Au cœur de la jolie bourgade de l’Entre-Deux, avec ses jolies cases créoles typiques, nous allons aujourd’hui tester un restaurant qui fut un temps fermé, et que nous avions repéré bien avant que cette rubrique n’existe. Notre dernière visite, dans un autre restaurant de cuisine locale à l’Entre-Deux, qui date déjà de 2011, ne nous avait pas laissé un souvenir impérissable, sauf peut-être celui d’un choka mal préparé amer comme le fiel.
Aujourd’hui nous descendons donc au Royal Palmiste, allusion, sans doute, à la rangée de palmiers royaux qui borde la petite case créole refaite quasi à neuf depuis notre précédent passage. Les gérants ont opté pour la formule du buffet à volonté à 16 euros.
L’accueil du solide et moustachu patron est souriant et aimable. Il nous invite à prendre place et l’on vient nous porter l’apéritif. Outre des entrées de crudités crues ou cuites, un massalé cabri, un civet de pintade, des saucisses au choka (la spécialité) et un sauté de morue attendent d’être dégustés. Nous n’allons pas les faire attendre longtemps.
Les crudités sont fraîches, et bien arrangées par une vinaigrette joyeuse. Nous apprécions particulièrement la salade de choux-fleur juste mi cuits, qui ont conservé assez de croquant, et la macédoine de légumes. Ces préliminaires achevés, nous tombons sur les caris à bras raccourcis. Dans l’ordre du plus ordinaire au plus goûtu : Le civet, le massalé, la morue et les saucisses.
Nous trouvons le civet bien sec. C’est normal : c’est de la pintade, qui a dû s’entraîner pour le Grand Raid, sans doute, avant de passer à la casserole. Parce sa viande, raide, elle est ! Raide et passablement sèche donc, elle offre conséquemment en bouche une texture un peu brute. Fort heureusement tout cela est bien arrangé par un assaisonnement correct, avec des épices bien roussies et un vin de qualité. « Ce n’est pas du Co… (Ooops, pas de marque ! Il veut dire : « gros rouge »), mais du Bordeau », précise le restaurateur. La pintade est presque noire. Si l’odeur est tout à fait conforme à celle d’un civet bien sous tous rapport, la saveur du vin cuit s’en va un peu vite, laissant en finale une sorte d’amertume acide, derrière un sel trop présent. Quelque persil haché par-dessus aurait fait merveille.
Le sel roule aussi les mécaniques dans le massalé cabri, avec cette fois l’avantage de tempérer quelque peu le caractère de vieux bouc de la viande, aidé par un massalé puissant mais non agressif. C’est un peu loin du souvenir que nous avions gardé de ce même plat, dégusté au même endroit. La viande était plus tendre, le massalé plus nuancé et complexe, et le cotomili était présent, si nos souvenirs sont bons. Cela reste quand même un bon cabri-massalé, même s’il est un peu gras aux entournures, la faute à la sauce.
Avec la morue, on passe au niveau supérieur. Nous aurions pu croire que le sel ramènerait sa fraise, là plus qu’ailleurs, eh bien non. La chair est bien éclatée menue, sautée avec justesse en compagnie des oignons et de trop rares gros piments coupés dans la longueur. Le goût musqué du poisson est pourtant un peu timide. C’est qu’on ne trouve plus que difficilement de la bonne morue, ma bonne dame, et un dessalage appuyé vous envoie les saveurs aux cent diables. Cette morue-ci se finit quand même sans broncher. Un petit piment vert « crasé » lui aurait donné davantage de tonus, comme les épinards pour Popeye.
Tout en haut du podium aujourd’hui : les saucisses au choka. Une merveille. D’abord des saucisses fumées odorantes et goûtues, fines, charnues, qui évoquent la campagne et la tradition créole du cochon des familles trucidé de bonne heure dans le frimât des hauts, tandis que les mains s’activent à préparer les épices. Des saucisses du Tampon, selon le patron. Le choka en julienne pour sa part s’est imprégné de leur fumet, pour jouer en tandem avec son propre goût prononcé, qui rappelle ici un mélange subtil de chou de coco et de cambarre, avec une texture équilibrée, ni trop molle, ni trop dure, et soyeuse sous la gencive. L’ensemble se mange sans faim.
Pour accompagner, un excellent riz gourmand, qui s’imprègne bien des sauces ; des gros pois en crème, qui ont de la cuisse ; et un rougail citron-oignon hélas solitaire. Étant repus, nous n’envisageons pas de dessert, et réglons une note de 39 euros pour deux personnes. Le rapport qualité prix est bon.
Le Royal Palmiste s’appelait autrefois le Choka, et a retrouvé ses premiers gérants. Un changement de nom pour tourner une page sans doute, mais le choix du buffet, s’il a des avantages indéniables, retire un peu de cette ambiance conviviale et hospitalière propres aux établissements de cuisine créole des hauts. Par bonheur, les plats ont un niveau correct et respectent la tradition réunionnaise, malgré un sel trop présent sur deux caris et un cabri un peu dur. Pour aller plus loin, un ou deux rougails supplémentaires donnerait le choix des accompagnements, car le sempiternel rougail citron-oignon n’est peut-être pas si passe-partout que cela. Exemple aujourd’hui : un rougail concombre, pour aller avec le massalé, et un piment vert, pour servir la morue, auraient été bienvenus. Si l’on ajoute le cadre simple et agréable et des gérants relativement accueillants, l’on a tous les arguments pour décerner au Royal palmiste une honnête fourchette en argent.
Un petit tour à la charcuterie
C’est vendredi. Précipitez-vous savates dans la main vers la charcuterie située à deux pas du Choka, dans la rue perpendiculaire, pour acheter leur boudin. Leur saucisse avait participé au concours de la saucisse d’or de l’année dernière, et leur boudin est très bon. Moelleux, magnifiquement épicé, avec un persil causant et la petite claque pimentée qui va bien, ce boudin, réchauffé, sera le prince de votre entrée pour le repas de famille, accompagné d’un petit mesclun ou du traditionnel cresson.
Pour résumer. Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats: perfectible • Service : bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix: bon. Impression globale : bonne table
Fourchette en argent