Chez Pépé Dofé

En plein centre de Saint-Denis, dans la rue Sainte-Anne face à l’église des jésuites, Pépé Dofé propose de la cuisine locale, ordinaire, et plus rare. Quelle ne fut pas en effet notre surprise à la lecture du menu affiché sur le trottoir, de voir y figurer un cari de Tangue, « Ti Mizo » pour les intimes. L’une de nos lectrices Facebook nous ayant suggéré de tester ce restaurant, il ne nous en faut pas davantage : nous y entrons.

Un homme, visiblement le chef, nous accueille sourire en coin. Nous nous installons à la petite terrasse ombragée de 8 couverts attenante à la salle toute en longueur, laquelle est ouverte sur les paillasses. Chez Pépé Dofé, c’est comme chez la mère à Titi : « c’est tout petit », chantait le Séchan. Après la bière fraîche de circonstance en ce mars torride, l’aubergiste nous avertit que plus de la moitié du menu du jour est parti. Dont un cari Carême. Tant mieux pour lui. Entre autre plat, il lui reste un cari de tangue et un « Idiot du village » (ou prosaïquement : andouille de Salazie !), Va pour l’andouille et la boule de piquants. Les plats arrivent assez vite, dressés dans des assiettes originales étirées comme des vases plats, jolies, mais peu adaptées à la bouffetance réunionnaise, à notre humble avis. C’est parti.

P1120769L’andouille n’a rien à voir avec celle que nous avons dégusté tantôt au Velli, mais est toute aussi goûtue, voir davantage. En effet, ce rougail-ci est plus pauvre en tomate. A vrai dire, si tant est qu’il y eut des tomates, c’était juste pour le fond de marmite. Rien à voir avec la version plus rouge et plus saucée du Velli. Ce rougail zandouille-ci est à tendance «sèche», sans sauce donc, où les morceaux de viande (et non de tripes) bien enrobés d’un gras odorant, viennent teinter le riz. C’est de la bonne viande tendre, mais non fondante, qui offre donc de belles sensations masticatoires, où un fumet prononcé de cheminée au feu de bois explose en bouche, soutenu par une humeur féroce de poivre concassé et d’épices roussies attachées et déglacées.

P1120775Le Tangue pour sa part, est habillé comme pour dîner en ville avec le père Volnay, chez madame Fin Mizo. En effet, bien qu’étant visiblement un Tangue chassé, eût égard à la relative fermeté de sa chair et à la présence raisonnable de gras, l’animal nous déçoit presque parce que trop urbanisé. Point de saveur musquée, forte et sauvage, qui vous emporte les sinus, et qui appelle un rinçage au vin tannique, charpenté comme les vieilles tavernes où la clientèle bedonnante et moustachue belote et rebelote. Nous avons dit «presque». Fort heureusement, quelques saveurs cuites d’intestins fermentés sont encore accrochées au rongeur, conférant à sa viande assez de caractère pour sauvegarder la légende. En cela, elles sont aidées par l’éclat fleuri de baies roses toniques et l’onctuosité écarlate d’une sauce réduite de tomates bien mûres.

Un (trop petit) rougail citron relève bien le tangue, comme l’andouille d’ailleurs. Mais tout cela manque singulièrement de piment fort. Délicatesse urbaine sans doute. Une belle andouille aussi bien que le Timizo auraient volontiers « krazé » un maloya avec un piment zoizo claque-zoreil, comme nous l’aimons. De toute manière, vu la configuration de l’assiette, il serait mieux de présenter le (ou mieux : les) rougail à part.

Les lentilles sont en boite. Mais elles sont assez bonnes. Solution de facilité. Avec ces plats, pourquoi ne pas proposer des grains plus « roots », style gros pois ou haricots noirs? Bien sûr il faut aller les chercher au marché forain. Pas besoin d’aller loin en revanche pour trouver le nécessaire du petit canon de rhum charrette qui accompagnera bien le tangue. Juste un fond de verre, à peine un doigt, est suffisant pour retourner les papilles devant-derrière. La tradition oté !

Bonne note pour le riz, en grain détachés mais pas secs, et assez parfumés. Des grains autres que ces lentilles auraient contribué à mieux faire passer l’addition : 45 euros pour deux personnes pour deux boissons, deux repas et deux cafés « jus de chaussettes » (à proscrire). Un peu cher quand même.

