C’est un pur hasard qui nous conduit aujourd’hui jusqu’à la rue d’Après, et la table du Bertel, restaurant-snack-pizzeria installé en face de la station service qui fait l’angle avec la rue Bois de Nêfles, depuis quelques années, à l’initiative du sieur Lebeau.
Les plats à emporter sont proprement alignés dans leur longue vitrine, et la queue se forme déjà à 11h30, qui pour déjeuner sur place, qui pour emporter les barquettes ou les sandwichs. Ceux qui décident de rester profitent des quelques tables installées devant et sur le côté. Nous commandons nos plats et on nous les apporte en terrasse.
Nous choisissons le rougail morue (c’est vendredi), assorti de quelques cuillérées d’une version à la mangue, et un poulet au coco. Puis nous demandons un rougail saucisses à emporter. Le service est rapide et aimable, tout comme le fut l’accueil, l’assiette n’est pas une œuvre d’art mais nous saluons l’effort consenti à la présentation, avec la petite salade colorée qui offre le croquant frais très agréable avec un cari.
Le rougail morue nous avait déjà tapé dans l’oeil avec ses atours rouge-orange, coagulé par touches, et son aspect sec et luisant tout à la fois. Le riz nous est témoin : point de gras superfétatoire, nulle trace d’huile suintante. Ce rougail morue sait se tenir, et la dégustation vient le confirmer. En bouche il nous montre un moelleux de bonne facture, avec quand même la sensation de la chair sous la dent qui ne veut pas qu’on oublie qu’elle fut salaison et sèche. De la morue dans le gant de velours d’une sauce tomate en juste quantité pour emballer les morceaux comme un paquet cadeau. Des morceaux que nous avons trouvé grossièrement émiettés, de prime abord, mais qui à la longue ne s’est pas révélé gênant. Les saveurs sont authentiques : l’équilibre entre l’acide délicat et fruité de la tomate mûre et le caractère fumé de la morue est parfait, assisté des réminiscences roussies d’oignons discrets et d’un sel tenu en laisse.
Ceci nous porte à nous interroger sur la version à la mangue. Bien sûr, les morceaux de mangue là-dedans ne sont pas mauvais en soi. Ils donnent une petite douceur de début de maturité qui n’est pas inintéressante, mais qui, au final, n’apporte pas grand chose. Il aurait mieux valu, peut-être, imaginer mélanger au rougail morue un rougail mangue bien pimenté, juste quelques minutes avant de servir, le temps que le piment vert au contact de la chaleur commence à chanter, entraînant la mangue verte. Car c’est précisément l’effet obtenu en assiette, puisqu’un rougail mangue est servi en accompagnement.
L’effet rougail mangue est tout aussi fort, voire davantage, sur le poulet au coco. Les morceaux de viande, coupés version shop-suey, sont enduits de la belle sauce jaunie par un curry magnifique. A l’instar de la plupart des épices, le curry demande un dosage millimétrique que seule l’expérience permet de maîtriser. Trop peu : on ne le sent pas ; trop : il devient « ragoulant ». Ici, il porte la douceur du coco comme il faut, même s’il a tendance parfois à mal maîtriser sa propre force. Et c’est là que l’acidité pimentée de la mangue joue son rôle à plein : elle rééquilibre tout et y mettant sa petite claque. En bouche c’est un bonheur. La viande glisse toute seule, et le curry s’attarde un peu au nez, le temps que la fourchette ramène la bouchée suivante.
Le rougail saucisse ressemble comme un frère à celui que nous avons dégusté la semaine dernière au P’ti Koin Kréole, à la différence que la sauce est plus homogène et moins salée. Les saucisses, bien que de qualité inférieure à celles de chez Marianne, moulues et non battues, mais pas moulue trop finement tout de même, en tirent un plus large bénéfice, pour un résultat comparable. Nous retrouvons le bon goût du rougail saucisse réunionnais qui a fanafouté tout ce que l’Hexagone peut nous envoyer comme zoreils, surindexés ou pas, en cravate ou en savates. Rien de particulier à dire sur le riz, de meilleure qualité qu’à bien d’autres endroits, ni sur les grains. Nous considérons qu’il ne serait pas raisonnable de céder aux desserts, étant donné l’aspect de notre épiderme du ventre : bien tendu ! Deux cafés suffisent à nous faire redécoller, non sans avoir réglé une addition d’une vingtaine d’euros et des poussières de morue, pour trois caris dont un à emporter. Le hasard fait bien les choses, a-t-on coutume de dire. Ce n’est pas cette fois que nous démentirons.
Le Bertel n’est pas un restaurant prétentieux. Il a pignon sur la rue d’Après : on est quand même loin du carré d’or de Saint-Denis. Il n’affiche aucun décor particulier. Mais ses clients ne s’y trompent pas : dans la barquette ou dans l’assiette : il assure. Voilà de la vraie bonne cuisine réunionnaise comme on aimerait la voir plus souvent : simple, goûteuse. Ce qui n’empêche pas le cuistot de sortir de temps à autre des sentiers créoles battus en proposant des plats moins courant ou originaux. Cette curiosité et cette ouverture d’esprit est la marque des grands chefs. Il ne nous en faut pas davantage pour décerner au Bertel une juste fourchette en or.
Pour résumer : Accueil : bien • Cadre : bien
• Présentation des plats: bien • Service: très bien • Qualité des plats : très bons
• Rapport qualité-prix: très bien
Impression globale : très bonne table
Fourchette en or