Le Relais des cimes

P1000268En tout début de cette année, nous avions testé le Ptit Chouchou, à Hell Bourg. Aujourd’hui, c’est un autre restaurant de ce charmant village du cirque de Salazie que nous visitons : celui du Relais des Cimes, seul hôtel de Hell-Bourg depuis des lustres, en attendant la résurrection de feu l’hôtel des Salazes, qui est l’arlésienne en cours dans le paysage touristique de l’Est.

Nous mettons les pieds sous une table propre et bien dressée, dans une belle salle à la décoration sobre très accueillante. Sourire de bienvenue et accueil professionnel, le personnel est aux petits soins.
Tout en dégustant un cocktail de fruits frais, largement ananassé, nous compulsons la très riche carte composées des grands classiques de la cuisine créole, mais aussi de plats moins ordinaires, qui proposent des produits du terroir local, comme la « Truite grillée sauce cresson » ou « truite à la vanille flambée au rhum », ou la « pintade rôtie aux pêches et goyavier ». Un « romazava » et un « ravin’toto » se joignent à la compagnie, chose assez rare. Dans nos pérégrinations, nous n’avons vu ce premier plat qu’à la carte du Roland Garros à Saint-Denis. Mais nous nous laisserons plutôt tenter par un bon vieux cari la patte cochon et un rougail zandouille. Le dernier que nous ayons dégusté, au Jardin des Délices au Baril, était fameux. Voyons si celui-ci fait mieux.
Auparavant, goûtons voir à la « Salade Salazienne », de cresson et de foie de volaille, et un incontournable du cirque : le gratin de chouchou.

Le cresson est jeune et croquant, tout frais, il sent presque la rosée. Une fraîcheur exhalée avec sa saveur inimitable, et à la force raisonnable, qui n’éteint aucunement le beau fumet du velouté foie de volaille. Le mariage des deux produits est connu et apprécié des brouteurs de cresson dont nous sommes.
Le gratin quant à lui est conforme aux canons du genre. Le fromage fondu délivre un sel ajusté dans une béchamel présente mais non envahissante qui laisse s’exprimer le roi chouchou. Ce dernier est fondant, parfumé, délicat, magnifique.

Les assiettes sont débarrassées rapidement, et les plats de résistance les remplacent.

La patte cochon présente bien. Bien cuite, peau et chair se détachent facilement des gros os et se mélangent agréablement en bouche, enrobées d’une sauce au gras maîtrisé. En revanche nous trouvons l’affaire un peu pâlotte à la vue. Et les sensations gustatives aussi. Ça manque d’épices. Nous aurions souhaité un ail moins timide, par exemple. Rien de rédhibitoire pour autant puisque le plat est sifflé.

L’andouille est allongée en tranches d’un peu moins d’un centimètre, et nous emballe d’entrée par ses effluves poivrées. A vue de nez, il y a parité entre la viande et le gras. Une viande parfaite, qui ne laisse pas de filasses sous la dent, et des morceaux de gras expressifs mais qui ne jouent pas les dictateurs. Le tout emballé dans une belle sauce de tomates mûres. Le plat est excellent. La charcuterie a bénéficié d’une préparation étudiée qui l’a débarrassée de son sel surnuméraire et en a laissé juste assez pour soutenir sa saveur musquée.

Les plats repartent vides, laissant notre contentement plein.

Il reste une petite place pour le dessert. Un gâteau de patate douce à la vanille. Ce sera la vraie déception du repas. Non pas tant à cause du goût mais plutôt de la texture. Une fois de plus, les bouchées sont denses et lourdes, et ce n’est pas le petit flanc chocolaté en accompagnement qui y change quoi que ce soit. Le dessert aurait mérité un peu plus de préparation et de présentation, et c’est bien celle-ci qui a péché tout du long. Rien n’est fait pour habiller les plats et les rendre agréables à l’œil. La présentation basique des caris, dans un restaurant comme celui-là, ne devrait plus être la norme. Sans aller jusqu’à transformer les plats en œuvre d’art, quelques petites touches de décoration ne seraient pas de trop, comme par exemple un léger habillage de l’assiette, tel que nous l’avons vu la semaine dernière au « Ptit Zinc ».

Addition : une soixantaine d’euros pour deux personnes, tout compris. Le rapport qualité-prix est assez correct.

Le Relais des Cimes à Hell-Bourg a été mis en gérance par son propriétaire, mais en cuisine, c’est Gilbert Elisabeth qui œuvre. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il nous a régalé aujourd’hui. Même si certains détails sont à améliorer. Voilà de la bien belle cuisine créole, goûteuse, respectueuse de la tradition et aussi inventive avec des plats qui sortent de l’ordinaire. L’accueil et le service sont satisfaisants, en dépit de quelques petits écarts comme l’eau non proposée et oubliée.

Ce vieil établissement a donc encore de sérieux atouts et, culinairement en tout cas, représente bien notre île auprès des touristes. Tout cela lui vaut, aujourd’hui, une très belle fourchette en argent.

 
Pour résumer : 
Accueil : Très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : aucune
Service : bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix : bon.
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent

Le P’tit zinc

C’est par un beau 15 août marital que nous décidons d’aller visiter le restaurant « Le Ptit zinc », installé sur la traversante de Saint-Gilles. La vieille bâtisse à étage qui abrite l’établissement ne manque pas d’un certain charme. Quelques tables sont au rez-de-chaussée, mais l’essentiel est au premier dans une jolie salle d’une cinquantaine de couverts, d’où transpire l’ambiance agréable et nostalgique des lieux patinés par le temps.

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C’est le patron lui-même qui assure le service en ce jour chômé du personnel. Il nous propose une table et un apéritif. Nous ouvrons la carte.

