Chez Jules

IMG_1830Aujourd’hui, nous allons nous asseoir Pente Sassy, du côté de Saint-André, à un jet d’ail de la balance, aux pourtours de la Cressonnière, à la table de Chez Jules, une adresse relativement nouvelle des environs.

Le restaurant est logé dans un bâtiment en béton ancien, juste à côté du PMU du coin. La salle est grande, un peu froide. Un «mur» de plantes en vitrine apporte un peu de verdure au décor, où un attrape-mouche manifeste sa présence par les explosions intermittentes des diptères téméraires. Les tables, simples, sont bien mises. C’est propre. Sur le côté gauche, un espace barquettes semble assez fréquenté. Nous débarquons de bonne heure comme d’habitude, et sommes accueillis avec un grand sourire par une charmante personne. La salle est vide. Elle se remplira peu à peu. Chez Jules annonce la couleur sur sa façade : cuisine créole et… du monde.

Le menu du jour est en effet éclectique : un massalé cabri répond à une souris d’agneau, le poulet palmiste côtoie un civet de queue de bœuf, et un cari de légine donne la réplique à un tartare de thon. Pas grand-chose en entrée péi, à part la traditionnelle mais onéreuse salade de palmiste et le sempiternel plateau créole touristique. En revanche la carte «du monde» est plus riche en entrées : carpaccio de bœuf à l’huile de menthe et ses pétales de parmesan, mi-cuit de foie gras et sa confiture de bilimbi, moules gratinées, aubergine confite au piment de cayenne et fondue de fromage raclette. Entre 9 et 17 euros. Les plats de résistance sont du même moule. Une fois n’est pas coutume, nous prendrons du carpaccio en entrée, histoire de sortir un peu de la créolité, et que notre repas soit raccord avec la philosophie du lieu. Un cabri massalé suivra. Bien sûr, le civet nous a fait de l’œil, mais le classique massalé permet une comparaison plus objective par rapport aux précédentes visites par ailleurs.

Nous entamons le voyage avec Johnny, pas celui qui chantait, mais celui qui marche. Et remarquons un drôle de manège en face, au coin des barquettes. Le personnel trie des brèdes. Des brèdes manioc. Ce spectacle nous laisse pantois d’abord, heureux ensuite ! Halleluia, sonnez musettes et résonnez haubois, ou l’inverse : des brèdes dans un restaurant réunionnais ! C’est incroyable ! C’est fantastique ! Il va neiger…

IMG_1838La belle assiette de carpaccio est servie assez rapidement, alors que notre verre d’apéritif est encore humide. Le dressage trahit la patte d’un chef qui sait faire. C’est joli sans être alambiqué. Les fins carpaccios sont un peu frais. C’est dommage car cela retient les sensations gustatives envoyées par le cru de la viande. Nous sentons peu la menthe, mais surtout la saveur de l’huile d’olive. Si l’huile est parfumée, elle ne l’est pas assez pour lutter contre les atours salés et râpeux du parmesan. Aussi un petit coup de main lui aurait été bénéfique, en accentuant le côté frais, au moyen de quelques feuilles de menthe par exemple. L’assiette est promptement enlevée, et le cabri saute vers nous, précédé de l’odeur.

IMG_1843Présentation à l’assiette aussi, ou presque, avec une vaisselle simple et élégante à la fois. Le cabri fond en bouche en deux coups de dents. C’est gourmand, ample… et aussi passablement gras. L’ange de l’épaule droite hurle à la plaque d’athérome, au cholestérol LDL, et au gras du bide… le petit diable de l’épaule gauche nous invite à faire confiance à nos sensations. Cette belle viande qui glisse toute seule, emballée par un massalé puissant, au roussi réussi, qui pousse le «silon» dans ses retranchements… mais qui manque de piquant tout de même. Il roule toutefois un peu trop des mécaniques, ce massalé-là, et le caloupilé peine à lui donner de la nuance. Le cari disparaît, et reste dans le plat un fond d’huile qui n’est pas forcément heureux. Les accompagnements sont civilisés. Bon riz souple qui boit la sauce sans moufter, grains crémeux et savoureux, et surtout un rougail bilimbi de bon aloi, dont l’acidité naturelle est teintée d’un confit heureux, mais trop timide en terme de piquant, pour les palais réunionnais ignifugés. «J’ai un pied dans la cour. Aussi je les utilise pour les rougails mais aussi dans les caris», nous confie le taulier, par ailleurs chef préposé aux plats locaux.

