Pas mal. L’addition chez le disciple d’Escoffier est sévère: 103 euros, de l’apéritif au dessert, hors boissons (le verre de vin est à 9 euros !). Autant dire qu’à la carte, c’est un peu chaud.
Si la qualité globale est correcte, de notre point de vue elle ne justifie pas les tarifs pratiqués. Certes, les emballages sont jolis : la présentation des plats est soignée et le service est professionnel, mais tout cela n’est que poudre de perlimpinpin, esbroufe, et bluff, assez pour en mettre plein la vue à la bourgeoise au premier dîner (Le Temps d’ mets, vous pensez!). C’est tout un art de faire passer de la bonne cuisine – car cest de la bonne cuisine – pour de la préparation de grand chef, tout en maitrisant les coûts pour optimiser les bénéfices. Bien sûr, c’est de bonne guerre, mais ici c’est tellement voyant que cela en devient grotesque. Point de fourchette d’or pour le Temps d’ mets. Le disciple d’Escoffier se contentera de notre fourchette en argent, et c’est déjà bien. En toute humilité il va sans dire.
Pour résumer :
Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : superbe
Service : très bien • Qualité des plats : bons
Notre impression globale : bonne table
Fourchette en argent