Mare longue. Longue aussi est la route pour y aller quand on n’habite pas le Sud Sauvage, et c’est avec soulagement et plaisir qu’on profite d’abord du bon air de la forêt primaire, où s’épanouissent les lianes de vanille accrochées aux arbres. L’auberge de campagne « Chez Guimard », au creux de cette luxuriante verdure, jouxte le jardin des épices.

Du bâtiment on ne peut avoir de vue d’ensemble, mais l’intérieur est accueillant. Les tables déjà apprêtées attendent les convives qui ont réservé, bien sûr. Nous arrivons vers 11h50 et… pas âme qui vive. Nos appels restent sans réponse. Nous vaquons un peu dans les alentours, puis revenons à la charge et un jeune homme nous accueille et nous place. Midi sonne, les minutes passent, puis une jeune fille nous apporte les punchs, dans des bocaux à partager entre les tables, suivis de beignets maïs. Nous trouvons les sourires rares et crispés. L’hospitalité est plutôt en mode minimal : polie mais sans joie. Cela se détendra peu à peu avec l’arrivée des autres clients. Les aurions-nous dérangés dans leurs préparatifs en arrivant de bonne heure ? Ou sont-ce là les dommages collatéraux de quelques libations de la veille ? Des questions qui finiront par se diluer dans les excellents punchs coco, passion, et autre mûre. Pour éponger un peu, et faire patienter nos estomacs où résonnent les échos de la faim, les beignets de maïs sont mis à contribution. On sent peu le maïs. On s’y attendait.
La salade de palmiste ouvre le bal. Et de belle façon. Rarement eûment-nous le plaisir de déguster un palmiste aussi enjoué, par l’entremise d’un assaisonnement juste, qui joue son rôle à plein, à savoir valoriser la saveur du produit, lequel, judicieusement découpé, nous procure en bouche les sensations plaisantes d’un croquant délicat. Les caris arrivent assez rapidement. Le coq péi à la crème de combava et le cari de porc aux palmistes sont accompagnés de trois rougails : dakatine, concombre et tomate- cotomili, de pois du Cap, de brèdes choux-de-Chine, d’un achard de chou de vacoa et du riz en quantité juste.
Place au coq. Indéniablement, le réveil-matin des basse-cours, a été élevé à la traditionnelle. Vu les muscles, il a même couru la poule et a gardé de sa fermeté au fond de la marmite. Sa saveur en revanche est trop écrasée par un combava bavard, pour ne pas dire envahissant. C’est bien dommage. La sauce en crème légère aurait fait merveille si les sucs des os sucés sautaient aux sinus sans sourciller, par le riz interposé. Les quelques chips de patates douces par dessus font trop de figuration. Nous eussions aimé apprécier davantage leur croustillance sucrée.
Passons donc au porc. Belle viande moelleuse mais sans excès, qui autorise les sensations masticatoires pour-voyeuses de saveurs franches, un peu sauvages, poivrées, soutenues par une sauce de cari parfaite. Hélas, le palmiste n’en profite pas. Si celui-ci est parfaitement cuit, il a n’a pas dû tremper assez longtemps pour boire convenablement le nectar du roussi d’épices. A la place, il ne rend que des saveurs incomplètes et assez frustrantes. De son côté l’achard de chou de vacoa donne du croquant à souhait, avec une petite acidité intéressante, mais s’avère hélas atomisé par un assaisonnement curcumaté à la bétonneuse.
Fort heureusement les rougails viennent à la rescousse. Les tomates sont odorantes et capiteuses, bien aidées par un cotomili joyeux ; le dakatine caresse le coq pour contrebalancer le combava ; le concombre apporte son croquant juteux au porc esseulé. Là-dessus, les bonnes brèdes sautées, d’un vert éclatant et d’un croquant magnifique, donnent de leur amertume parfumée en complément des pois du Cap soyeux. L’excellent riz tourné à la graisse de canard nous aurait pour sa part rappelé le riz chauffé des familles s’il avait bénéficié d’une once de piment vert et d’un « croûtage » accentué. Les plats disparaissent en laissant cette impression fugace d’avoir déjà mangé mieux, mais sans regret quand même.
Un bon gâteau de chouchou et coulis de goyavier, léger, vient mettre un terme à ce repas, avec délicatesse. Total de l’opération : 25 euros par personne. Très bon rapport qualité-quantité-prix.
L’auberge Guimard existe depuis plus de trente ans. Saluons ici cette longévité qui demeure une référence, malgré quelques poux et lantes que notre exigence va chercher dans la tête des restaurants, surtout quand ils sont bons. Pour la bonne cause. Car ces quelques accidents de poignet de la part du chef assaisonnant ses cari et achard ne masquent pas la qualité certaine de sa cuisine, tant dans le choix des produits que dans la réalisation des plats. Le sel bien maîtrisé en est la première preuve. Nous vous invitons à vous faire votre propre opinion en allant chez les Guimard, à l’occasion d’une balade dans le Sud sauvage, avec réservation obligatoire. Prochaine adresse du genre au programme : Les Palmiers, dont la patronne a eu les récents honneurs de notre émérite confrère Kasprowicz, qui prend du plaisir dans les mets.
La beigne aux beignets
De nombreuses tables d’hôtes et auberges proposent en amuses-bouches des beignets. A la capucine, au chouchou, aux brèdes, au maïs (comme ici), au songe, ou au géranium (spécialité du Maïdo), une variété qui attise légitimement une curiosité gustative de la part des clients, mais qui, souvent, aboutit dans l’emsemble à rien, ou pas grand chose, sinon a trouver un goût de … beignet. Comprenez de pâte frite, si le produit lui-même n’est pas fort en goût. Dès lors on ne voit pas bien l’intérêt d’une telle variété de beignets s’ils ont tous au final la même saveur, ou peu s’en faut.
Tremper des produits dans de l’huile bouillante n’est certes pas anondin, a fortiori si la quantité de pâte est trop importante, à l’image des piments farcis fades, épais et gras qu’on trouve un peu partout. Quand on interroge ceux qui les fabriquent, la réponse est unanime : « les clients aiment comme ça« .
En fait les clients aimeraient plus le goût de la pâte huileuse, et la sensation de quantité, plutôt que celui du produit lui-même. Si c’est vrai, c’est grave !
Pourtant, il y aurait matière à travailler les produits différemment pour en faire des beignets goûteux. Sans doute cela exigerait plus de temps, et faudrait-il en augmenter le prix…
Pour résumer : Accueil: perfectible • Cadre : très bien • Présentation des plats: moyen • Service: très bien • Qualité des plats: très bons • Rapport qualité-prix: très correct.
Impression globale : très bonne table
Nous n’attribuons pas de fourchette aux Tâbles d’hôtes et aux Auberges