Nous passons à la carte des desserts, très tartes, au sens non péjoratif rassurez-vous. Ces tartes tentent, mais tout tendu de trop de table nous terminons au torréfié… café. Le repas nous aura coûté 34 euros et des poussières de silon. Le rapport qualité-prix est correct.

Kom’la Case, Ti Coin Créole, Franciscéa, Beau Rivage, Champ-Borne, Velli… Six restaurants qui ont été visités à Saint-André depuis les débuts de cette rubrique, dont certains deux fois, avec plus ou moins de bonheur. Globalement, le niveau est bon (et certains ont baissé… on le sait), mais aucun n’est sorti du lot. D’ailleurs aucune fourchette d’or n’a jamais été en vue. Ce septième restaurant testé reste dans la moyenne, pour sa cuisine réunionnaise correcte. Il se démarque tout de même des autres en proposant une carte métro (ou «du mon-de») originale, exécutée par un chef dédié, sur laquelle nous ne nous prononçons pas, excepté l’entrée que nous avons dégustée aujourd’hui. Un accueil et un service souriants et professionnels mettent les clients à l’aise. Peut-être quelques efforts seraient-ils encore à faire sur la décoration, pour rendre la salle de cette ancienne bâtisse commerciale haute de plafond plus attrayante. Nous attendrons une prochaine visite pour être vraiment surpris par les caris, mais c’est en bonne voie. Aujourd’hui Chez Jules récolte une fourchette en argent.

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Pour résumer. 
Accueil : très bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : très bien • Service : très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : bon. Impression globale : bonne table

Fourchette en argent

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Les 5 Orangers

« Les Orangers » est un petit patelin juché sur l’épaule Est de Sainte-Anne, presque à la frontière de Sainte-Rose, à deux coups d’ailes de papangue du pont suspendu. Le coin est doté d’une petite école et de quelques cases lovées dans leur jardin verdoyant. Des champs de cannes et d’ananas, des bosquets épars, deux ou trois anciens assis sur un rebord de mur à regarder les voitures comme des vaches les trains sous d’autres latitudes, la peau burinée par le soleil, le corps sec d’avoir trimé dans les champs, au temps des arrières-grands-parents de la génération Y. Voilà le tableau. Et là, sur le bord de route, le restaurant « Les 5 orangers » accueille les locaux et les touristes.

Nous y avions posés nos séants naguère, en 2013, mon Dieu que le temps passe, et l’établissement n’était constitué que d’un container aménagé et d’une terrasse ombragée de parasols jaunes estampillées BB. Nous y avions assez bien déjeuné d’ailleurs, ce qui lui avait valu une fourchette en argent méritée.

IMG_6790Aujourd’hui, le décor est peu ou prou inchangé. Le nouveau propriétaire des lieux s’est tout de même efforcé de gagner en confort sans perdre en authenticité. Malheureusement la nationale est toujours aussi proche, et l’on a un peu de mal à s’entendre avec la circulation, surtout lors du défilé dominical des deux roues bougrement cylindrées, et autres motards qui n’ont besoin de personne…
Ce qui sonne, ce n’est pas David, mais l’heure de la pitance, et nous y allons d’autant plus confiants que nous avons fait un passage éclair l’avant-veille. Un monstrueux bol renversé nous avait contenté le fondement. Monstrueux par la taille, déjà, calibré pour les raleurs-d’pioche-au-soleil sur les coups de onze heure, et aussi par le goût, au sens admiratif de l’adjectif. Ce monument de la cuisine réunionnaise inspiré de l’Empire du milieu, est composé d’un riz civilisé, humecté d’une sauce d’huître aguicheuse qui emballe la viande comme une seconde peau. Quelques légumes juste sautés, encore croquants, y apportent un côté frais souverain. Dans ce festival de karay doux-salé nous avons aussi décelé comme un autre parfum, sous-jacent au nez roussi, typique des sautés chinois élaborés. Bref, nous en sommes tombés à la renverse. Revenons à nos cabris.

