Piton-Sainte-Rose, Bois-Blanc, le Tremblet, Saint-Philippe, le Baril, Cap Méchant… sur cet itinéraire où le vert des forêts se marie avec le gris-noir du basalte et le bleu profond de l’océan, nombre de restaurants ont vu le jour ces dernières années. Nous en avons testé quelques-uns, parfois avec bonheur, mais nous avons aussi eu de mauvaises surprises. Le Cap Méchant, le Jardin des délices (fermé depuis), le Vieux port ont compté parmi les meilleures notes. Mais nous n’avons pas succombé au charme sauvage du grand Sud jusqu’à applaudir toutes les cuisines. Aujourd’hui, nous atterrissons presque par accident au Restaurant des laves, à la sortie sud du Tremblet.
L’établissement consiste en une grande terrasse aérée, pouvant accueillir au moins une centaine de convives. Le décor est simple et rustique, la salle est propre, mais les alentours immédiats souffrent de la présence d’objets hétéroclites et usagés envahis par les herbes, à peine cachés. On ne le remarque que si on y fait attention, mais c’est un peu négligé. La carte est au tableau, lequel annonce le buffet que le personnel installe juste avant le service de midi.
Porc palmiste, boucané au chou de vacoa, canard à la vanille, poulet rôti, cabri massalé, cari la patte cochon et cari de poisson sont au menu du jour, plus une salade de palmiste sur commande.
La clientèle arrive par paquets, des groupes qui emplissent rapidement le restaurant. C’est bientôt complet. Cette affluence augurerait-elle la réputation de caris goûteux ? C’est ce que nous allons voir. En attendant, une queue conséquente se forme pendant laquelle nous attaquons la salade de palmistes servie à table.
L’affaire est livrée brute de décoffrage : point de décorum, rien. Du foin dans une auge. Fort heureusement, la salade est à peu près correctement assaisonnée. Le Palmiste respire et offre son arrière goût lacté typique, quoique timidement.
Nous terminons l’assiette et jetons un œil sur la queue qui a quelque peu diminué.
Entrons en scène.
Nous laissons le gratin à l’aspect flasque et goûtons les caris l’un après l’autre. Chacun d’entre eux offrant ses propres saveurs aux appétits d’une clientèle hétéroclite, principalement locale, pour autant que nous pouvons voir. Et à la fin, nous restons pour le moins interdits.
Un cari tire son épingle de ce jeu de dupe : le canard à la vanille. Cela est sans conteste le résultat de sa condition de canard, d’un passage à la marmite qui a saisi les sucs et le sucre, le tout emballé d’une vanille bavarde et joyeuse. Et puis c’est tout.
En effet, inutile de vous faire l’article, cher lecteur, sur la puissante malabarité d’un cabri savoureux, sur l’onctuosité teintée de fermeté d’une patte cochon parfumée, sur la généalogie d’un poulet goûteux, sur la délicatesse iodée d’un bon poisson frais enrobée dans sa belle sauce collante, sur le mariage réussi du porc ou du boucané avec le palmiste ou le vacoa, fussent-ils tranchés du matin… non, tout cela ne serait que discours creux et billevesée. A la place, faisons plutôt état de saveurs d’une banalité affligeante, qui ne méritent certainement pas les kilomètres que nous avons parcourus, canard excepté donc. Des saveurs qui ont certainement fondu avec la tenue des chairs respectives, indubitablement trop cuites, nonobstant les doutes du personnel à qui nous faisons la remarque. En effet, les caris, probablement déjà avachis au service, reçoivent le coup de grâce aux chauffe-plats, en continuant à cuire. A l’arrivée, nous avons donc du poulet rôti qui « large le corps », de la compote de patte cochon, de la bouillie de cabri massalé, et du potage de poisson. Le boucané et le porc tenant un peu mieux mais sans faire d’étincelles gustativement parlant. Ce buffet pour édenté, sans éclat, se termine par une tarte tatin très ordinaire qui ne nous console guère.
Nous demeurons donc interdits, encore, devant les compliments dithyrambiques d’un quidam repu à l’adresse du chef, avec le sourire reconnaissant du personnel. « Tout était très bon, magnifique » beugle-t-il. De trois choses l’une : où bien nous sommes trop exigeants, ou bien les gens ont oublié ce qu’est la vraie cuisine créole, ou bien à l’instar de l’homme en question, allez savoir, certains laissent de l’hypocrisie en pourboire.
Ceci étant dit, ce buffet à volonté se chiffre à 15 euros. Ce qui est fort dommage quand la volonté laisse place à la déception. Addition pour trois adultes et un enfant, avec la salade et les boissons : plus de 75 euros ! Un tarif touristique pour une qualité étique.
« Moi j’aime bien manger à la cantine, avec mes copains et mes copines », cette chanson du regretté Carlos sied tout à fait au restaurant des laves. Une cantine où il est sans doute agréable de prendre la pause déjeuner en groupe, en famille, avec le plaisir de mettre les pieds sous la table sans avoir à faire la vaisselle, l’appétit aiguisé par la balade et cette belle région de notre île. Le nôtre ne devait pas être assez aiguisé, il faut croire. Pour autant, ne pas reconnaître que les plats offerts ce jour sont sur-cuits relève de la mauvaise foi caractérisée. Pour le goût, le niveau est insuffisant. La quantité est privilégiée à la qualité. C’est un choix. Pour notre part, nous préférons les restaurants où l’on déguste les plats, pas où on les bouffe, parce qu’à l’arrivée, c’est notre portefeuille qui déguste. Certains snacks proposent des barquettes à 6 euros meilleures que ça. Mais bien sûr ceci n’est que notre avis, et visiblement, beaucoup d’autres pensent différemment, si l’on en croit la fréquentation de l’endroit. Un avis qui nous fait quand même délivrer au Restaurant des Laves une pâle fourchette en inox, au parfum de plastique.
Pour résumer : Accueil : Bien • Cadre : bien • Présentation des plats: buffet• Service: bon • Qualité des plats : très moyen • Rapport qualité-prix: mauvais
Une réflexion sur “A la « cantine » des laves”