Onze plats métros côtoient neuf plats créoles assez classiques (du massalé cabri au cari de camarons), accompagnés de rougails divers « selon saison ». Les entrées sont majoritairement créoles. Une formule complète, entrée-plat-dessert est proposée à 25 €. Ce qui paraît un tarif raisonnable pour la station balnéaire.

Nous arrêtons notre choix sur la salade de palmiste frais et sur le boudin créole aux achards de légumes pour l’entrée, et poursuivrons la dégustation avec un cari Ti-jacques boucané, un cabri massalé et un cari de poulet péi « aux épices de kaloupilé ». C’est parti.

Le service est rapide. Les entrées sont bien présentées. La salade de palmiste est croquante à souhait, et déploie sa saveur subtile et lactée soutenue par un assaisonnement léger qui alterne acidité citronnée et douceur d’ananas. Le palmiste est présenté tranché un peu au hasard ce qui a l’avantage d’augmenter le plaisir de la mastication.

Le boudin créole pour sa part se défend bien. À des lieues de ses congénères pâteux et passablement secs, tels que l’on peut en trouver même dans des charcuteries réputées, celui-ci est tout à fait onctueux, souple, et respire l’oignon vert avec une attaque pimentée respectable. En revanche, certains morceaux s’avèrent salés et d’autres pas du tout, et un arrière-goût de vieux cochon revient de temps à autre. Rien de méchant toutefois, d’autant que l’achard est délicieux, curcumaté comme il faut et bien croquant.

Et puis ça se gâte.

Le cabri massalé est en dessous de tout. D’entrée de jeu, un examen attentif de la marmite laisse apparaître une viande au rabais, de troisième choix, où les morceaux de chair sont rares comme des letchis au mois d’août. À la place : du gras, du cartilage, baignant dans une sauce au massalé éteint et de toute façon atomisé par une dose de sel invraisemblable. Appeler cette chose « massalé cabri » relève de l’injure.

Le cari de poulet est bien mieux préparé. La sauce au kaloupilé dominant qui l’imbibe est assez intéressante. Comme un clin d’œil gustatif et olfactif aux origines du mot « cari » : le ragoût indien « Kari ». Tout aurait été presque parfait s’il n’y avait erreur sur la marchandise. En effet, le poulet « pei » annoncé sur la carte est retroussé des cuisses, décharné de la viande, et vulgaire comme un gros mot. La dégustation confirme indubitablement ce que la vue annonce : c’est du poulet de batterie, même pas fermier. Loin de nous l’idée de supposer une volonté délibérée de prendre les clients pour des cloches, chose qui marcherait (peut-être) avec le touriste béotien, mais en aucun cas avec des Créoles « la cour ». Ils auront été en rupture de stock. Mais dans ce cas, il aurait été plus indiqué de signaler l’absence du plat.

Le cari de ti-Jacques sauve l’honneur. Malgré la présence d’un boucané standard sans intérêt notoire, le fruit vert est bien cuit, fondant, avec un léger gras glissant qui dégage un fumet appétissant. L’ensemble est honnête.

Les accompagnements sont à peu près fréquentables. Bon riz, des pois du Cap écrasés en vitesse mais corrects, un rougail tomate un peu fade peut-être et un rougail Dakatine froid.

Seules les brèdes chouchou sont risibles. Archi cuites, avec trois tonnes de sel et de gingembre, elles sont posées sur l’assiette avec leurs serpentins et leurs filasses. Incroyable. Ces brèdes ne sont pas triées ! 

Nous finissons sur un gâteau patate, une crème brûlée et un fondant au chocolat. Si la crème brûlée se défend bien, le reste est décevant. La pâtisserie au chocolat est avachie et n’a de moelleux que le nom. Le gâteau de patate, s’il est plutôt bon et parfumé, affiche une texture épaisse éloquemment qualifiée par certains Réunionnais de « comblage ».

Addition : 90 € et des feuilles de kaloupilé pour trois Créoles, soit 30 € par tête tout compris. Un tarif en soi acceptable compte tenu de la Saint-gilloisité du restaurant et des quantités, mais le rapport qualité-prix, aujourd’hui, n’est pas bon.

Après ce repas mi figue, mi raisin, le patron nous pose la classique question, « ça s’est bien passé ?« . Non. Pas vraiment. Pour d’autres ce l’eut pu, mais nous sommes là pour faire les difficiles et les exigeants, à plus forte raison dans un lieu comme celui-là, en pleine zone balnéaire, en première ligne du tourisme, et qui donc, conséquemment, prétend faire découvrir la gastronomie créole à ceux qui ne la connaissent pas. Et là-dessus, le tôlier, un ancien de la restauration, nous apprend qu’il vient de reprendre l’affaire il y a quatre mois, et qu’il a renouvelé tout le personnel. À l’énumération des griefs, l’homme semble comme tomber des nues. Il nous remercie de nos remarques et affirme qu’il les prendra en compte. Sur quoi nous promettons de revenir dans quelques mois. Nous partons avec le furieux sentiment que quelque chose ne colle pas en cuisine. Nous sentons comme un vague relent de je-m’en-foutisme assorti d’une politique de rentabilité au détriment de la qualité. Il n’est guère bon de commencer une activité dans ces conditions, et compte tenu de ce fait, nous accordons au Ptit Zinc le bénéfice du doute. Nous espérons que notre alerte portera ses fruits, mais pour l’heure nous ne pouvons attribuer à cet établissement qu’une fourchette en inox.

Pour résumer : 
Accueil : Très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : très bien
Service : bien • Qualité des plats : très moyens • Rapport qualité-prix : mauvais.
Impression globale : très moyen
Fourchette en inox