En fait de cabri, c’est un coq « fermier » qui est accommodé au massalé. Il côtoie entre autre un rôti de porc et un cari de dorade. Et ce sera notre repas du jour. Le menu en entier affiche pas moins de dix plats de résistance (voir photo). C’est presque trop, même pour un dimanche. Introduire deux entrées et se limiter à cinq caris serait du temps de gagné, pour travailler davantage la qualité. Les desserts étant déjà là, cela permettrait aussi de proposer une formule complète à prix attractif.

Les assiettes suivent de près un excellent punch. C’est parti.

Le rôti est tout à fait urbain. Les senteurs de poivre et de thym chauffé et croûté, allument l’appétit avant que la viande, en bouche, n’affiche sa saveur unique du bon cochon qui a suinté en marmite. Nous l’aurions tout de même souhaité plus campagnard, le rôti, avec davantage de belle peau épaisse et cuivrée, qui danse le twerk sous les molaires, et un cœur plus tendre. La chair était en effet « in ti guine » sèche, par place. Voyons les façons du poisson.

IMG_6818Le cari de dorade, servie entière, est excellemment exécuté. La sauce, pimentée sur suggestion du service, toute rouge, et bien épaisse avec sa couche d’oignons qui fond en bouche, a capté les saveurs marines, transformées d’ail et de gingembre, pour offrir une délectation qui joue sur le doux-acide relevé. La dorade s’offre sans résistance, avec sa chair blanche qui a gardé de la souplesse. Il s’en est tout de même fallut de peu qu’elle soit trop cuite. Sauvée in extremis, la donzelle, pour notre bonheur. Le rougail mangue y apporte sa fraîcheur acide magnifique, en y ajoutant son propre piquant, et conséquemment, nous avons nos papilles aux cent diables, l’alarme au palais et la larme à l’œil. Nous l’avons bien cherché.

Le coq fermier, dégusté plus tard en version barquette, s’est imprégné d’un massalé équilibré, ni trop fort, ni trop subtil, où le caloupilé jovial apporte son parfum profond et fumé pour donner au cari une consistance gustative qu’on ne retrouve qu’aux repas des « services ». Le chef sait visiblement que point n’est besoin d’être timide sur le caloupilé, surtout pour les amateurs de malabarités gastronomiques dont nous sommes. Alors certes, un coq péi eut fait merveille, mais le chanteur des basses-cour locales se fait précieux. Le « fermier », correctement cuit, s’est acquitté avec dignité de sa tâche.

Le riz est de bonne facture. Les gros pois sont dans les clous, épicés comme il faut, mais leur velouté se serait davantage exprimé s’ils étaient davantage écrasés « en crème ».

Comment voulez-vous prendre un dessert après ça ? Que des classiques de toute manière, mais quand même plus élaborés que ne laisserait supposer les atours rustiques du lieu. La tarte tatin dégustée deux jours auparavant était juste correcte. Le dressage était joli, mais un peu de chantilly et trois feuilles de menthe lui auraient donné meilleure figure, y compris en bouche.

Addition : 48 euros pour deux personnes, un excellent punch planteur compris. Le rapport qualité-prix est très bon.

