Le Dauphin

IMG_2218Lorsque nous débarquons au Port en ce jeudi d’avril, la ville n’offre pas l’image d’un tas de béton écrasé par le soleil. Ce qu’elle n’est plus. La chaleur est même adoucie par une petite averse passagère, et par ces humidités fragiles nous arpentons le boulevard de Brest, tandis que des nuages d’orage tiennent conseil sur les hauteurs Possessionnaises et Saint-Pauloises.

Pas moins de six restaurants, snacks et troquets pays ont pignon sur la voie : le Boulevard de Brest, La Cantine, Le Péliquant, Chez Eric, La Vague Bleue et le Dauphin. C’est assez. Nous jetons l’ancre dans ce dernier, avec l’air abruti du créole perdu. Il est midi et le restaurant est désert. Le décor est assez classique et un peu classieux, propre, et relativement chaleureux. Même les plantes artificielles font bonne figure. Une dame affairée nous accueille. Elle nous invite à nous installer et nous porte la carte et le menu créole, mais une autre carte, métro, est aussi à l’ardoise.

Le menu du jour consiste en un sauté de porc à la chinoise ou grillade de cabot de fond, avec une salade de chouchou et saumon fumé en entrée et une crêpe gourmande aux fraises en dessert. Nous garderons la crêpe, mais nous rabattons sur un rôti de coq fermier, et un rougail « trois cousins ». Cari de thon frais, saucisse pétée-riz chauffé et cari la corée sont aussi à la carte, avec quelques autres plus classiques. Une mousse plus tard, les plats arrivent à quai. A l’abordage !

IMG_2225Le coq fermier nous la joue Aldo Maccione… « la classe » ! Sa viande est ronde, moyennement ferme, et délivre une saveur poivrée honnête. Il se serait dégonflé comme un ballon s’il n’avait bénéficié d’une cuisson impeccable et d’un assaisonnement tout à fait magnifique, évoquant des humeurs de flambage au whisky assorti à des notes lointaines de basilic. Le rôti n’offre que des molécules de sauce, et c’est très bien, dont une partie enduit la viande d’une seconde peau, magnifiant la première au désespoir de nos artères. Tout cela est moelleux, confondant de délicatesse et de subtilités sous ses dehors rustres. Que cela eût-il été s’il descendait du lignage « la cour » ? Créole i dit : « danzéré ! ».

IMG_2224Le rougail trois cousins (morue, hareng, snoek) est un plat typique qui ne nous est pas inconnu. Nous l’avions en effet découvert il y a quatre ans, avec les bons offices du père Barbe, Etienne, ci-devant aujourd’hui tenancier du Cap Horn et condisciple d’Escoffier, mais sans cheveux ni moustaches, alors qu’il faisait chauffer les marmites du Luxor à la Possession. Cher Etienne, désolé de vous chagriner, mais ce rougail trois cousins-ci flanque la pâtée à celui que vous nous servîmes à l’époque, et qui était déjà fort bon. Déjà l’odeur. Une sorte de fragrance musquée, profonde, complexe, qui rappelle les effluves de la morue séchée des boutiques chinois d’autrefois, assorti à la force iodée des mers houleuses et du gros sel brut. En bouche, les trois cousins mélangés en donnent encore davantage. Emiettés avec soin, leur texture est veloutée, fine, et laisse de belles sensations avec de la longueur, où pointent les revendications de la tomate mûre rôtie, de l’oignon fondu, et d’un conséquent «croûtage» d’épices, laissant sur la langue une petite acidité qui active la salivation. Nous avions une appréhension concernant le sel, elle s’est avérée infondée. Ce dernier est dosé au microgramme, et joue son rôle d’exhausteur à plein. Le persil frais porte tout cela avec son « peps », donnant la réplique au peu de gras.

IMG_2227Les grains blancs servent les deux plats comme un valet de pied. C’est un poil liquide mais ils embaument d’un roussi satisfaisant. Bémol en revanche pour le riz : du grain long et détaché, qui, même bien cuit, reste sec. Le rougail zognons et citron est parfait. Sa force est certes dosée pour les sensibles, mais il sert les trois cousins avec honneur. Nous terminons avec la crêpe gourmande.

IMG_2233Une crèpe visiblement pas faite tout de suite, mais qui reste très bonne, surtout aidée de la chantilly, de la réduction d’orange et des délicieuses fraises qui mettent un point final coloré au repas. Addition : 57 euros pour deux personnes, boissons, plats, dessert et cafés. Le rapport qualité prix est satisfaisant.

Le Dauphin du Port est un vieux cétacé. Le restaurant existe en effet depuis plus de 20 ans. Aujourd’hui nous y avons excellemment mangé. La cuisine du chef est généreuse, et fait la part belle à la tradition réunionnaise dans toute sa splendeur. Evidem-ment, pour être parfait, il faudrait au moins un rougail de plus, quelques brèdes en accompagnement, un riz plus goûteux et moins sec. Quoiqu’il en soit vous pouvez y amener sans crainte de « moucatage » votre tante nonagénaire ou vos papys et mamies qui cuisinent encore au feu de bois, avec le pilon et la marmite noire de cinquante ans de caris. Il est une heure, et la salle s’est bien remplie. En ce qui nous concerne, nous larguons les amarres en décernant au Dauphin une belle fourchette en or, tonnerre de Brest et mille sabord !

FourchettesPour résumer : Accueil : moyen • Cadre : bien • Présentation des plats: moyen • Service: très bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix: correct.
Impression globale : très bonne table
Fourchette en or

La présente critique a été réalisée le 6 avril 2017, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n’avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d’un droit de réponse.

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