Pépé do Fé cuisine par amour de la tradition culinaire réunionnaise. Mettre à sa carte des plats traditionnels comme le cari de tangue ou des guêpes est aussi une façon de se démarquer de la concurrence. Mais la concurrence s’y met aussi, de plus en plus. C’est de la cuisine plaisir, quoiqu’un peu nonchalante. En effet ce petit restaurant sympa ne se semble pas se donner les moyens de monter en gamme, ne serait-ce que d’une marche, et ne va pas non plus au bout de la logique sur des plats typiques en proposant ne serait-ce qu’une déco de feuilles de banane avec le tangue, ou des grains plus « nobles » comme des lentilles en sachet, à minima. Manque de temps sans doute, qui le fait se positionner quelque part le cul entre deux chaises, celle du snack et celle du restaurant. C’est le cas de bon nombre d’établissement par ailleurs, sauf que dans ce cas précis, on a le net sentiment d’un potentiel considérable, qui pourrait amener une qualité plus aboutie, tout en restant sur les dimensions et les quantités actuelles. Si c’est un choix, nous le respectons. Aujourd’hui, nous concluons ce bon repas traditionnel en attribuant à Pépé Dofé une belle fourchette en argent méritée, avec recommandation de l’équipe, en attendant encore mieux.

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FourchettesPour résumer : Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats: perfectible • Service: bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix: perfectible.
Impression globale : très bonne table
Fourchette en argent avec recommandation

La présente critique a été réalisée le 24 mars 2017, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.

Le Velli

IMG_2098Le Colosse. Nous nous extasions sur ce magnifique temple, un des sites touristiques de Saint-André, mais notre objectif est juste à côté : le restaurant le Velli. Nous avions déjà visité cette adresse il y a quatre ans, et n’en avions pas gardé un souvenir impérissable. Nous voulons voir si les informations qui nous sont parvenues depuis sont exactes : que des bonnes impressions.

Le Velli est donc au bord de la traversante de Champ-Borne, dans une case assez ordinaire de l’extérieur. L’intérieur est plus intéressant : une belle salle climatisée d’une trentaine de couverts ouvre à l’arrière sur une sorte de cour intérieure bordée d’une terrasse, ou d’autres tables sont dressées. C’est propre et net, et même assez chic. Chic aussi est le jeune serveur qui nous dépose la carte, après l’accueil souriant d’une jeune femme. L’uniforme est de rigueur ici, dirait-on.

La carte est riche, sans être pléthorique. Trois plats au menu du jour, donc un ti-jacque boucané et une pièce de bœuf. Nous leur préférons un cabri massalé, histoire de faire honneur à la tamoulité du site, et aussi parce que c’est l’un de nos plats test préféré, plus un rougail «zandouille». Un verre de jus de fruit frais, légèrement alcoolisé, nous tient lieu d’apéritif. 8 euros quand même. Il est assez bon et désaltérant, mais cher pour ce qu’il est.

IMG_2114Nous commandons une assiette créole, samoussas et bonbons piment, plus des olives (c’est créole les olives?). Les samoussas sont assez ordinaires : un peu de poisson pour parfumer le chou. Les bonbon-piments, plats et croquants, sont généreux en saveur, mais pas forts. On se demande d’ailleurs pourquoi on continue à appeler ça «bonbon-piment», puisque rares sont ceux qui en contiennent, du piment, tout ça sous prétexte de ménager les palais délicats. Les plats sont servis assez rapidement. Nous attaquons.

IMG_2116Le cabri-massalé, sans os, voudrait jouer les discrets qu’il ne le pourrait pas. Son humage révèle un tempérament corsé de fond de sauce épaisse où la poudre de massalé a délibérément été chauffée au fond de la marmite afin d’extirper et de magnifier ses saveurs. La sauce emballe d’ailleurs totalement la belle viande tendre et gustativement enjouée du cabri, à qui le caloupilé fait une cour assidue. Tout cela est fort proche de la perfection, d’autant qu’une main avisée en cuisine a eu l’excellente initiative de déposer deux petites branches de cotomili, presque timidement, comme une garniture. Garni-ture ? Elles sont vite mise à contribution ! Les bouchées n’en sont que plus délicieuses, avec cette fragrance de la coriandre verte qui nous émoustille les sinus.

