Mare-à-Vieille-Place. Ce joli village du cirque de Salazie, au cachet authentique, où officie le charcutier titulaire de la saucisse de bronze 2015 (première édition de notre concours de la meilleure saucisse), est le passage obligé vers Grand-Ilet. Un coin charmant connu pour son point de vue panoramique sur Mare-à-Martin de l’autre côté du rempart. Un point de vue où il fait bon pique-niquer et qui donne son nom au restaurant que nous testons aujourd’hui : Le Belvédère.
Le restaurant, qui est également un snack et une salle de jeu, est logé dans une case créole patinée. Quelques tables espacées dedans, quelques autres sous l’étroite terrasse en façade, l’intérieur est arrangé simplement. C’est propre. Le jeune barbu qui nous accueille est sans doute le patron. Il nous invite à nous installer et nous demande de choisir parmi les quatre caris du jour.
Nous nous laissons tenter par un civet de canard et un massalé de coq, plus un rougail saucisse pour la route. Les assiettes sont dressées puis déposées sur notre table rapidement, avec les boissons. Ca bave un peu du côté des gros pois. La portion de cari est chiche. Nous attaquons.
Le civet de canard, d’une belle couleur sombre, très bien épicé, est un peu timide à l’odeur mais se rattrape en bouche. C’est très bon. Le vin parfume la chair sans faire semblant, mais sans brutalité non plus. Le poivre, et un girofle boute-en-train, l’accompagnent efficacement, en sublimant la saveur brune du volatile. Pas de sauce grasse, et c’est bien, mais pas de persil haché dessus non plus, et c’est dommage, il aurait aidé le cari à avoir plus de panache au nez. De plus, c’est mal nettoyé, des racines de plumes sont encore présentes sur les ailes…
Le coq massalé est de la même trempe. Et même davantage si l’on ne juge que par sa texture musclée. Il propose un mordant qui n’autorise pas les dents déchaussées. Un temps de cuisson supplémentaire l’aurait assoupli davantage, mais qu’importe : ce coq-là est du coin, il y a de fortes chances, bénéficiant du grand air, si l’on en juge par son caractère affirmé, que le massalé parvient à peine à maîtriser, comme un cow-boy sur un cheval sauvage. C’est du massalé équilibré, ni trop agressif, ni trop subtil, mais une ou deux cuillères de plus et du caloupilé n’auraient pas été de trop, à notre sens tout du moins. Les palais plus délicats ont amplement apprécié. La dose de sel est parfaite dans ces deux caris, ainsi que dans le rougail saucisses que nous dégusterons ultérieurement.
Assez bon rougail, bien qu’un peu sec. La sauce n’a presque pas teinté le riz, et ce n’est pas un défaut de service : elle doit être assez maigre, bien qu’elle colore les saucisses suffisamment pour que l’appellation « rougail » soit méritée. Les saucisses elles-mêmes sont aussi du coin, supposons-nous. Cette saveur poivrée et chambrée, cette texture particulière de viande hachée gros, c’est de l’ouvrage artisanal, à n’en point douter. Un rougail concombre croquant et assez pimenté pour chauffer les touristes accompagne très bien le coq ou le canard.
Les pois du Cap en « creume » aussi d’ailleurs. Seul le riz nous déçoit quelque peu. Ce n’est pas ce vilain riz grain long, sec, auquel le hasard de nos visites nous a abonnés dernièrement, mais ce n’est pas très goûtu non plus. À changer, à notre humble avis. Nous terminons par des bananes flambées, très bonnes. Un dessert simple mais qui clôt le repas sur une belle note sucrée.
L’addition se monte à 35€ pour trois caris dont un à emporter, deux boissons et deux desserts. Le rapport qualité-prix est correct.
Le Belvedère est un endroit sympa, dans un style évoquant les boutiques d’autrefois, le chinois en moins, et propose une belle vue sur une cuisine réunionnaise authentique et très goûtue. L’accueil et le service qui nous ont été offerts étaient souriant et attentionnés. Nous ne déplorons que quelques détails, où se loge le diable. Des négligences sans grande importance en soi, mais qui dénotent un manque d’attention professionnelle. Les couverts d’abord, qui sont dépareillés, dont des couverts d’enfant. Petite fourchette qui plie, couteau faiblard avec les viandes fermes des caris. La remarque est faite au gérant, qui nous objecte que les couverts en inox sont difficiles à trouver et chers (ah bon?). Nous lançons ici un appel pour qu’un fournisseur obligeant s’occupe du Belvedère, s’il vous plaît ! La serviette en papier ne vaut pas mieux. A peine s’est-on essuyé les mains qu’elle se déchire. Des quantités de cari à revoir pour les « bons » mangeurs, pas de carafe d’eau sur la table (récurrent dans beaucoup d’autres établissements), un morceau de gingembre gros comme un ongle qui nous passe sous la molaire (heureusement, nous adorons ça !), une cuisson du coq un peu juste en rapport à sa fermeté naturelle, pas de brèdes (on est dans les hauts, tout de même, mais ça aussi c’est récurrent), les assiettes dressées mais non essuyées, autant de petites choses qui, corrigées, donneraient au restaurant un côté plus « pro », sans dénaturer son authenticité. Un problème de temps et de manque de personnel, sans doute. Rien de bien grave de toute manière. Avec un peu plus d’efforts, d’envie et de motivation (si c’est possible), la fourchette d’or est très largement accessible. Aujourd’hui nous avons le plaisir de compléter la vaisselle du Belvedère avec une jolie fourchette en argent (honorifique) !
Pour résumer. Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats: perfectible • Service : très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix: bon. Impression globale : bonne table
Fourchette en argent