[Visite de décembre 2012]
Samedi du côté de l’Est, sous un soleil de plomb. Nous roulons au hasard des restaurants et deux nous refusent pour cause de dîner dansant. Nous finissons par atterrir au Poisson Rouge, à Sainte-Rose, une institution s’il en est, connue de plusieurs générations de gastronomes du dimanche.
L’endroit est au frais, sous l’épaisse verdure de son jardin. Sur la route, les plats à emporter défilent. En contrebas, une demi-douzaine de tables attendent les clients sous les arbres. Nous préférons nous installer à l’intérieur de la grande salle équipée pour les soirées dansantes, elle aussi, toute ventilée de ses nombreux nacos. Les lieux accusent le poids des ans, mais demeurent propres et bien tenus.
Nous sommes accueillis à la bonne franquette par un sympathique monsieur qui nous place sur une table et nous dépose la carte. Celle-ci propose divers plats chinois traditionnels plus des grillades de viande et de poisson. Nous penchons davantage pour les deux plats créoles au menu du jour : un cari de poisson et un rougail boucané. Nous décidons pour commencer de tester les nems, par portion de quatre, et la salade exotique. Un punch maison plus tard, les entrées arrivent et la salade siffle le début du match. Notre hôte débarque alors avec de la vinaigrette « pour le cas où ce ne serait pas assez assaisonné ». A la vue du palmiste hâché menu de la composition, on a envie de lui crier « halte-là malheureux ! ». Et bien sûr le palmiste a déjà un goût de citron, et par-dessus le marché il est coupé vraiment trop fin pour pouvoir nous faire apprécier un quelconque arôme. Seul demeure son croquant, qui accompagne la salade verte et l’ananas. Ce dernier est mûr juste ce qu’il faut, avec un bon équilibre acide-sucré. Tout l’ensemble est très frais et agréable par ces chaleurs. Les nems pour leur part sont très réussies. Molles dedans, craquantes dehors, nous les badigeonnons du piment chinois servi avec et leur saveur nous envahit les sinus, en nous arrachant une larme.
La première mi-temps se poursuit avec le boucané, qui mettra, avec son remplaçant poisson, un peu de temps à arriver. Foin de circonlocutions désagréables, disons-le franchement, le boucané n’est pas bon. Comment le qualifier autrement quand celui-ci, un peu trop gras, mou du genou, baigne dans une sauce où l’oignon exerce une dictature sans faiblesse, et où le sel est un peu trop présent ? De la viande standard en plus, pas vilaine au nez, mais trop banale au palais.
Deuxième mi-temps. Le boucané part sur le banc de touche, remplacé par le poisson, qui nous fera un match plus offensif. « Nous sommes en panne de poisson rouge et de gueule rouge » nous dit l’aubergiste en substance qui nous emmène à la place un mérou un peu pâlot. Mais s’il manque de couleur, l’animal s’avère bien préparé et très goûtu. La sauce est bien dosée en sel et en piment, et l’on y perçoit de loin la saveur tonique du gingembre qui se cache derrière celle, plus franche, de l’ail chinois. La chair n’est pas aussi fine que celle du roi des poissons locaux, loin s’en faut, et légèrement trop cuite, vu son comportement sous la fourchette, mais ce n’est pas dramatique. Le tout tient la route et nous contente amplement, d’autant que les rougails tomate et citron étaient très corrects et que les haricots, bien parfumés en thym, ont assuré.
C’est le dessert qui marquera le but aux arrêts de jeu. Du gâteau ti son, joliment présenté avec du chocolat, de la chantilly et une pointe de confiture de papaye maison, qui en a dans le maillot ! D’ordinaire sec et étouffe-chrétien, le gâteau ti son est ici moelleux et tendre à souhait, avec un bon goût de beurre qui fait merveille marié au chocolat. L’homme nous donne le secret de ce moelleux, mais nous ne le dévoilerons pas ici, vous le lui demanderez vous-même, en réclamant les pâtisseries de « tatie Yvette », parmi lesquelles on compte aussi le gâteau de patate douce et le gâteau de bananes aux raisins.
Fin du match. Le score est à 58 euros hors boissons pour deux personnes. Un brin cher.
Le Poisson Rouge est un vieux de la vieille de la restauration créole. Si nous nous fions aux nombreux témoignages que nous avons reçu, il aurait baissé en qualité. Nous préférons nous fier à notre présent ressenti après ce repas : c’était globalement bon, mais il y aurait encore des progrès à faire. Les plats nous semblent exécutés à la va-vite, pour satisfaire la demande importante côté route. En revanche les produits ont l’air d’être frais, et pas trop mal travaillés. Le désastreux rougail boucané a bien failli faire basculer la note vers la fourchette en inox. Le poisson seul n’a pas suffit à faire pencher la balance, heureusement que le dessert était là pour le « but en or » ! Verdict : une fourchette en argent, sur le fil.
Pour résumer :
Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
Service : correct • Qualité des plats : bons dans l’ensemble
Notre impression globale : Bonne table
Fourchette en argent