Chez Jim, une perle à Langevin

P1000657okLes berges de la rivière Langevin sont aux week-end sudistes ce que le combava est au rougail tomate : un moment de fraîcheur verte qui ouvre l’appétit. Certains ne s’y sont pas trompés : les restaurants ont poussé aux alentours comme des champignons dans un tas de géranium après la cuite.

C’est dans le premier né d’entre eux, « Chez Jim », que nous « prenons un asseoir », par un samedi bien frais de juillet, accueillis avec un large sourire par la patronne dans une grande salle aux tables éparses, au fond de laquelle la lumière du jour n’entre pas. A droite en entrant, une autre salle est fermée d’un côté par un grand bar en bois où trônent des rhums arrangés, et bordée de l’autre par un petit jardin décoratif propre à enchanter les férus de plantes vertes. A gauche de l’entrée, on trouve un comptoir pour la vente à emporter, quelques tables et un bassin donnant sur une petite cour extérieure où la nature prend ses aises.
Ici, point de carte à rallonge. Quatre caris nous sont proposés.
Nous testerons l’andouille aux bringelles (en ville on appelle ça le payeur de contredanse) et le cari de poulet dont l’odeur nous a capté les sinus depuis les cuisines, comme les personnages de Tex Avery. En prime, peut-être à cause de notre hésitation, la patronne nous emmène un peu de rougail boucané aux pommes-en-l’air (ou Hoffe), légumes lontan qu’on retrouve dans les marchés forains, et qui fait plutôt bonne figure. Attaquons.

P1000682okLe cari de poulet n’est pas sans nous rappeler celui de « Gros Louis » naguère dégusté. Il est du même genre : du poulet péi, ferme, au parfum profond et fumé évoquant la cuisine au feu de bois. La sauce est tout de même présente, quoiqu’en petite quantité. En bouche on retrouve toutes les saveurs d’une cuisson orthodoxe de la viande dans ses épices roussies, avec un poivré franc, un sel poli, et un thym frit. Superbe.

P1000683okL’andouille est de la même trempe. La charcuterie batifole joyeusement avec la bringelle dans une danse harmonieuse tant en terme de texture qu’en terme de saveurs.
Le légume nous laisse un léger piquant derrière, avec de la longueur, signe qu’il s’agit là non pas de la bringelle gonflée pour faire du rendement, mais bien de la petite longue au goût prononcé, qui a poussé seulement avec la pluie, le soleil, et la bienveillance de son maraîcher. Heureusement qu’elle a du caractère d’ailleurs, parce que l’andouille en manque un peu. Non pas intrinsèquement, mais plus certainement pour cause de trempage prolongé plus que le nécessaire dans l’eau bouillante.

On retrouve le même défaut dans le boucané. Celui-ci bénéficie aussi du soutien de son légume. La pomme-en-l’air est en effet délicieuse. Elle a capté tout de même un peu de fumet de la charcuterie, comme une épargne, et nous la restitue avec sa propre essence, sorte d’humeur doucâtre vaguement fleurie, évoquant un peu le pimpin dans ses atours. Le pomme-en-l’air est d’autant plus savoureuse que sa texture est peu dense. La sensation sous la dent est agréable quand elle s’y frotte. En un mot : le boucané y gagne en patate !

Le riz est correct, dommage que le rougail soit fait au mixeur. Un bon rougail tomate au pilon eut été plus circonstancié. Les grains flottaient un peu.

Pas de desserts à part les glaces industrielles classiques. Nous déclinons donc au bénéfice d’un café.

La patronne nous apporte la note, le temps de trotter à droite et à gauche pour servir les nouveaux arrivants. 26 euros et des pelures de Hoffe pour deux personnes, apéritif compris, soit 13 euros par tête de yab. Un rapport qualité-prix à rendre verts les restos créoles des villes.

P1000669okChez Jim est ce genre de restaurant familial sans prétention, qui cultive avec assiduité l’accueil et la tradition culinaire réunionnaise d’autrefois. L’endroit n’a pas encore été touché par les sirènes de la rentabilité à tout prix, et cela se sent dans l’assiette et sur l’addition. Quelques étourderies sont relevées, sans doute imputables aux occupations nombreuses d’une gérante au four, au moulin et au comptoir, mais sans conséquences si elles sont corrigées. Attention quand même à ne pas s’endormir à la faveur des périodes de creux, car la clientèle même peu nombreuse a tendance à rapporter ses expériences. Quid du service en cas d’affluence ? Nous nous posons la question. Et attention aussi à la propreté. Une salle de restaurant se doit d’être nickel, tous les jours que Dieu fait, et cela inclut les vitres.
Rien de bien méchant heureusement. Pour sa cuisine généreuse et authentique, ainsi que son hospitalité, nous avons le plaisir de décerner au restaurant « Chez Jim » une superbe fourchette en argent avec recommandation de l’équipe.

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Fourchettes

Pour résumer : Accueil: très bien • Cadre : bien • Présentation des plats: moyen • Service: très bien • Qualité des plats: très bons • Rapport qualité-prix: très correct.
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent avec recommandation

La présente critique a été réalisée le 2 juillet 2016, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.

Chez « Gros Louis »

P1000615Aujourd’hui, poussés par les alizés, nous atterrissons chez Gros Louis, rue du Four à Chaux, à Saint-Pierre. L’établissement jouit depuis plusieurs années d’une réputation certaine tant auprès des résidents que des touristes. Nous y avons déjeuné voilà trois ans, et nous étions repartis satisfaits en promettant de revenir « officiellement ». Nous y sommes.

