Aujourd’hui nous voilà partis vers le joli quartier du Baril, à Saint-Philippe, pour mettre les pieds sous la table du restaurant du même nom. « L’hôtel-restaurant » devrions-nous dire, en cours de rénovation de ses chambres, « par boute » comme dit le créole.
A notre arrivée nous constatons que la salle aussi aurait besoin d’un rafraîchissement, mobilier compris. En effet, le style général fait vieillot. La grande pièce de plus de 130 couverts sent la moisissure. Son seul intérêt étant les baies vitrées donnant presque directement sur la falaise et les vagues qui s’y brisent. En préambule de cette visite, nous avions été consulter le site de l’établissement (www.lebaril-reunion.com) qui est pour le moins à l’image du lieu : pas très glamour dans sa présentation, et, fait notable, présentant un encart « tripadvisor » où l’on peut lire les avis d’internautes étant passés par là. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la direction du Baril n’est pas rebutée par la critique ! Ou alors elle s’en fiche complètement, parce que certains internautes y ont le verbe sévère.
Nous avons donc voulu nous faire notre propre opinion sur la cuisine cet établissement qui compte parmi les plus anciens de l’île et qui eut en son temps une réputation non surfaite.
On nous accueille avec sourire et politesse. Nous nous plaçons près de la baie vitrée, pour profiter de la vue. Si l’endroit est fatigué par les ans, la vaisselle est propre, c’est déjà ça. La carte est créole, pour l’essentiel… Nous passons commande d’un gratin de citrouille au jambon et crevettes, d’une assiette créole classique avec les fritures traditionnelles, puis d’un cari ti-jacques boucané et d’un cari canard-maïs, un couple hélas rare au menu de nos restaurants et qui fleure bon la tradition.
Sans crier gare, et sans plus de commentaires, la serveuse nous dépose quatre beignets en guise d’amuse-bouche, et pfuiit, passez muscade, file à ses occupations. On ne saura pas ce que c’est, sinon que cela avait un vague goût de je ne sais quoi, du pimpin, peut-être, écrasé par celui de la friture…
Parlons maintenant des entrées. D’abord, le gratin de citrouille « au jambon et aux crevettes ». Il faut bien chercher les crevettes. De toute manière, il vaut mieux parler d’un gratin de béchamel parfumé à la citrouille, et encore, tant le cucurbitacée fait pâle figure, en quantité comme en saveur. De plus le fromage du dessus a un peu trop brûlé et a coulé sur les bords du ramequin. Ça fait négligé, d’autant que l’affaire est un peu froide, un peu chaude, « par place ». La note finale va être gratinée aussi, on le sent comme ça.
Les fritures créoles étaient mangeables mais passablement insignifiantes. Aucune originalité dans la présentation, une humeur de cumin dans les samoussas, puis le néant gustatif.
Déjà mal disposés, nous entamons les plats de résistance par le canard accompagné du maïs. Le plat est, autant le dire tout de suite, sans intérêt. La viande filandreuse et d’une pâleur sépulcrale n’a aucune espèce de tenue. La sauce est claire comme de l’eau, et en bouche les saveurs sont en veilleuse. Rien à voir avec le goût franc du collier au fumet incomparable d’un cari canard traditionnel exécuté dans les règle de l’art. Le « fameux » poulet certifié « la cour » présent à la carte sous-entendait-il les origines moins fermières de l’anatidé ?
Ce n’est pas la présence du maïs qui changera quoi que ce soit. Celui-ci est en effet aussi pâle en goût que le cari, et servi dans le plat par agglomérats collants, sans le moindre souci de faire bonne figure.
Le cari ti-Jacques boucané pour sa part est un scandale. Il a été oublié au feu, visiblement. L’ensemble est archi-roussi. Cela se voit déjà à l’oeil nu et la dégustation ne laisse aucune place au doute. Le ti-Jacques imprime une amertume trop présente sur la langue, retirant toute valeur à la préparation. Le boucané en lui-même est mangeable mais sans plus. L’ensemble suinte le gras jaune d’une huile bas de gamme chargée de safran. Rien à dire sur le riz, servi en grande quantité, ni sur les pois du Cap et les lentilles, standards.
Nous arrêtons le carnage (et les frais !) en ne prenant pas de dessert (crème brûlée, banane flambée, tutti et quanti). Total de l’opération 51,50 euros pour deux personnes, soit un peu plus de 25 europar tête. Un peu cher vu la qualité de l’ensemble.
Non, nous ne vous dirons pas que la cuisine du Baril, c’est du bidon, ni autre billevesée du même tonneau. Nous ne vous dirons pas non plus de ne pas y aller… au contraire. Il se peut que vous tombiez sur un bon jour, et que le chef soit de bonne composition. Parce qu’aujourd’hui, en cuisine, c’était du grand n’importe quoi. Mitonner des plats, arranger un semblant de présentation, tout cela était le cadet de leur souci. Autant dire que vu la concurrence qui pousse (et poussera) dans les alentours, telle la mousse sur les laves (et que nous visiterons tantôt), il y a de toute façon quelques questions à se poser sur le Baril. La dégustation de ce jour leur valant, hélas, une fourchette en plastique. Fermez le ban.
Fourchette en plastique