Nous prenons aujourd’hui la direction de l’Est, pour une visite du restaurant le Ti Piment à Bras-Panon, situé à deux pas de la charcuterie Marianne, où l’on fait grande queue pour chercher ses boudins, saucisses, boucané, andouilles, tutti et quanti.
Le Ti Piment est situé sur la route principale, ou peu s’en faut. Les lieux affichent propreté et confort classieux mais non ostentatoire, avec son caillebotis, son mur décoré de pierres, ses plantes ici et là, dont des petits pots de faux piment, un clin d’oeil sans doute au nom de l’établissement. Les petits pots de vrais piments peuvent se trouver facilement, mais l’on objectera peut-être qu’il faut les entretenir un minimum et que la clientèle indélicate pourrait les faucher.
Nous sommes accueillis avec le sourire d’une jolie demoiselle montée sur batterie nucléaire, qui assure le service qui nous installe à la terrasse, à notre demande. Le Ti Piment c’est le restaurant, ou la serveuse ? Le tableau noir du menu affiche aujourd’hui cinq plats métros et sept plats créoles, plus trois entrées. Entrecôte charolaise, magret de canard, truite de Langevin tutoient vindaye de thon, sauté de boeuf au chouchou et sauce de camarons. Nous nous laissons tentés par un achard de papaye accompagné de boudin, le porc massalé et les camarades camarons.
Après les apéritifs, le achard ouvre le bal. Nous reconnaissons le boudin du charcutier sus-mentionné, à son aspect d’abord, régulier et luisant, et aussi au goût. Nous l’avions déjà dégusté au Ptit Koin Kréol à Hell- Bourg. Il est comme Julio, il n’a pas changé (Yé né pas chann’gé, yé soui toujours lé boudin que tu aimais…). Toujours cette magnifique texture équilibrée, ni trop dense, ni trop molle ; toujours ces petits oignons verts éclatants ; toujours cette farce au goût prononcé, chauffée par un piment joyeux déconseillé aux mauviettes. La papaye fraîche et croquante, coupée en fils, toute arrangée d’un subtil gras curcumaté, avec des graines de moutarde, complète parfaitement le moelleux de la farce et fait voir le boudin sous un jour différent, plus exotique en quelque sorte.
Les caris suivent sans tarder. La jolie demoiselle montée sur pile se montre efficace, et d’une distance courtoise très professionnelle.
Le porc roule des mécaniques et envoie sans se faire prier une vague de belles sensations gustatives, avec un massalé nuancé, parfumé, teinté par un caloupilé discret et une touche de coriandre fraîche. La viande elle-même ne déçoit pas. Du franc mordant dans les parties «sèches», qui ne le sont pas tant que ça, et des frissons dans notre échine quand les jolis bouts de peau et de gras sous-cutané nous glissent derrière la luette. Le sel est bien dosé.
Les camarons sont également très bons, nonobstant le fait qu’ils ne soient pas très en chair. Les pauvres. Pas grand-chose donc à avaler, mais beaucoup de jus à extraire de leurs carcasses envahissantes, que nous écrasons sans faire de chichis pour en sucer les recoins. La sauce abondante est délicieuse, avec son fumet de crustacé, vivifiée par un sel plus présent, sans doute, mais toléré. Nous regrettons l’absence d’un petit piment vert, justement, qui aurait pu la sublimer davantage. Une poubelle de table aurait été la bienvenue. Avec ce genre de plat, on en a plus dans son assiette à la fin du repas que lorsqu’on a commencé. Faut y penser.
Rien de spécial à dire sur les haricots, puisque fort bien exécutés. Nos foudres vont au riz. Encore. Aucun reproche spécifique concernant la cuisson, c’est le riz lui-même qui n’est pas à la hauteur, avec son odeur de poussière de cave, et son arrière goût de renfermé. Nous en faisons la remarque à la serveuse, qui va le répéter en cuisine, d’où fuse une réflexion sur un ton peu amène, mais dont nous ne saisissons pas la teneur. Serait-on rétifs aux remarques dans cet établissement ?
Le rougail «zognons» est très bon, mais pour un restaurant qui s’appelle le « Ti Piment », nous verrions bien une plus grande variété de rougails pour accompagner les caris. Un piment la pâte rouge est amenée à la table voisine. C’est déjà pas mal.
Nous terminons le repas par une tarte tatin maison très gourmande et sucrée, avec une belle pâte fondante. L’addition se monte à 49 euros et des grains de piment, pour deux boissons, une entrée, deux plats, un dessert et un café. Le rapport qualité- prix est correct.
Le Ti Piment est, jusqu’à preuve du contraire, le meilleur restaurant que nous ayons testé dans le secteur (si l’on veut de la fourchette d’or, il faut pousser jusqu’à La Cabane aux Epices à quelques encablures de là). L’endroit est propre et confortable, un brin chic, le service est efficace.
Quelques remarques tout de même. D’abord une présentation à l’assiette assez bateau, et pas parfaitement propre… quelques grains rebelles du piteux riz se sont fait la malle. Quitte à dresser une assiette autant que ce soit joli, sinon c’est simplement inutile. Ensuite la poubelle de table absente, et pourtant indispensable avec le camaron. Enfin : un riz hors jeu, de notre point de vue. La cuisine quant à elle est très bonne. Les plats sont correctement assaisonnés et préparés, et nous repartons repus mais un peu frustrés quand même. Il manque en effet un je-ne-sais- quoi pour que les caris soient tout à fait magnifiques : encore plus de saveurs, plus de surprise, plus de fumet, davantage d’authenticité. La fourchette d’or ne tombera pas cette fois, mais une belle fourchette en argent tout de même.
Pour résumer : Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : perfectible • Service: très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : correct. Impression globale : bonne table
Fourchette en argent