IMG_2117Le rougail zandouille, pour sa part, est ode à la cochonnaille. C’est une andouille constituée principalement de tripes, visiblement, toute appareillée dans sa robe rouge foncée, et qui décharge son odeur musquée, avec des attaques vinaigrées, comme les dessous de bras d’Ernestine par des chaleurs comme aujourd’hui, après une semaine de macération. Une andouille catholique en somme. Non réformée et bonne pour le service. Tout à fait ce qu’on attend d’elle. En bouche, aucune déception. Ses effluves poivrées sont enivrantes. Le sel est un peu bavard, comme un titi parisien, mais reste tout de même toléré. Déplorons juste quelques morceaux d’estomac caoutchouteux, par-ci par là, qui nous obligent à les chiquer comme de la vieille semelle, et l’on y prend étrangement du plaisir, tant cette andouille est magnifique. Tout de même, une cuisson supplémentaire aurait été bienvenue pour ces morceaux-là.

IMG_2118Là-dessus un rougail étrange, avec du piment vert, des oignons et du vinaigre et du sel (un peu beaucoup, de sel), mixés. C’est la recette transmise des cuisines à notre demande, vu que la chose est très intéressante, et accompagne favorablement l’andouille. Que le diable nous patafiole si le chef ne nous a pas enfumé, car il nous semble bien y déceler le goût acidulé typique d’un citron, voire d’une margoze.

Les lentilles sont assez correctes dans l’ensemble. Un petite odeur de roussi vient même lui relever les audaces. Le riz en revanche n’a d’intérêt que parce qu’il est convenablement cuit. Le grain est cassé, presque en brisure, ce qui gâche un peu les sensations masticatoires. Dommage. Nous terminons par une tarte de papaye façon tatin. Celle-ci est divine. Voilà de la belle confiture de papaye éclatante, un peu collante et résistante sous la molaire comme on les aime, et qui diffuse son jus à chaque coup de dent, avec l’assistance beurrée d’une pâte très fine et la fraîcheur d’une glace à la vanille toute belle, au parfum prononcé. Un bonheur de dessert.

Addition : une soixantaine d’euros pour deux personnes tout compris. Le rapport qualité-prix est perfectible.

Voilà le Velli. Inutile de s’étendre davantage. L’établissement a connu des hauts et des bas, mais les informations que nous avons reçues se sont avérées exactes. Le niveau est assez haut. De la bonne cuisine réunionnaise, assez conforme à nos traditions, dans un endroit ou le touriste s’arrête. Nous regrettons juste des prix un peu chauds de restaurants ayant pignon sur rue, pourrait-on dire, même si certains plats peuvent se trouver à des tarifs plus élevés encore ailleurs, comme le cari de poisson rouge par exemple. Cela ne nous empêche pas d’attribuer au Velli une très belle fourchette en argent avec recommandation spéciale.

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FourchettesPour résumer : Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats: bien • Service: bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix: perfectible.
Impression globale : très bonne table
Fourchette en argent avec recommandation

La présente critique a été réalisée le 9 mars 2017, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.

Chez Manman

img_1936Le Tampon est l’une des communes de l’île qui accueille le plus de restaurants. La Plaine-des-Cafres y apporte son lot, certes, avec du bon, du moins bon, et du « qui s’endort un peu », profitant de la clientèle abondante par ces chaleurs.

Certains ont déjà eu des coups de semonce, d’autres devraient faire attention, nos « indics » passent et repassent, et selon les remontées d’information, nous pourrions choisir de débarquer sans crier gare, fourchette entre les dents. En attendant, pour aujourd’hui, nous resterons au Tampon Ville, du côté du Lycée Roland-Garros en travaux ou en ruine, on ne sait pas très bien, pour chercher pitance « Chez manman », rue Jules-Bertaut, à côté de la Poste.

