Le Moulin à eau

Le Tour des Roches. Une route agréable, un paysage dépaysant, un quartier tranquille à deux pas de la ville avec sa fameuse roue, vestige du moulin à manioc datant du XIXe siè- cle, qui plonge dans son petit bassin d’eau courante, entouré de songes. Enfin… tout cela dès lors que vous avez laissé derrière vous les embouteillages de Savanna. Ou alors faites le tour, pour aller au Tour.

P1000905« Le Moulin à eau » puisqu’ainsi se dénomme-t-il (on se demande pourquoi !) se situe à cinquante mètres de la roue. Un petit restaurant de quartier comme on en voit un peu partout, mais qui, de part sa situation, gagne un je ne sais quoi de plus traditionnel et authentique. Nous y faisons halte, histoire de voir de quoi il retourne vraiment dans les assiettes. Déjà, au niveau plat du jour, on ne peut pas dire qu’il y a l’embarras du choix : trois caris sont inscrits à l’ardoise : un briani poulet, un rougail saucisse fumées et des camarons au palmiste. Percé met’ sec. Cela nous convient parfaitement. La terrasse ouverte, et couverte, comporte quelques tables et chaises en plastique, dont certaines sont recouvertes d’une nappe cirée, avec des couverts prêts à servir. À gauche du bar, quelques citoyens du coin devisent des nouvelles du quartier et d’ailleurs, en sirotant notre Dodo nationale. Une jeune dame souriante nous accueille fort urbainement, et nous posons aussitôt nos séants après avoir commandé les saucisses et le briani, avec des rinces-gosier. Service dans les assiettes, assez fournies. C’est parti. Commençons par l’indianité.

P1000898Ce n’est déjà pas commun de trouver un briani dans ce genre de restaurant. Une preuve que le chef ne se cantonne pas à la cuisine réunionnaise traditionnelle, et cher-che même à améliorer l’ordinaire, comme disait l’adjudant, si on regarde l’accommodement des camarons. Le briani reflue à plein nez le safran et le cumin, comme de juste, et pas de surprise en bouche non plus, si ce n’est peut-être la relative sécheresse du riz basmati. Les morceaux de poulet sont quant à eux assez tendres et moelleux, à l’inverse de ce qu’ils laissaient penser à première vue. Il manque dans cette affaire tout un tas d’ingrédients que les « cousins » mauriciens rajoutent à tour de bras, mais enfin la base est là. À vrai dire c’est même meilleur que des tout-venant estampillés « briani  », gras et lourds, qu’on a pu ingurgiter dans des restaurants (soi-disant) indiens par ailleurs. Passons au rougail.

P1000900Le rougail saucisses fumées (de chez Salaisons de B., nous nous sommes renseignés) arbore une belle robe rouge cramoisie qui dégage son humeur acide et poivrée teintée du fumet entêtant de la charcuterie. Texture moulue, peau légèrement cassante, poivre causant et sel maîtrisé, les saucisses ne nous surprennent pas mais ne déçoivent pas non plus. Avec le riz basmati, toujours sec, les honnêtes lentilles et le petit rougail tomate clinquant, le plat se mange sans faim, et encore mieux avec ! Davantage encore, supposons-nous, quand on a dans les jambes quelques kilomètres comme la brochette de cyclistes qui arrive pendant que nous finissons les cônes glacés du dessert.

Alors bien sûr, quelques pisse-froids objecteront de l’inintérêt de faire la route pour manger un rougail saucisses parce que « lé plu meyeur mon kaz »… sans voir que le rougail saucisses n’est d’abord pas seul, mais qu’en l’espèce il fait partie d’un tout. D’une ambiance. D’une atmosphère particulière attachée à ces lieux chargés d’histoire. Et tout cela pour vingt et un euros pour deux personnes, tout compris. Qui dit mieux ?