Que dire de plus ? Qu’on aurait souhaité décaler la nationale de quelques mètres pour s’entendre manger ? Un vœu pieu. Nonobstant ce petit inconvénient, les 5 orangers, avec sa quarantaine de couverts sur sa terrasse colorée, propose un cadre sympathique où le moment du repas est appréciable et apprécié. La cuisine du chef est somme toute simple, et savoureuse. De bons plats de chez nous au goût authentique où les produits sont respectés, pour des tarifs honnêtes. Ne manquent plus qu’une ou deux entrées typiques, comme du boudin par exemple, ou une salade chinoise pour introduire le bol renversé. Concernant les desserts, même remarque que pour la précédente critique : aller chercher davantage d’originalité et de terroir. Attention au dressage, quand même. En l’occurrence il n’y en a pas, mis à part les feuilles de bananes (le dimanche). C’est traditionnel, certes, mais une petite touche de présentation serait un plus. Le riz moulé, un bouquet de persil, une tranche d’oignon, un piment entier posé en décor… la sauce autour… bien entendu, il faut du temps. Le service pour sa part est parfait. Sourire, disponibilité, humour et sérieux : tout est fait pour mettre le client à l’aise. Nous repartons donc repus et contents, suffisamment pour octroyer aux Cinq Orangers une très belle fourchette en argent, avec recommandation. L’or n’est plus très loin…

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Fargent
Pour résumer. 
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
• 
Service : très bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix : bon. Impression globale : très bonne table

Fourchette en argent avec recommandation

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Les Letchis

Par un temps éclairci, après plusieurs jours de pluies diluviennes, nous prenons la route en direction de Saint-Benoît afin de mettre les pieds sous la table du restaurant les Letchis, qui embrasse la Rivière des Marsouins, à l’Ilet Danclas. L’établissement, bien connu dans l’Est depuis plus d’une paire de décennies, est réputé pour ses plats typiques comme le canard braisé, le cari de poisson rouge ou le cari de bichiques tant qu’il y en a encore.

IMG_6595Déjà, le parking sous les arbres, avec la rivière toute proche, invite à l’évasion et au farniente. On y prend sa dose maximale de verdure. Passé le petit pont sous lequel s’ébattent des carpes asiatiques, nous sommes accueillis au comptoir de caisse par le grand sourire d’une dame qui nous mène vers la table que nous avions réservée en terrasse, au bord de l’eau, ou peu s’en faut. Et là, le choc. Toute la terrasse, jadis ouverte, à l’ombre d’un gros letchis et des parasols, est couverte de tôles. C’est hideux.

« Par temps de pluie, la terrasse était inutilisable » nous dit-on en guise d’explication. Oui, cela est bien compréhensible, mais dans ce cas pour quoi ne pas se servir de la salle qui existe déjà ? Trop de manipulations de meubles à faire peut-être ?
Nous déjeunons donc sous la tôle, où il règne une chaleur d’étuve. C’est triste. La table est heureusement bien mise, et nous y attendent le menu du jour, qui se chiffre de base à 38 euros. « De base », car certains plats demandent des suppléments.
Aujourd’hui, au choix, on nous propose cari poulet au palmiste, cari camarons, civet de cerf, rougail chevaquines, cari de légine, canard braisé et bouillon coquilles, avec supplément de trois euros pour ces trois derniers plats. Salade de palmiste, brochette de canard miel et thym, marinade de poisson, gratin de légumes pays et une assiette créole composée d’un achard de légumes et d’une galantine de volaille artisanale constituent les entrées. Six desserts classiques ferment la marche. Le menu enfant est à 15 euros : du poulet rôti et des frites…

Nous faisons notre choix et attendons en compagnie d’un cocktail de fruits du jour proposé à 8 euros, à base de tequila, de purée de letchis et d’orangine. Délicieux et rafraîchissant. L’attente n’est pas très longue avant que les brochettes de canard et le gratin de chou de coco fassent leur apparition. Juste assez longue pour que nous remarquions un éclat sur une assiette. Rien de grave, mais à des tarifs pareils, l’on devient sourcilleux.

IMG_6607Les brochettes exhalent leur beau fumet de barbecue souligné par le thym et nous salivons aussi sec.
Luisant de leur pellicule de miel, les morceaux se font tendres et savoureux, le sucré du miel danse avec la légère amertume des chairs qui ont tâté de la braise, mais juste assez pour être cuite à cœur en restant souple. Un bonheur.

