Les Cinq orangers

La camionnette 404 des Dijoux quitte le petit village de Sainte-Anne en fumant comme l’usine de Bois-Rouge pendant la coupe. Au volant, Iréné se fait enguirlander par Marie-Berthe, qui vitupère au sujet de l’antique véhicule. « Un jour out’ vieux cariole i sa laisse a nou su l’bor d’ la route, cosa ou attend pou change a lu ? »
A l’arrière, Ernestine et ses frères jouent aux cartes. Par cette belle journée, la famille s’en va pique-niquer au pont de la rivière de l’Est.
La camionnette arrive au niveau du lieu-dit « Les Orangers », c’est alors qu’Iréné devient tout pâle.
– Kosa l’arrive à vous ? Vous la vu bébète ou koué ? lui fait sa femme.
– Heu, mon ti caille… prend pas la colère… mais… mi crois que mwin la oublié la marmite cari su la tab’ la cuisine.
Un hurlement aigu de truie qu’on égorge fait s’égailler les oiseaux à deux kilomètres à la ronde.

Reprenant son souffle, Marie-Berthe repère le resto-snack « Les 5 orangers », sur la gauche. Iréné lit le panneau : « repas 5 euros, à zéro mètres ».
– Oté, ban’na i aime kass les kui ici !, rit-il.
– Ben nou va voir si zot cari lé bon, répond Marie-Berthe, qui espère que son pique-nique sera sauvé du naufrage. « Ernestiiine ! », crie-t-elle à sa fille.
– Voui ma mère !
– Vient trap la monnaie et allé rod barquettes a ter là, avant qu’mi touf ’ le mimite out’ papa !

[Visite en mars 2013]

C’est ainsi, par une journée ensoleillée, que nous atterrissons au « 5 orangers », repéré il y a belle lurette lors de nos pérégrinations. Le resto-snack n’est guère plus qu’un container-bar amélioré d’une terrasse avec des parasols publicitaires colorés aux emblèmes d’une mousse à la face de volatile disparu. A l’intérieur, une dame et une jeune fille s’activent et nous reçoivent gaiment, en symbiose avec le soleil de midi qui donne à cet écrin de verdure une ambiance de vacances.

Au menu du jour, parmi les nombreux sandwichs, un cari de pintade, un sauté de porc aux gros piments, omelette créole et steak haché-frites. Les deux premiers nous conviennent parfaitement. Nous nous installons à la terrasse, plus grande que nous le pensions, capable d’accueillir une trentaine de clients. Sous les parasols, il fait un peu chaud, et la proximité de la Nationale nous dérange au début, mais ces inconvénients sont  très vite oubliés, au profit de l’indéniable charme bucolique des lieux. Notre attention est de toute manière vite mobilisée par les assiettes qui nous sont servies.

A vue d’œil, nous trouvons déjà la quantité de riz un peu limite pour un estomac de bon mangeur. Les grosses lentilles ont une belle couleur claire dans leur sauce épaisse et les caris ont également bel aspect. 

Le porc est une surprise. Nous nous attendions à trouver des émincés avec des gros piments coupés fin, à la chinoise. Que nenni ! A la place nous avons des beaux morceaux entrelardés, légèrement dorés, côtoyant des gros piments coupés large. Et tout cela est très bon ! Le porc est un peu gras, certes, mais tellement souple et savoureux, dégageant en finesse un petit arôme sucré, comme s’il avait été flambé en vitesse avec un fond de rhum blanc. Les gros piments sont croquants à souhait et accompagnent la viande judicieusement.

La pintade par sa couleur bien dorée, révèle une cuisson au croûtage expert où les épices ont imprégné la viande de leur saveurs. Sous la peau délicieuse, la viande un tantinet sèche du volatile apporte du tonus sous la dent sans être désagréable. Il est vrai que les morceaux sont coupés en justes proportions, ce qui a permis à la sauce de bien tremper tout ça. Thym, poivre et l’amertume subtile d’un déglaçage chronométré au fumet incomparable contribuent à prolonger notre plaisir non feint à la dégustation du plat. Les lentilles sont également très bonnes et veloutées, baignant un riz tendre mais pas trop. Tout cela est magnifié par le petit rougail citron vert, odorant et puissant, apportant sa touche pimentée et un vrai rayon de soleil gustatif sur la pintade avec laquelle il flirte plus volontiers qu’avec le porc. Il ne manque plus que des brèdes pour que ce soit parfait.

Un gâteau de patate, joliment  présenté, vient clore ce repas. Et il est magnifique. Du gâteau maison, à la patate apparemment écrasée à la fourchette, comme en attestent les petits morceaux qui viennent éclater sous les molaires. La juste dose de sucre met davantage en relief l’humeur douce de la vanille. La légèreté de ce dessert est proportionnelle au plaisir que nous avons de le déguster.

C’est déjà terminé. Addition : 21 euros, pour deux boissons, deux repas, un dessert et un café. Rapport qualité-prix imbattable !

Sur les pentes grimpant vers le pont de la rivière de l’Est, la 404 fumante des Dijoux a repris sa route, et Ernestine n’a pu résister à la tentation d’ouvrir une barquette pour humer son contenu. La petite famille ne sera pas déçue. Et nous ne l’avons pas été non plus.

« Les 5 orangers » régale sa clientèle depuis deux ans. Il ne lui faudrait pas grand-chose pour atteindre les sommets gustatifs. C’est en tout cas de la bonne cuisine familiale et authentique, bien de chez nous.  Oui, aux « 5 orangers », on mange simple et bon, dans un endroit plein de charme, en compagnie de gens sympathiques. La famille Vergoz vous met tout de suite à l’aise, sans ronds de jambes et sans chichis. Après le repas vous pourrez toujours demander à siroter un petit rhum letchis qui nous a fait un clin d’œil sur le comptoir et, si vous avez la même chance que nous, une papangue en chasse viendra vous dire bonjour en planant au-dessus du champ d’en- face. L’établissement se voit donc récompensé d’une très belle fourchette en argent, bien méritée, avec recommandation de l’équipe.

Pour résumer :
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
• Service : très bien  • 
Qualité des plats : très bons
 Notre impression globale : très bonne table
Fourchette en argent