Nous avons profité de ce dernier week-end de vacances pour tester le restaurant de l’hôtel les Aigrettes, assis sur les pentes bétonnées de Saint-Gilles, dos à la savane. L’hôtel du groupe Apavou a bénéficié tantôt d’un lifting. Plusieurs informations de différentes sources nous ont vanté les mérites de sa cuisine l’année dernière. En ce samedi soir, nous avons droit au buffet. Le service « normal », menu et carte, c’est la semaine.
Nous sommes accueillis avec le sourire. Le personnel se montre disponible et plutôt prévenant dans l’ensemble. Les agapes commencent à 19h30, nous débarquons en avance.
Contre le mur du fond, tout contre, les diverses entrées sont étalées, avec une présentation minimale : une salade de pomme de terre et de betteraves, quelques charcuteries, des œufs mimosas, un taboulé, etc. Pas de décor, aucun semblant de mise en scène, rien. Au milieu de la salle, des bacs où transpirent les plats de résistance : sauté de mines, rougail boucané, rougail morue, et tout un tas de pilons de poulet blêmes baignant dans une sauce huileuse marron, le tout accompagné de riz et de lentilles, plus deux rougails, citron et tomates. A première vue ce n’est pas engageant. A côté, et pour le même prix (22 euros), le buffet d’une chaîne de restaurant bien connue de la place a des airs d’orgies pantagruéliques pour multi-millionnaires.
Quand il faut y aller…
D’abord les entrées froides. Très froides pour certaines. Les charcuteries par exemple : du chorizo salé, sans plus de goût que le sel d’ailleurs et du pâté industriel, encore raide du frigo. Le taboulé n’est ni pire ni meilleur qu’un autre, les salades diverses offrent un visage gustatif plus enjoué, ainsi que les œufs mimosas, le saumon fumé et les mousses de poisson. Nous restons sur notre faim. « Tant mieux il y aura de la place pour la suite » Nous essayons la méthode Coué pour nous motiver. Ce sera tant pis. En effet, si l’aspect visuel des plats de résistance n’était guère engageant, nous nous apercevons très vite qu’il est révélateur d’une médiocrité générale qui tient du fabuleux.
Nous entamons notre assiette par le rougail morue, celui-ci ayant offert une odeur tout à fait conforme à ce que nous attendons de ce plat. Cela s’arrêtera là. Le rougail est à peu près correctement émietté, mais à la place de l’envolée épicée au fumet de salaison, en bouche c’est Waterloo morne plaine. On ne peut pas se plaindre du trop de sel, c’est plutôt l’inverse, à tel point que le plat s’en trouve plus sucré que salé, la faute sans doute aux tomates en boite et aux oignons. De plus les bouchées sont tout à fait humides et ont des bruits de pieds dans les flaques d’eau, là où on les attendait sèches, avec juste une pellicule l’huile pas plus que nécessaire. Un rougail morue mouillé, sucré et où ne survit plus que l’odeur vague de morue : c’est raté.
Quand l’un des serveurs nous informe que le tas de cuisses fantomatique et glauque est un « rôti de poulet », nous sommes à deux doigt de partir d’un éclat de rire monumental.
Comment en effet ne pas s’esbaudir avec tonitruance quand des gens osent appeler « ça » du poulet rôti ? Un étalage de viande industrielle bas de gamme, achetée congelée au supermarché, made in je-ne-sais-où, blanche comme le probable mollet du pauvre type préposé à la surveillance desdits poulets entassés à cinquante dans l’équivalent de la table en ferraille vilaine sur laquelle nous essayons de manger. Sans surprise, le pilon n’a pas de goût. Du papier mâché. D’ailleurs le nôtre s’est même fait un strip-tease de sa peau. C’est notre diététicienne qui est contente : « la peau c’est pas bon ». Manger cette affaire avec ou sans peau, c’est pas bon non plus, ni pour le moral, ni pour les artères.
Les mines paient davantage, de mine. Elles ne sont pas très grasses, elles, ou du moins sur le dessus du bac, et sans être des bêtes de concours restent relativement correctes. Il est certain que pour rater ce genre de plat, il faut le faire exprès.
Nous ne touchons pas au rougail boucané. La vue nous a suffit. Les boucanés ont visiblement été découpés à la hache, vu les énormes morceaux de viande qui nagent dans une sauce épaisse de boite de tomate rouge cramoisi. Avec les quelques os qui dépassent, on dirait la poubelle d’un film gore.
Le riz a la politesse d’être bien cuit, c’est déjà ça, même s’il est fade comme un jour de pluie. Les lentilles sont cuites également, et c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire, vu que visiblement, on ne s’est pas embêté à les préparer. Les grains durs nagent dans une sauce claire, comme s’ils avaient été balancés dans la marmite vide au sortir des conserves, sans agréments et beaucoup d’eau. Un ou deux oignons coupés gros ont été rajoutés pour la forme. Pourquoi s’embêter autant ? Il n’y a qu’à mettre les boites de conserve ouvertes carrément sur la table !
Les desserts n’apportent aucun réconfort. Entremets et mousses de fruits froids et pâteux comme du mastic, gâteaux secs et durs à y laisser son plombage, tout cela respire la vitrine froide. C’est grossier, brut, insignifiant. La honte de la pâtisserie.
Voilà le buffet du restaurant de l’hôtel des Aigrettes, cher lecteur, et vous savez ce qui nous a le plus choqué ? Pas le manque de soin à la présentation des plats, pas davantage l’extrême je-m’en-foutisme palpable de cette « cuisine », ni le manque de respect qui en découle. Ce qui nous a choqué, c’est que les nombreuses personnes qui étaient là semblaient trouver ça bon. Bien sûr nous n’avons pas fait le tour des tables, sauf pour notre voisin immédiat, hilare, qui engloutissait son repas comme un naufragé après 10 jours en mer, et qui nous gratifie d’un pouce en l’air quand on lui demande si c’est bon. Qu’est-ce donc ? Sortirait-on d’années de disette consécutives à une guerre mondiale dont nous ne serions pas informés ? Bien entendu, cuisiner à l’économie est plus facile qu’essayer de faire des plats corrects, fussent-ils préparés avec des produits bon marché. Et ceux qui ont réalisé ce buffet auraient tort de se fatiguer vu que les clients aiment ça. Et les clients aiment ça parce qu’ils ont oublié ce qu’est la vraie et bonne cuisine réunionnaise. La malbouffe a changé les palais, et surtout ceux des plus jeunes. Pourtant, pas difficile de trouver mieux que ces plats insipides, grossiers et gras, jetés aux appétits comme « mangé-cochons ».
Nous osons espérer que les plats de semaine, au menu et à la carte, sont de meilleure facture. Pour ce qui concerne le buffet, aujourd’hui, à notre humble avis, cela ne mérite pas mieux qu’une misérable fourchette en plastique.
Pour résumer : Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats: nulle • Service: buffet • Qualité des plats : médiocres • Rapport qualité-prix: très mauvais.
Impression globale : médiocre
Fourchette en plastique