Chez Ti’Fred

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img_1858La campagne réunionnaise, comme toutes les campagnes du monde, est synonyme de paix, tranquilité, légumes et fruits frais, et aussi retour aux sources.

Ses chemins étroits, plus ou moins entretenus, plus ou moins aménagés, vous dévoilent, au détour d’un « caro canne », ici une petite case emitoufflée dans son jardin créole, là des cultures maraîchères, là encore un champs de maïs, un groupe de papayers, quelques poules cherchant pitance derrière un pied de piment zoizo. Le fond de l’air est frais et odorant, et un aveugle ne s’y tromperait pas.

img_1861Aujourd’hui, même les yeux bandés, nous savons que nous sommes dans la campagne réunionnaise, et du sud : à quelques distances en effet se fait entendre l’accent chantant du yab pardessus le murmure de la brise dans les cannes et la symphonie des grelets insomniaques. C’est ainsi que nous débarquons sans crier gare chez Ti-Fred, au 15 chemin terrain Paulette à la Petite Ile. Conseillé par un collègue au palais averti, l’endroit est qui plus est titulaire de 5 étoiles sur 5 chez le hibou vert TripAdvisor. De quoi attiser notre curiosité. A 11h30, nous sommes les premiers, accueillis par l’aubergiste avec l’hospitalité légendaire des gens des hauts. Nous avions réservé.

Nous décidons d’éveiller nos papilles par un « planteur », « pas fort » nous promet Ti Fred, tandis que des odeurs de cari au feu de bois nous caressent les sinus comme dans les dessins animés de Tex Avery. Au fond, deux marmites, cul à la braise, renferment les trésors que nous sommes venus chercher, mais nous ne savons pas encore de quoi il retourne. Le Planteur n’est pas vraiment fort en effet, du moins en apparence. Mais il descend trop vite pour être honnête, l’animal. Pendant ce temps d’autres clients prennent place, et Ti Fred monte en pression. « Aujourd’hui, mi propose a zot un pti rougail morue coeur d’songes, et un boucané au chou de coco. » Nous avons compris : la carte, c’est lui ! Une ardoise affiche aussi une salade de palmiste et un sauté de camaron au palmiste.

L’entrée en matière consiste en quelques samoussas et bonbons piments plutôt corrects, malgré un sel trop causant pour les premiers. Le service, assuré par Ti Fred « lu tout seul », est rapide. Attaquons.

img_1869La morue affiche une texture complexe entre ses chairs émiettées et le liant du songe qui l’emballe comme un Don Juan. Pas farouche, en effet, elle se livre entièrement, saveur et parfum, avec la note finale légèrement piquante du cœur de songe joyeux, aux effluves poivrées. La salaison est bien domestiquée. Le sel fait son travail, en restant à sa juste place, et la morue n’en est que plus coquette. Trouvant le rougail concombre un peu dommage sur cette affaire, nous sollicitons un piment « crasé ». Ti Fred est désolé mais il n’en a pas. Qu’à cela ne tienne, il file au jardin et nous ramène des piments blancs entiers dans une petite marmite. Cette délicate attention nous touche, ainsi que nos papilles, qui entrent en éruption aussitôt croqué le premier piment, dont la saveur délicate et fraîche mais néanmoins respectable sur l’échelle de Scoville sublime la morue sans qu’on y songe.

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img_1870Le boucané, coupé gros, nous déçoit un peu. Non pas qu’il soit mal préparé, que nenni, il est simplement trop sec, et sa fumaison prononcée a des arrières-nez désagréables. Fort heureusement, la sauce tient la route, et le chou de coco donne un croquant intéressant, bien que non désiré, selon Ti Fred. A revoir sans doute avec un boucané de meilleure qualité, et un peu plus équilibré en gras, pour des sensations gustatives plus abouties. Ti Fred est aux petits soins. Nous lui faisons part des quelques réserves concernant le cochon, qu’à cela ne tienne, il nous emmène de la pintade. Au combava.

img_1876L’emplumée ne figure pas en tête de nos préférences de basse-cour eut égard à sa chair parfois dure et sèche, à mi chemin entre la vieille poule et la dinde de soirée. Quand c’est mal préparé. La pintade que nous goûtons ici est d’une élégance rare. Dans sa sauce qui la recouvre délicatement, elle dévoile son odeur à la fois suave et un brin sauvage, assortie d’un roussi d’épices expert, où le fumet du feu de bois a joué pleinement, porté par un combava éclatant mais pas vantard. Les yeux bandés se trouvent transportés quarante ans plus tôt, au far-far traditionnel des familles modestes du temps où la bonne volaille, qui a écumé la cour, tonique du bec au croupion, se trucidait le dimanche de fête pour accompagner les brèdes chouchou et les pois du Cap. Rien de spécial à dire sur le riz. Les lentilles très parfumées, sont tout à fait présentables pour danser sans honte avec les excellents plats que nous dégustons.