Le Moulin a eau n’a rien à prouver à personne. Il ne traîne pas dans la cour des snacks qui essaient de se la jouer restaurant touristique comme grenouille cherchant à se faire bœuf. L’accueil est souriant, la cuisine est correcte, les lieux sont propres, quoi demander de plus, surtout après une belle balade pedibus cum jambis dans les alentours  ? Pour sa cuisine simple et bonne, pour son accueil, pour son cachet, et pour son rapport qualité-prix, nous attribuons au Moulin à eau une très jolie fourchette en argent.

FourchettesPour résumer : Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats: bien • Service: très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix: très correct.
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent 

La présente critique a été réalisée le 6 août 2016, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.

L’Auberge Guimard

Mare longue. Longue aussi est la route pour y aller quand on n’habite pas le Sud Sauvage, et c’est avec soulagement et plaisir qu’on profite d’abord du bon air de la forêt primaire, où s’épanouissent les lianes de vanille accrochées aux arbres. L’auberge de campagne « Chez Guimard », au creux de cette luxuriante verdure, jouxte le jardin des épices.

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Nous avons compté une soixantaine de couverts, mais l’Auberge peut accueillir sans doute davantage de convives.

Du bâtiment on ne peut avoir de vue d’ensemble, mais l’intérieur est accueillant. Les tables déjà apprêtées attendent les convives qui ont réservé, bien sûr. Nous arrivons vers 11h50 et… pas âme qui vive. Nos appels restent sans réponse. Nous vaquons un peu dans les alentours, puis revenons à la charge et un jeune homme nous accueille et nous place. Midi sonne, les minutes passent, puis une jeune fille nous apporte les punchs, dans des bocaux à partager entre les tables, suivis de beignets maïs. Nous trouvons les sourires rares et crispés. L’hospitalité est plutôt en mode minimal : polie mais sans joie. Cela se détendra peu à peu avec l’arrivée des autres clients. Les aurions-nous dérangés dans leurs préparatifs en arrivant de bonne heure ? Ou sont-ce là les dommages collatéraux de quelques libations de la veille ? Des questions qui finiront par se diluer dans les excellents punchs coco, passion, et autre mûre. Pour éponger un peu, et faire patienter nos estomacs où résonnent les échos de la faim, les beignets de maïs sont mis à contribution. On sent peu le maïs. On s’y attendait.

 

P1000793La salade de palmiste ouvre le bal. Et de belle façon. Rarement eûment-nous le plaisir de déguster un palmiste aussi enjoué, par l’entremise d’un assaisonnement juste, qui joue son rôle à plein, à savoir valoriser la saveur du produit, lequel, judicieusement découpé, nous procure en bouche les sensations plaisantes d’un croquant délicat. Les caris arrivent assez rapidement. Le coq péi à la crème de combava et le cari de porc aux palmistes sont accompagnés de trois rougails : dakatine, concombre et tomate- cotomili, de pois du Cap, de brèdes choux-de-Chine, d’un achard de chou de vacoa et du riz en quantité juste.

P1000806Place au coq. Indéniablement, le réveil-matin des basse-cours, a été élevé à la traditionnelle. Vu les muscles, il a même couru la poule et a gardé de sa fermeté au fond de la marmite. Sa saveur en revanche est trop écrasée par un combava bavard, pour ne pas dire envahissant. C’est bien dommage. La sauce en crème légère aurait fait merveille si les sucs des os sucés sautaient aux sinus sans sourciller, par le riz interposé. Les quelques chips de patates douces par dessus font trop de figuration. Nous eussions aimé apprécier davantage leur croustillance sucrée.