Le gratin quant à lui est médiocre. Les morceaux de chou de coco ont certainement dû rendre toute la flotte tombée du ciel ces derniers temps, car ils n’ont proprement aucun goût. Seule la béchamel et le fromage flirtent pendant que le chou tient la chandelle. Les quelques feuilles de salade posées en guise de décor sont peut-être fraîches, mais lâchées comme ça n’importe comment, inutiles.

Les entrées sont enlevées. Nous admirons le paysage et la rivière dans laquelle des enfants s’amusent. Et le ciel se couvre. Suivent le poulet palmiste et le bouillon coquilles.

IMG_6614Le cari de poulet est correct, quoique nous avons vu largement mieux ailleurs. La sauce manque de caractère, ce que cache assez mal un curcuma vantard et un sel surnuméraire. La viande, itou, est timide en goût, et sèche sur les bords, même si elle a de la tenue et assez de fermeté pour procurer quelques sensations masticatoires. Ce n’est toutefois point de la poule de luxe, la cuisse gourmande aux reflets rouges foncés sur les nerfs. Cela ne va pas très loin. Le palmiste qui l’accompagne ne peut pas grand chose pour relever le niveau. Il n’est pas assez imbibé de sauce et ne propose qu’une texture aléatoire, tirant sur le filandreux. Bref, c’est un cari de poulet palmiste bien trop ordinaire, et même moins que ça, pour jouer dans la cour des restaurants aux menus à 38 euros.

IMG_6616Le bouillon coquilles n’est pas mauvais lui non plus, en soi. Les humeurs de fond de rivière, associées au goût de mollusque qui rappelle l’escargot, font leur effet, mais sans zèle. Nous en attendions bien davantage. Les bestioles sont passablement caoutchouteuses, et la sauce un peu claire. Où que l’on soit, quand on paye 41 euros pour un menu avec des plats de cet acabit, on aurait légitimement tendance à s’imaginer non pas dans un restaurant mais dans un pigeonnier. Et on ne veut pas savoir que le nettoyage des coquilles est long et fastidieux.

IMG_6624Le riz, fort heureusement, est très bon. Ça faisait longtemps. Les grains ronds ont un petit côté ferme et souple à la fois qui donne de la consistance aux sauces. Les haricots manquent de sel (parti dans le poulet sans doute). Le rougail d’orangines, petites agrumes qu’affectionnent les gens des Letchis, à juste titre, est vivifiant. Il nous réconcilierait presque avec le poulet et les coquilles sans ambition qui nous ont été proposés aujourd’hui. L’orangine, c’est acide comme un citron, parfumé comme un tangor, quand elle est mûre, avec une fraîcheur de jardin après l’ondée. En revanche la découpe du fruit est visiblement négligée. Les émincés sont inégaux, en forme comme en épaisseur, nous y avons même retrouvé le cul du pédoncule. Une crème brûlée sans prétention et un fondant au chocolat mettent fin au repas.

Addition pour deux menus et deux apéritifs : 93 euros ! Soit 46,5 euros par tête de touristes. Le rapport qualité-prix est très mauvais.

Les Letchis, établissement réputé de Saint-Benoît. Faudrait-il parler de cette réputation au passé ? Nous ne l’espérons pas. Pourtant aujourd’hui nous avons payé le décor, l’emplacement, et encore, si on considère que celui-ci est proprement gâché par un toit de tôle sans doute utile, pour protéger des humidités, mais parfaitement laid, il y a de quoi se poser des questions. Pourquoi ne pas avoir opté pour des petits kiosques par exemple ? Trop cher ?
En tout cas ce n’est pas la qualité qui justifie ces tarifs semi-gastronomiques, même si elle les eut justifié par le passé. Les caris étaient mangeables, globalement, et dire qu’ils ne l’étaient pas serait mentir, mais très ordinaires, surtout le plat typique du coin, les coquilles.
A ces tarifs là, on attend aussi de la vaisselle intacte, des dressages plus élaborés, un choix de desserts originaux, et une vue à 360° sur le paysage, comme avant. Rien à dire sur le service, presque parfait. Difficile de noter quand autant de potentiel est gâché par une relative déception. La fourchette d’or est exclue. La fourchette en argent est ratée de peu, la faute au rapport qualité-prix. La fourchette en inox s’impose donc. Bien dommage.

