Aujourd’hui, nous allons nous asseoir Pente Sassy, du côté de Saint-André, à un jet d’ail de la balance, aux pourtours de la Cressonnière, à la table de Chez Jules, une adresse relativement nouvelle des environs.
Le restaurant est logé dans un bâtiment en béton ancien, juste à côté du PMU du coin. La salle est grande, un peu froide. Un «mur» de plantes en vitrine apporte un peu de verdure au décor, où un attrape-mouche manifeste sa présence par les explosions intermittentes des diptères téméraires. Les tables, simples, sont bien mises. C’est propre. Sur le côté gauche, un espace barquettes semble assez fréquenté. Nous débarquons de bonne heure comme d’habitude, et sommes accueillis avec un grand sourire par une charmante personne. La salle est vide. Elle se remplira peu à peu. Chez Jules annonce la couleur sur sa façade : cuisine créole et… du monde.
Le menu du jour est en effet éclectique : un massalé cabri répond à une souris d’agneau, le poulet palmiste côtoie un civet de queue de bœuf, et un cari de légine donne la réplique à un tartare de thon. Pas grand-chose en entrée péi, à part la traditionnelle mais onéreuse salade de palmiste et le sempiternel plateau créole touristique. En revanche la carte «du monde» est plus riche en entrées : carpaccio de bœuf à l’huile de menthe et ses pétales de parmesan, mi-cuit de foie gras et sa confiture de bilimbi, moules gratinées, aubergine confite au piment de cayenne et fondue de fromage raclette. Entre 9 et 17 euros. Les plats de résistance sont du même moule. Une fois n’est pas coutume, nous prendrons du carpaccio en entrée, histoire de sortir un peu de la créolité, et que notre repas soit raccord avec la philosophie du lieu. Un cabri massalé suivra. Bien sûr, le civet nous a fait de l’œil, mais le classique massalé permet une comparaison plus objective par rapport aux précédentes visites par ailleurs.
Nous entamons le voyage avec Johnny, pas celui qui chantait, mais celui qui marche. Et remarquons un drôle de manège en face, au coin des barquettes. Le personnel trie des brèdes. Des brèdes manioc. Ce spectacle nous laisse pantois d’abord, heureux ensuite ! Halleluia, sonnez musettes et résonnez haubois, ou l’inverse : des brèdes dans un restaurant réunionnais ! C’est incroyable ! C’est fantastique ! Il va neiger…
La belle assiette de carpaccio est servie assez rapidement, alors que notre verre d’apéritif est encore humide. Le dressage trahit la patte d’un chef qui sait faire. C’est joli sans être alambiqué. Les fins carpaccios sont un peu frais. C’est dommage car cela retient les sensations gustatives envoyées par le cru de la viande. Nous sentons peu la menthe, mais surtout la saveur de l’huile d’olive. Si l’huile est parfumée, elle ne l’est pas assez pour lutter contre les atours salés et râpeux du parmesan. Aussi un petit coup de main lui aurait été bénéfique, en accentuant le côté frais, au moyen de quelques feuilles de menthe par exemple. L’assiette est promptement enlevée, et le cabri saute vers nous, précédé de l’odeur.
Présentation à l’assiette aussi, ou presque, avec une vaisselle simple et élégante à la fois. Le cabri fond en bouche en deux coups de dents. C’est gourmand, ample… et aussi passablement gras. L’ange de l’épaule droite hurle à la plaque d’athérome, au cholestérol LDL, et au gras du bide… le petit diable de l’épaule gauche nous invite à faire confiance à nos sensations. Cette belle viande qui glisse toute seule, emballée par un massalé puissant, au roussi réussi, qui pousse le «silon» dans ses retranchements… mais qui manque de piquant tout de même. Il roule toutefois un peu trop des mécaniques, ce massalé-là, et le caloupilé peine à lui donner de la nuance. Le cari disparaît, et reste dans le plat un fond d’huile qui n’est pas forcément heureux. Les accompagnements sont civilisés. Bon riz souple qui boit la sauce sans moufter, grains crémeux et savoureux, et surtout un rougail bilimbi de bon aloi, dont l’acidité naturelle est teintée d’un confit heureux, mais trop timide en terme de piquant, pour les palais réunionnais ignifugés. «J’ai un pied dans la cour. Aussi je les utilise pour les rougails mais aussi dans les caris», nous confie le taulier, par ailleurs chef préposé aux plats locaux.
Nous passons à la carte des desserts, très tartes, au sens non péjoratif rassurez-vous. Ces tartes tentent, mais tout tendu de trop de table nous terminons au torréfié… café. Le repas nous aura coûté 34 euros et des poussières de silon. Le rapport qualité-prix est correct.
Kom’la Case, Ti Coin Créole, Franciscéa, Beau Rivage, Champ-Borne, Velli… Six restaurants qui ont été visités à Saint-André depuis les débuts de cette rubrique, dont certains deux fois, avec plus ou moins de bonheur. Globalement, le niveau est bon (et certains ont baissé… on le sait), mais aucun n’est sorti du lot. D’ailleurs aucune fourchette d’or n’a jamais été en vue. Ce septième restaurant testé reste dans la moyenne, pour sa cuisine réunionnaise correcte. Il se démarque tout de même des autres en proposant une carte métro (ou «du mon-de») originale, exécutée par un chef dédié, sur laquelle nous ne nous prononçons pas, excepté l’entrée que nous avons dégustée aujourd’hui. Un accueil et un service souriants et professionnels mettent les clients à l’aise. Peut-être quelques efforts seraient-ils encore à faire sur la décoration, pour rendre la salle de cette ancienne bâtisse commerciale haute de plafond plus attrayante. Nous attendrons une prochaine visite pour être vraiment surpris par les caris, mais c’est en bonne voie. Aujourd’hui Chez Jules récolte une fourchette en argent.
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Pour résumer. Accueil : très bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : très bien • Service : très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : bon. Impression globale : bonne table
Fourchette en argent
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