Nous terminons ce repas typique de chez nous avec des gâteaux de patate et patate-carotte, moelleux, mais qui auraient mérité un peu plus de légèreté tout de même. Addition : 44 euros pour deux personnes tout compris. Le rapport qualité prix est très satisfaisant.

img_1878Le sieur Fred Barret, dit « Ti Fred », propriétaire du restaurant de campagne du même nom, dans la jolie commune de Petite-Ile, n’a pas eu besoin du Journal de l’île pour que sa cuisine soit reconnue et appréciée à sa juste valeur, en témoignent les réservations nombreuses qui assurent le plein chaque jour. Vingt à trente couverts peuvent tenir sur sa terrasse aménagée sobrement, et Ti Fred est souvent obligé de refuser du monde, à regret. Il n’y a rien à regretter. Nous pensons qu’il faut au contraire poursuivre ainsi, sans chercher à faire davantage, car souvent le plus de quantité rime avec le moins en qualité. C’est un danger commun à bien des activités : qui trop embrasse, mal étreint. Ce serait dommage de perdre cette authenticité, cette hospitalité, ces vraies saveurs de la cuisine au feu de bois qui est­ souvent galvaudée pour appâter le touriste dans des établissements côtiers sévèrement tancés ici même. Ne changez rien Monsieur Fred… protégez ce trésor que vous avez su créer au coeur de la campagne du sud. Pour vous y aider, nous décernons au restaurant Ti Fred et toute son équipe, une belle fourchette en or.

FourchettesPour résumer : Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats: moyen • Service: très bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix: correct.
Impression globale : très bonne table
Fourchette en or

La présente critique a été réalisée le 4 février 2017, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.

Le restaurant de l’hôtel des Aigrettes

img_1747Nous avons profité de ce dernier week-end de vacances pour tester le restaurant de l’hôtel les Aigrettes, assis sur les pentes bétonnées de Saint-Gilles, dos à la savane. L’hôtel du groupe Apavou a bénéficié tantôt d’un lifting. Plusieurs informations de différentes sources nous ont vanté les mérites de sa cuisine l’année dernière. En ce samedi soir, nous avons droit au buffet. Le service « normal », menu et carte, c’est la semaine.

Nous sommes accueillis avec le sourire. Le personnel se montre disponible et plutôt prévenant dans l’ensemble. Les agapes commencent à 19h30, nous débarquons en avance.

img_1778Contre le mur du fond, tout contre, les diverses entrées sont étalées, avec une présentation minimale : une salade de pomme de terre et de betteraves, quelques charcuteries, des œufs mimosas, un taboulé, etc. Pas de décor, aucun semblant de mise en scène, rien. Au milieu de la salle, des bacs où transpirent les plats de résistance : sauté de mines, rougail boucané, rougail morue, et tout un tas de pilons de poulet blêmes baignant dans une sauce huileuse marron, le tout accompagné de riz et de lentilles, plus deux rougails, citron et tomates. A première vue ce n’est pas engageant. A côté, et pour le même prix (22 euros), le buffet d’une chaîne de restaurant bien connue de la place a des airs d’orgies pantagruéliques pour multi-millionnaires.

Quand il faut y aller…

D’abord les entrées froides. Très froides pour certaines. Les charcuteries par exemple : du chorizo salé, sans plus de goût que le sel d’ailleurs et du pâté industriel, encore raide du frigo. Le taboulé n’est ni pire ni meilleur qu’un autre, les salades diverses offrent un visage gustatif plus enjoué, ainsi que les œufs mimosas, le saumon fumé et les mousses de poisson. Nous restons sur notre faim. « Tant mieux il y aura de la place pour la suite » Nous essayons la méthode Coué pour nous motiver. Ce sera tant pis. En effet, si l’aspect visuel des plats de résistance n’était guère engageant, nous nous apercevons très vite qu’il est révélateur d’une médiocrité générale qui tient du fabuleux.

img_1787Nous entamons notre assiette par le rougail morue, celui-ci ayant offert une odeur tout à fait conforme à ce que nous attendons de ce plat. Cela s’arrêtera là. Le rougail est à peu près correctement émietté, mais à la place de l’envolée épicée au fumet de salaison, en bouche c’est Waterloo morne plaine. On ne peut pas se plaindre du trop de sel, c’est plutôt l’inverse, à tel point que le plat s’en trouve plus sucré que salé, la faute sans doute aux tomates en boite et aux oignons. De plus les bouchées sont tout à fait humides et ont des bruits de pieds dans les flaques d’eau, là où on les attendait sèches, avec juste une pellicule l’huile pas plus que nécessaire. Un rougail morue mouillé, sucré et où ne survit plus que l’odeur vague de morue : c’est raté.