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Finox
Pour résumer. 
Accueil : très bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : moyen • Service : très bien • Qualité des plats : moyen • Rapport qualité-prix : très mauvais. Impression globale : insuffisant

Fourchette en inox

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Formatés à la mal-bouffe, des Réunionnais oublient les vraies saveurs de leur terroir

Les Réunionnais seraient-ils atteints d’agueusie ?
Cela pourrait être un titre. Un peu provoc. Provoc car généralisant. Et je n’aime pas généraliser. Aussi quand je lis et j’entends ici et là « Les Réunionnais » ceci, « Les Réunionnais » cela, ça m’agace. De quels Réunionnais au juste parle-t-on ? Ceux du Nord, du Sud, de l’Ouest ou de l’Est ? Des pauvres ou des riches ? Des bien-portants ou des malades ? Des imbéciles congénitaux ou de ceux qui font fonctionner leur cerveau un tant soit peu ? Des croyants ou des athées ?
Comme dans n’importe quel autre endroit du monde, « Les Réunionnais » est un concept qui n’a de sens qu’en vertu du lieu de résidence ou du lieu de naissance, ou tout simplement de la revendication de chacun en fonction de l’un ou de l’autre, et c’est tout.
On est à La Réunion, et donc dire « Les Réunionnais » quand on traite un sujet local me semble passablement pléonastique.
Donc, hors identification à un lieu de résidence, « Les Réunionnais » ça n’existe pas. « Des Réunionnais », ça existe.

Un long préambule pour bien vous faire comprendre que je ne met pas tous les Réunionnais dans le même sac quand je pose la question de leur perte de goût, encore heureux. Mais c’est là une tendance inquiétante que je constate depuis que j’arpente l’île pour tester les restaurants.
Car lors de ces visites, il m’arrive aussi d’observer les clients, ce qu’ils mangent et leur façon de manger. Et c’est édifiant.

IMG_1488J’ai commencé ces observations concomitamment aux critiques de restaurants ayant choisi la formule du buffet à volonté, une « mode » qui a commencé dans les années 2000. Mais le concept est beaucoup plus vieux. Au début des années 80, je me souviens d’un restaurant fameux situé à Terre-Sainte, aux alentours du SMA, qui utilisait le concept du buffet à l’occasion de mariages, baptêmes et autres divertissements. J’ai moi-même assisté à deux mariages à cet endroit dont j’ai oublié le nom, avec le souvenir de plats délicieux.

La formule du buffet, pour un restaurateur, c’est pratique à plus d’un titre, et surtout rentable. En effet, à moins d’être un mutant doté d’un estomac gigantesque, le client lambda ne peut avaler plus qu’une certaine quantité d’aliments, même dans le cas où il engloutirait à toute vitesse, avant que la sensation de satiété ne soit enclenchée par le cerveau. Et ils sont nombreux, ceux-là.

Les buffets à volonté ont donc fait tâche d’huile. Si j’ose dire. Certains furent heureux, à l’exemple du Vieux Kréole d’Alix Clain à Sainte-Clotilde,  et beaucoup d’autres moins. Pour prendre des exemples récents, j’ai été sidéré par la médiocrité qualitative des buffets de l’hôtel des Aigrettes ou du restaurant Bistrot Case Créole, tous les deux à Saint-Gilles, de celui de leur proche voisin La Marmite à l’Ermitage, ou de celui du Restaurant des laves à Saint-Philippe. Produits bas de gamme, aliments trop cuits, trop salés, parfois trop épicés, hypers gras… les fourchettes en plastique ont été de sortie.

Mais enfin quoi ? Qu’est-ce que ce genre de restauration ? Des auges données à des cochons ? Ces patrons de restaurants, business-mens avant d’être restaurateurs, n’ont cure de la santé de leurs clients, ou même du respect des produits, de la recherche du goût… Faire de l’argent est leur priorité. Tout le reste n’est qu’accessoire.
Et que dire des conditions de travail des employés et des conditions d’hygiène ? Ces cuisines là sont bien gardées, les mouches ne passent pas les portes de la salle. J’entends : au sens propre, comme au sens figuré.

