Les 5 Orangers

« Les Orangers » est un petit patelin juché sur l’épaule Est de Sainte-Anne, presque à la frontière de Sainte-Rose, à deux coups d’ailes de papangue du pont suspendu. Le coin est doté d’une petite école et de quelques cases lovées dans leur jardin verdoyant. Des champs de cannes et d’ananas, des bosquets épars, deux ou trois anciens assis sur un rebord de mur à regarder les voitures comme des vaches les trains sous d’autres latitudes, la peau burinée par le soleil, le corps sec d’avoir trimé dans les champs, au temps des arrières-grands-parents de la génération Y. Voilà le tableau. Et là, sur le bord de route, le restaurant « Les 5 orangers » accueille les locaux et les touristes.

Nous y avions posés nos séants naguère, en 2013, mon Dieu que le temps passe, et l’établissement n’était constitué que d’un container aménagé et d’une terrasse ombragée de parasols jaunes estampillées BB. Nous y avions assez bien déjeuné d’ailleurs, ce qui lui avait valu une fourchette en argent méritée.

IMG_6790Aujourd’hui, le décor est peu ou prou inchangé. Le nouveau propriétaire des lieux s’est tout de même efforcé de gagner en confort sans perdre en authenticité. Malheureusement la nationale est toujours aussi proche, et l’on a un peu de mal à s’entendre avec la circulation, surtout lors du défilé dominical des deux roues bougrement cylindrées, et autres motards qui n’ont besoin de personne…
Ce qui sonne, ce n’est pas David, mais l’heure de la pitance, et nous y allons d’autant plus confiants que nous avons fait un passage éclair l’avant-veille. Un monstrueux bol renversé nous avait contenté le fondement. Monstrueux par la taille, déjà, calibré pour les raleurs-d’pioche-au-soleil sur les coups de onze heure, et aussi par le goût, au sens admiratif de l’adjectif. Ce monument de la cuisine réunionnaise inspiré de l’Empire du milieu, est composé d’un riz civilisé, humecté d’une sauce d’huître aguicheuse qui emballe la viande comme une seconde peau. Quelques légumes juste sautés, encore croquants, y apportent un côté frais souverain. Dans ce festival de karay doux-salé nous avons aussi décelé comme un autre parfum, sous-jacent au nez roussi, typique des sautés chinois élaborés. Bref, nous en sommes tombés à la renverse. Revenons à nos cabris.

En fait de cabri, c’est un coq « fermier » qui est accommodé au massalé. Il côtoie entre autre un rôti de porc et un cari de dorade. Et ce sera notre repas du jour. Le menu en entier affiche pas moins de dix plats de résistance (voir photo). C’est presque trop, même pour un dimanche. Introduire deux entrées et se limiter à cinq caris serait du temps de gagné, pour travailler davantage la qualité. Les desserts étant déjà là, cela permettrait aussi de proposer une formule complète à prix attractif.

Les assiettes suivent de près un excellent punch. C’est parti.

Le rôti est tout à fait urbain. Les senteurs de poivre et de thym chauffé et croûté, allument l’appétit avant que la viande, en bouche, n’affiche sa saveur unique du bon cochon qui a suinté en marmite. Nous l’aurions tout de même souhaité plus campagnard, le rôti, avec davantage de belle peau épaisse et cuivrée, qui danse le twerk sous les molaires, et un cœur plus tendre. La chair était en effet « in ti guine » sèche, par place. Voyons les façons du poisson.

IMG_6818Le cari de dorade, servie entière, est excellemment exécuté. La sauce, pimentée sur suggestion du service, toute rouge, et bien épaisse avec sa couche d’oignons qui fond en bouche, a capté les saveurs marines, transformées d’ail et de gingembre, pour offrir une délectation qui joue sur le doux-acide relevé. La dorade s’offre sans résistance, avec sa chair blanche qui a gardé de la souplesse. Il s’en est tout de même fallut de peu qu’elle soit trop cuite. Sauvée in extremis, la donzelle, pour notre bonheur. Le rougail mangue y apporte sa fraîcheur acide magnifique, en y ajoutant son propre piquant, et conséquemment, nous avons nos papilles aux cent diables, l’alarme au palais et la larme à l’œil. Nous l’avons bien cherché.