img_1786Quand l’un des serveurs nous informe que le tas de cuisses fantomatique et glauque est un « rôti de poulet », nous sommes à deux doigt de partir d’un éclat de rire monumental.
Comment en effet ne pas s’esbaudir avec tonitruance quand des gens osent appeler « ça » du poulet rôti ? Un étalage de viande industrielle bas de gamme, achetée congelée au supermarché, made in je-ne-sais-où, blanche comme le probable mollet du pauvre type préposé à la surveillance desdits poulets entassés à cinquante dans l’équivalent de la table en ferraille vilaine sur laquelle nous essayons de manger. Sans surprise, le pilon n’a pas de goût. Du papier mâché. D’ailleurs le nôtre s’est même fait un strip-tease de sa peau. C’est notre diététicienne qui est contente : « la peau c’est pas bon ». Manger cette affaire avec ou sans peau, c’est pas bon non plus, ni pour le moral, ni pour les artères.

Les mines paient davantage, de mine. Elles ne sont pas très grasses, elles, ou du moins sur le dessus du bac, et sans être des bêtes de concours restent relativement correctes. Il est certain que pour rater ce genre de plat, il faut le faire exprès.

img_1785Nous ne touchons pas au rougail boucané. La vue nous a suffit. Les boucanés ont visiblement été découpés à la hache, vu les énormes morceaux de viande qui nagent dans une sauce épaisse de boite de tomate rouge cramoisi. Avec les quelques os qui dépassent, on dirait la poubelle d’un film gore.

img_1790Le riz a la politesse d’être bien cuit, c’est déjà ça, même s’il est fade comme un jour de pluie. Les lentilles sont cuites également, et c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire, vu que visiblement, on ne s’est pas embêté à les préparer. Les grains durs nagent dans une sauce claire, comme s’ils avaient été balancés dans la marmite vide au sortir des conserves, sans agréments et beaucoup d’eau. Un ou deux oignons coupés gros ont été rajoutés pour la forme. Pourquoi s’embêter autant ? Il n’y a qu’à mettre les boites de conserve ouvertes carrément sur la table !

Les desserts n’apportent aucun réconfort. Entremets et mousses de fruits froids et pâteux comme du mastic, gâteaux secs et durs à y laisser son plombage, tout cela respire la vitrine froide. C’est grossier, brut, insignifiant. La honte de la pâtisserie.

Voilà le buffet du restaurant de l’hôtel des Aigrettes, cher lecteur, et vous savez ce qui nous a le plus choqué ? Pas le manque de soin à la présentation des plats, pas davantage l’extrême je-m’en-foutisme palpable de cette « cuisine », ni le manque de respect qui en découle. Ce qui nous a choqué, c’est que les nombreuses personnes qui étaient là semblaient trouver ça bon. Bien sûr nous n’avons pas fait le tour des tables, sauf pour notre voisin immédiat, hilare, qui engloutissait son repas comme un naufragé après 10 jours en mer, et qui nous gratifie d’un pouce en l’air quand on lui demande si c’est bon. Qu’est-ce donc ? Sortirait-on d’années de disette consécutives à une guerre mondiale dont nous ne serions pas informés ? Bien entendu, cuisiner à l’économie est plus facile qu’essayer de faire des plats corrects, fussent-ils préparés avec des produits bon marché. Et ceux qui ont réalisé ce buffet auraient tort de se fatiguer vu que les clients aiment ça. Et les clients aiment ça parce qu’ils ont oublié ce qu’est la vraie et bonne cuisine réunionnaise. La malbouffe a changé les palais, et surtout ceux des plus jeunes. Pourtant, pas difficile de trouver mieux que ces plats insipides, grossiers et gras, jetés aux appétits comme « mangé-cochons ».

Nous osons espérer que les plats de semaine, au menu et à la carte, sont de meilleure facture. Pour ce qui concerne le buffet, aujourd’hui, à notre humble avis, cela ne mérite pas mieux qu’une misérable fourchette en plastique.

FourchettesPour résumer : Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats: nulle • Service: buffet • Qualité des plats : médiocres • Rapport qualité-prix: très mauvais.
Impression globale : médiocre
Fourchette en plastique

La présente critique a été réalisée le 28 janvier 2017, à partir de 19h30, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.