Dès lors mes questions furent : « comment parviennent-ils à tenir ? », « pourquoi les clients ne se révoltent-ils pas ? ». Timidité ? Acceptation ? Non… car beaucoup reviennent. La réponse est évidente et elle m’a choqué : des gens, beaucoup de gens, et de plus en plus, AIMENT CA ! 

Oui, la bouffe approximative, de mauvaise qualité, bourrée de sel, grasse, ils aiment ça. Et ils l’aiment d’autant plus quand il y en a à foison.

Je l’ai moi-même constaté, pendant des visites où les plats étaient en dessous de tout, des clients baffraient comme si on sortait d’une guerre mondiale et qu’ils n’avaient plus mangé à leur faim depuis des années. 
Des gens qui ont donc oublié jusqu’au vrai goût des caris, leur propre culture gastronomique jetée dans les poubelles de l’oubli, estampillées des logos des multinationales de l’agroalimentaire.

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La présentation qui fait « genre », un peu éculée d’ailleurs, alors que le contenu ne vaut rien…

Le Réunionnais, depuis les années 60, est de plus en plus citadin. La famille qui a connu la guerre et les privations, qui savait faire cuire un bon poulet, disparaît au fil des ans. La démographie galopante et anarchique, encouragée activement ou passivement par les autorités nationales et locales, a eu pour conséquence un accroissement de la population tel qu’il est devenu impossible de répondre à la demande de produits alimentaires par la seule production locale. Les prix ont enflé, et d’autant plus à l’arrivée de l’euro, quoiqu’en disent certains intellectuels achetés par le système. La paupérisation quasi mécanique qui en a résulté en parallèle a précipité les plus défavorisés, et même beaucoup d’autres, vers les produits industriels importés, ou transformés localement, beaucoup moins chers.

Et ça fait 40 ans que ça dure.
Et ça empire.

Résultat : la génération des trentenaires actuels a davantage tâté de l’exhausteur de goût et des produits chimiques que du poulet péi, si cher qu’il est devenu un mets de luxe. Elle va se jeter sur du lapin congelé made in China à 6 euros, sans connaître les conditions d’élevage de ces animaux, plutôt qu’acheter le lapin péi vendu plus du double.
Et c’est valable aussi pour certains légumes, dont des carottes par exemple, puisqu’on a parlé de lapin. Certains préfèrent ces carottes énormes, quasi fluorescentes, qu’on trouve au supermarché, en provenance de Chine ou d’Australie, plutôt que nos carottes péi.
Une génération qui va opter par facilité pour des plats préparés, bourrés de sel et de conservateurs, dont certains sont fabriqués à La Réunion, par des Réunionnais.

Comment voulez-vous qu’à force, cette génération n’oublie pas le goût authentique des plats d’autrefois ? Le vrai goût du coq « la cour », des brèdes (qui ont pour ainsi dire disparu des menus dans les restaurants, y compris les meilleurs), des tomates des champs pilées avec du bon piment « zoizo »… et je suis scandalisé, et choqué quand j’entend des gens de ma génération et même de la précédente me soutenir mordicus que les plats des buffets précédemment cités (entre autres), au moment où je les ai testé, étaient « très bons !  »
Mais les gens sont devenus amnésiques ? Ou est-ce bien l’agueusie qui les guette ?

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Lueurs d’espoir : les marchés forains restent populaires, malgré les quelques loustics qui profitent un peu sur le dos des locaux ou des touristes (je sais où ils sont). Des artisans continuent à fabriquer d’excellents produits, malgré deux ou trois autres escrocs notoires qui tentent de fourguer leurs camelotes, et j’en ai débusqué… Des tables d’hôtes proposent encore de la cuisine traditionnelle, plus ou moins bien faite, malgré quelques autres malfaisants qui abusent éhontément de l’ignorance innée des touristes et de celle hélas acquise de certains locaux. J’y mettrai le nez, le palais et le reste un de ces quatre, si Dieu le veut.