L’établissement, fort actif sur Facebook (pas comme bien d’autres qui ouvrent une page et qui ne la mettent jamais à jour), est un petit restaurant de quartier, d’une cinquantaine de couverts, qui fait danser les barquettes le midi, et aussi le soir, mais pas les week-ends. L’accueil est sympathique. De fort accortes et jolies demoiselles font le service. La tendance générale semble être à la cuisine créole et chinoise. Nous nous laissons tenter par le rougail morue à la mangue et le poulet aux trois poivres, plus un piment la pâte vert pour remuer tout ça.

imag2458Le rougail morue se présente en robe terre de sienne foncée, avec une belle note odorante qui caresse un peu le snoek sur les bords. C’est du roussi abouti. À la première bouchée, le gingembre montre ses biceps, suivi très vite par la mangue, dont les saveurs cuites s’accompagnent une humeur subtile de fruit confit. Il n’y a pas d’erreur, la mangue est donc bien là, même si on n’en voit quasiment pas la trace, à la différence de son alter ego dégusté l’année dernière au Bertel à Saint-Denis. Le rougail morue s’en trouve transformé complètement, et le mélange des genres se conclut par de bonnes bouchées bien moelleuses et gustativement étranges mais intéressantes, sans rapport avec saveur du rougail morue classique. L’acidité finale, très parfumée, est équilibrée par une pointe sucrée.

img_1930Le poulet fumé aux trois poivres se présente avec des champignons de Paris en gardes du corps, dans une sauce épaissie à la poudre de manioc, agrémentée au slave, et dont l’ingrédient principal, les « trois poivres », rappelle un peu les préparations toutes faites qu’on trouve en accompagnement dans les rayons viandes à côté des steaks. Le résultat du mélange approche le caractère de la sauce au vin, sur les bords. Le fumet de la viande n’y est sans doute pas étranger. Le poulet est de la catégorie standard, et compatible avec les prix des repas. Il est bien cuit, et garde la cuisse digne. Accommodé de ses champignons, le plat est très correct dans l’ensemble, et confère au riz un certain glissant, à tel point que nous sommes à deux doigts d’en réclamer encore. Du poulet, pas du riz. Parce qu’en ce qui concerne le riz, c’est décevant. Le riz type basmati est sec, avec des grains trop détachés, comme de juste. Il absorbe donc mal la sauce.

Cessons de courir systématiquement derrière le supposé très bon riz basmati. Il y en a de très bons et de très médiocres, d’abord, mais surtout son grain à tendance sèche et bien détaché (ce qui est d’autant plus le cas s’il est bas de gamme) se marie mal avec nos caris réunionnais, dont la sauce aime être absorbée par un riz plus mou, pour des sensations en bouche développées. De l’aveu même de nombre de restaurateurs que nous avons rencontrés (dont celui qui nous accueille aujourd’hui, le citoyen Payet), trouver et garder un bon riz n’est pas chose aisée, d’autant que les grandes enseignes ont l’humour douteux de jongler en permanence entre les marques, les stocks, les qualités, à tel point qu’une mère charançon n’y retrouverait pas ses petits. Laissons le basmati pour le riz cantonais ou le briani, où son caractère est davantage requis. Refermons la parenthèse.

Nous terminons le repas avec une crème brûlée sans prétention, mais bien exécutée. Addition : 14 euros tout compris, avec la boisson. Le rapport qualité prix est très correct.

img_1932« Chez Manman », un nom qui augure la convivialité, l’esprit de famille, et les bons petits plats. Le restaurant du Tampon tient cette promesse sous-entendue, tant au niveau de l’accueil, du service que de la qualité des plats, dans les limites des tarifs qui sont les siennes, il va sans dire. C’est l’exemple que l’on peut très bien cuisiner avec des produits communs, voire bon marché, et réussir à sortir des plats originaux, variés et goûteux, que les clients reviendront chercher. C’est ainsi que « Chez Manman » a su se constituer un noyau d’habitués, qui peuvent prendre connaissance du menu du jour via la page facebook. Une adresse qui mérite amplement une très belle fourchette en argent, compte tenu de ce que nous avons dégusté aujourd’hui, et avec nos encouragements à toute l’équipe. L’or n’est pas inaccessible.

FourchettesPour résumer : Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats: self • Service: bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix: correct.
Impression globale : bonne table
Fourchette en argent

La présente critique a été réalisée le 24 février 2017, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.