Aujourd’hui, poussés par les alizés, nous atterrissons chez Gros Louis, rue du Four à Chaux, à Saint-Pierre. L’établissement jouit depuis plusieurs années d’une réputation certaine tant auprès des résidents que des touristes. Nous y avons déjeuné voilà trois ans, et nous étions repartis satisfaits en promettant de revenir « officiellement ». Nous y sommes.
Excepté le front de mer, la ville de Saint-Pierre le dimanche ordinaire est endormie, et le restaurant est quasiment le seul endroit ouvert des alentours. On nous y accueille avec le sourire dans une grande salle propre, autant que nous puissions en juger, mais sombre. Consultons la carte. Celle-ci, traduite en anglais, commence par un petit historique de l’établissement suivi de sa philosophie : « Des plats traditionnels servis avec l’âme du restaurant, lieu de rencontre garni d’amour » (sic !), Bien. Nous nous pourléchons d’avance dans ce « restaurant, figure emblématique de Saint-Pierre. »
Cinq entrées, et … vingt-cinq plats ! Tout garni d’amour qu’il soit, l’établissement a intérêt à être garni de marmitons, à moins que ce ne soit de congélateurs… Mais ne jouons pas déjà aux esprits chagrins. Voyons voir si, par exemple, le cari de poulet « pays » et le ti jacques boucané valent le déplacement.
Le service est efficace, plûtot professionnel, et très très rapide. Nous avons à peine le temps d’écluser le houblon que les caris apparaissent. Les cuisines sont bien garnies en fours aussi, apparemment. Le repas commence. Un repas dichotomique, où nous avons affaire au pire et au (presque) meilleur.
Le pire, c’est le Ti-Jacque-boucané. La chose est totalement insignifiante. Le boucané a dû être bouilli une douzaine de fois, car comment expliquer autrement une absence totale de goût ? Même le fumet est éteint. Reste une chair molle, flasque, laissant en bouche l’impression de manger du carton mouillé garni de gras. Le pauvre Ti jacques ne l’aide pas beaucoup. Déjà haché « gros doigts », comme on en trouve souvent sur les marchés forains, il n’a plus aucune espèce de consistance. L’Artocarpus heterophyllus essaie de présenter un vague souvenir de sa saveur, comme un arrière goût acide-amer, avec un fond d’épice fantomatique, mais congélation plus réchauffage ne lui ont visiblement pas réussi, un excès de flotte dans la marmite en étant sans doute la prima causa.
Passons au poulet. Le meilleur. Soulignons d’abord l’honnêteté du restaurant qui propose deux caris de poulet, dont l’un estampillé « pays », et plus cher. A la vue, le gallinacé semble bel et bien avoir vécu sous nos cieux. La sauce est inexistante ou peu s’en faut, les morceaux sont secs comme un coup de trique, parsemés de persil haché qui adhèrent sur la pellicule d’huile. La couleur laisse deviner le caractère du plat : franc et authentique. La dégustation confirme ce premier ressenti. Au nez monte le fumet magnifique de fond de marmite qui habille le poulet cuit dans ses épices roussies, à la traditionnelle, sans tomate. Même si la chair est un peu raide, elle se laisse aisément mastiquer, relevée par un persil joyeux et fringuant. Afin de l’apprécier au mieux, nous eussions aimé tâter de sa cuisse, mais le sort en a décidé autrement. A la place nous pouvons apprécier à leur juste valeur les morceaux de foie et de gésier, forts goûtus.
Les accompagnements sont à peu près corrects, y compris les grains qui ont probablement attaché au fond, vu l’odeur, et beaucoup trop curcumatés. Pas de brèdes. On nous propose des desserts, assez classiques, mais nous déclinons. Addition : une trentaine d’euros boissons comprises. Soit quinze euros par tête. Le rapport qualité-prix global n’est pas bon.
Que dire ? Nous avons une nouvelle fois la démonstration que proposer une carte pléthorique comporte des inconvénients comme celui de dénaturer davantage certains plats faits à la va-vite. Fonctionner comme cela peut s’entendre en terme de rentabilité, mais où est l’authenticité réunionnaise là-dedans ? A ce compte là, Gros Louis et beaucoup d’autres pourraient très bien dans le futur se transformer en distributeurs automatiques de caris réchauffés, quelle différence cela ferait ? Une belle économie de personnel en tout cas. Et puis, tant qu’à faire, pourquoi se fatiguer à cuisiner puisqu’on propose les mêmes plats qu’ailleurs pour l’essentiel ? Une cuisine centrale pourrait faire l’affaire ! On fait les caris à la chaîne, puis ont les expédie par camion réfrigéré dans tous les restaurants, qui les réchauffent avant de les mettre dans le distributeur (C’est peu ou prou ce que font déjà certains).
C’est très bien de se targuer d’être « le patrimoine » de Saint-Pierre, mais il faudrait peut-être faire en sorte que le patrimoine évite de présenter à ses clients des sous-caris, histoire de ne pas reléguer la qualité de notre gastronomie au musée, et de ne pas tromper le touriste ! Fort heureusement, le cari de poulet pays nous laisse quelqu’espoir que cela n’est pas le cas. Pas encore complètement du moins. Entre un plat qui mérite une fourchette en plastique et un autre qui tutoie la fourchette en argent « plus », nous coupons la poire en deux : ce sera une fourchette en inox aujourd’hui pour le restaurant « Chez Gros Louis », qui, nous en sommes certains, sait faire mieux que ça.
Pour résumer : Accueil: bien • Cadre : moyen • Présentation des plats: bienService: très bien • Qualité des plats: mauvais / bons • Rapport qualité-prix: mauvais.
Impression globale : table moyenne
Fourchette en inox
Très bon restaurant avec cuisine locale. Personnel sympathique. Service rapide et grand parking juste devant le resto. Mention spéciale pour le ti-punch servi comme aux Antilles (sans glaçon), rare à Saint-Pierre. Même avec le rhum local c’est un délice !!
J’aimeJ’aime