Excepté le front de mer, la ville de Saint-Pierre le dimanche ordinaire est endormie, et le restaurant est quasiment le seul endroit ouvert des alentours. On nous y accueille avec le sourire dans une grande salle propre, autant que nous puissions en juger, mais sombre. Consultons la carte. Celle-ci, traduite en anglais, commence par un petit historique de l’établissement suivi de sa philosophie : « Des plats traditionnels servis avec l’âme du restaurant, lieu de rencontre garni d’amour » (sic !), Bien. Nous nous pourléchons d’avance dans ce « restaurant, figure emblématique de Saint-Pierre. »

Cinq entrées, et … vingt-cinq plats ! Tout garni d’amour qu’il soit, l’établissement a intérêt à être garni de marmitons, à moins que ce ne soit de congélateurs… Mais ne jouons pas déjà aux esprits chagrins. Voyons voir si, par exemple, le cari de poulet « pays » et le ti jacques boucané valent le déplacement.

Le service est efficace, plûtot professionnel, et très très rapide. Nous avons à peine le temps d’écluser le houblon que les caris apparaissent. Les cuisines sont bien garnies en fours aussi, apparemment. Le repas commence. Un repas dichotomique, où nous avons affaire au pire et au (presque) meilleur.

P1000606Le pire, c’est le Ti-Jacque-boucané. La chose est totalement insignifiante. Le boucané a dû être bouilli une douzaine de fois, car comment expliquer autrement une absence totale de goût ? Même le fumet est éteint. Reste une chair molle, flasque, laissant en bouche l’impression de manger du carton mouillé garni de gras. Le pauvre Ti jacques ne l’aide pas beaucoup. Déjà haché « gros doigts », comme on en trouve souvent sur les marchés forains, il n’a plus aucune espèce de consistance. L’Artocarpus heterophyllus essaie de présenter un vague souvenir de sa saveur, comme un arrière goût acide-amer, avec un fond d’épice fantomatique, mais congélation plus réchauffage ne lui ont visiblement pas réussi, un excès de flotte dans la marmite en étant sans doute la prima causa.

P1000607Passons au poulet. Le meilleur. Soulignons d’abord l’honnêteté du restaurant qui propose deux caris de poulet, dont l’un estampillé « pays », et plus cher. A la vue, le gallinacé semble bel et bien avoir vécu sous nos cieux. La sauce est inexistante ou peu s’en faut, les morceaux sont secs comme un coup de trique, parsemés de persil haché qui adhèrent sur la pellicule d’huile. La couleur laisse deviner le caractère du plat : franc et authentique. La dégustation confirme ce premier ressenti. Au nez monte le fumet magnifique de fond de marmite qui habille le poulet cuit dans ses épices roussies, à la traditionnelle, sans tomate. Même si la chair est un peu raide, elle se laisse aisément mastiquer, relevée par un persil joyeux et fringuant. Afin de l’apprécier au mieux, nous eussions aimé tâter de sa cuisse, mais le sort en a décidé autrement. A la place nous pouvons apprécier à leur juste valeur les morceaux de foie et de gésier, forts goûtus.

Les accompagnements sont à peu près corrects, y compris les grains qui ont probablement attaché au fond, vu l’odeur, et beaucoup trop curcumatés. Pas de brèdes. On nous propose des desserts, assez classiques, mais nous déclinons. Addition : une trentaine d’euros boissons comprises. Soit quinze euros par tête. Le rapport qualité-prix global n’est pas bon.

Que dire ? Nous avons une nouvelle fois la démonstration que proposer une carte pléthorique comporte des inconvénients comme celui de dénaturer davantage certains plats faits à la va-vite. Fonctionner comme cela peut s’entendre en terme de rentabilité, mais où est l’authenticité réunionnaise là-dedans ? A ce compte là, Gros Louis et beaucoup d’autres pourraient très bien dans le futur se transformer en distributeurs automatiques de caris réchauffés, quelle différence cela ferait ? Une belle économie de personnel en tout cas. Et puis, tant qu’à faire, pourquoi se fatiguer à cuisiner puisqu’on propose les mêmes plats qu’ailleurs pour l’essentiel ? Une cuisine centrale pourrait faire l’affaire ! On fait les caris à la chaîne, puis ont les expédie par camion réfrigéré dans tous les restaurants, qui les réchauffent avant de les mettre dans le distributeur (C’est peu ou prou ce que font déjà certains).
C’est très bien de se targuer d’être « le patrimoine » de Saint-Pierre, mais il faudrait peut-être faire en sorte que le patrimoine évite de présenter à ses clients des sous-caris, histoire de ne pas reléguer la qualité de notre gastronomie au musée, et de ne pas tromper le touriste ! Fort heureusement, le cari de poulet pays nous laisse quelqu’espoir que cela n’est pas le cas. Pas encore complètement du moins. Entre un plat qui mérite une fourchette en plastique et un autre qui tutoie la fourchette en argent « plus », nous coupons la poire en deux : ce sera une fourchette en inox aujourd’hui pour le restaurant « Chez Gros Louis », qui, nous en sommes certains, sait faire mieux que ça.

Pour résumer : Accueil: bien • Cadre : moyen • Présentation des plats: bienfinoxService: très bien • Qualité des plats: mauvais / bons • Rapport qualité-prix: mauvais.
Impression globale : table moyenne
Fourchette en inox

La présente critique a été réalisée le 26 juin 2016, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.