P1000803Passons donc au porc. Belle viande moelleuse mais sans excès, qui autorise les sensations masticatoires pour-voyeuses de saveurs franches, un peu sauvages, poivrées, soutenues par une sauce de cari parfaite. Hélas, le palmiste n’en profite pas. Si celui-ci est parfaitement cuit, il a n’a pas dû tremper assez longtemps pour boire convenablement le nectar du roussi d’épices. A la place, il ne rend que des saveurs incomplètes et assez frustrantes. De son côté l’achard de chou de vacoa donne du croquant à souhait, avec une petite acidité intéressante, mais s’avère hélas atomisé par un assaisonnement curcumaté à la bétonneuse.

P1000790Fort heureusement les rougails viennent à la rescousse. Les tomates sont odorantes et capiteuses, bien aidées par un cotomili joyeux ; le dakatine caresse le coq pour contrebalancer le combava ; le concombre apporte son croquant juteux au porc esseulé. Là-dessus, les bonnes brèdes sautées, d’un vert éclatant et d’un croquant magnifique, donnent de leur amertume parfumée en complément des pois du Cap soyeux. L’excellent riz tourné à la graisse de canard nous aurait pour sa part rappelé le riz chauffé des familles s’il avait bénéficié d’une once de piment vert et d’un « croûtage » accentué. Les plats disparaissent en laissant cette impression fugace d’avoir déjà mangé mieux, mais sans regret quand même.
U
n bon gâteau de chouchou et coulis de goyavier, léger, vient mettre un terme à ce repas, avec délicatesse. Total de l’opération : 25 euros par personne. Très bon rapport qualité-quantité-prix.

P1000814L’auberge Guimard existe depuis plus de trente ans. Saluons ici cette longévité qui demeure une référence, malgré quelques poux et lantes que notre exigence va chercher dans la tête des restaurants, surtout quand ils sont bons. Pour la bonne cause. Car ces quelques accidents de poignet de la part du chef assaisonnant ses cari et achard ne masquent pas la qualité certaine de sa cuisine, tant dans le choix des produits que dans la réalisation des plats. Le sel bien maîtrisé en est la première preuve. Nous vous invitons à vous faire votre propre opinion en allant chez les Guimard, à l’occasion d’une balade dans le Sud sauvage, avec réservation obligatoire. Prochaine adresse du genre au programme : Les Palmiers, dont la patronne a eu les récents honneurs de notre émérite confrère Kasprowicz, qui prend du plaisir dans les mets.

P1000780La beigne aux beignets

De nombreuses tables d’hôtes et auberges proposent en amuses-bouches des beignets. A la capucine, au chouchou, aux brèdes, au maïs (comme ici), au songe, ou au géranium (spécialité du Maïdo), une variété qui attise légitimement une curiosité gustative de la part des clients, mais qui, souvent, aboutit dans l’emsemble à rien, ou pas grand chose, sinon a trouver un goût de … beignet. Comprenez de pâte frite, si le produit lui-même n’est pas fort en goût. Dès lors on ne voit pas bien l’intérêt d’une telle variété de beignets s’ils ont tous au final la même saveur, ou peu s’en faut.
Tremper des produits dans de l’huile bouillante n’est certes pas anondin, a fortiori si la quantité de pâte est trop importante, à l’image des piments farcis fades, épais et gras qu’on trouve un peu partout. Quand on interroge ceux qui les fabriquent, la réponse est unanime : « les clients aiment comme ça« .
En fait les clients aimeraient plus le goût de la pâte huileuse, et la sensation de quantité, plutôt que celui du produit lui-même. Si c’est vrai, c’est grave !
Pourtant, il y aurait matière à travailler les produits différemment pour en faire des beignets goûteux. Sans doute cela exigerait plus de temps, et faudrait-il en augmenter le prix… 

Pour résumer : Accueil: perfectible • Cadre : très bien • Présentation des plats: moyen • Service: très bien • Qualité des plats: très bons • Rapport qualité-prix: très correct.
Impression globale : très bonne table
Nous n’attribuons pas de fourchette aux Tâbles d’hôtes et aux Auberges

La présente critique a été réalisée le 23 juillet 2016, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de cette auberge et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.