Le coq fermier, dégusté plus tard en version barquette, s’est imprégné d’un massalé équilibré, ni trop fort, ni trop subtil, où le caloupilé jovial apporte son parfum profond et fumé pour donner au cari une consistance gustative qu’on ne retrouve qu’aux repas des « services ». Le chef sait visiblement que point n’est besoin d’être timide sur le caloupilé, surtout pour les amateurs de malabarités gastronomiques dont nous sommes. Alors certes, un coq péi eut fait merveille, mais le chanteur des basses-cour locales se fait précieux. Le « fermier », correctement cuit, s’est acquitté avec dignité de sa tâche.

Le riz est de bonne facture. Les gros pois sont dans les clous, épicés comme il faut, mais leur velouté se serait davantage exprimé s’ils étaient davantage écrasés « en crème ».

Comment voulez-vous prendre un dessert après ça ? Que des classiques de toute manière, mais quand même plus élaborés que ne laisserait supposer les atours rustiques du lieu. La tarte tatin dégustée deux jours auparavant était juste correcte. Le dressage était joli, mais un peu de chantilly et trois feuilles de menthe lui auraient donné meilleure figure, y compris en bouche.

Addition : 48 euros pour deux personnes, un excellent punch planteur compris. Le rapport qualité-prix est très bon.

Que dire de plus ? Qu’on aurait souhaité décaler la nationale de quelques mètres pour s’entendre manger ? Un vœu pieu. Nonobstant ce petit inconvénient, les 5 orangers, avec sa quarantaine de couverts sur sa terrasse colorée, propose un cadre sympathique où le moment du repas est appréciable et apprécié. La cuisine du chef est somme toute simple, et savoureuse. De bons plats de chez nous au goût authentique où les produits sont respectés, pour des tarifs honnêtes. Ne manquent plus qu’une ou deux entrées typiques, comme du boudin par exemple, ou une salade chinoise pour introduire le bol renversé. Concernant les desserts, même remarque que pour la précédente critique : aller chercher davantage d’originalité et de terroir. Attention au dressage, quand même. En l’occurrence il n’y en a pas, mis à part les feuilles de bananes (le dimanche). C’est traditionnel, certes, mais une petite touche de présentation serait un plus. Le riz moulé, un bouquet de persil, une tranche d’oignon, un piment entier posé en décor… la sauce autour… bien entendu, il faut du temps. Le service pour sa part est parfait. Sourire, disponibilité, humour et sérieux : tout est fait pour mettre le client à l’aise. Nous repartons donc repus et contents, suffisamment pour octroyer aux Cinq Orangers une très belle fourchette en argent, avec recommandation. L’or n’est plus très loin…

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Fargent
Pour résumer. 
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
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Service : très bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix : bon. Impression globale : très bonne table

Fourchette en argent avec recommandation

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Les Letchis

Par un temps éclairci, après plusieurs jours de pluies diluviennes, nous prenons la route en direction de Saint-Benoît afin de mettre les pieds sous la table du restaurant les Letchis, qui embrasse la Rivière des Marsouins, à l’Ilet Danclas. L’établissement, bien connu dans l’Est depuis plus d’une paire de décennies, est réputé pour ses plats typiques comme le canard braisé, le cari de poisson rouge ou le cari de bichiques tant qu’il y en a encore.

IMG_6595Déjà, le parking sous les arbres, avec la rivière toute proche, invite à l’évasion et au farniente. On y prend sa dose maximale de verdure. Passé le petit pont sous lequel s’ébattent des carpes asiatiques, nous sommes accueillis au comptoir de caisse par le grand sourire d’une dame qui nous mène vers la table que nous avions réservée en terrasse, au bord de l’eau, ou peu s’en faut. Et là, le choc. Toute la terrasse, jadis ouverte, à l’ombre d’un gros letchis et des parasols, est couverte de tôles. C’est hideux.

« Par temps de pluie, la terrasse était inutilisable » nous dit-on en guise d’explication. Oui, cela est bien compréhensible, mais dans ce cas pour quoi ne pas se servir de la salle qui existe déjà ? Trop de manipulations de meubles à faire peut-être ?
Nous déjeunons donc sous la tôle, où il règne une chaleur d’étuve. C’est triste. La table est heureusement bien mise, et nous y attendent le menu du jour, qui se chiffre de base à 38 euros. « De base », car certains plats demandent des suppléments.
Aujourd’hui, au choix, on nous propose cari poulet au palmiste, cari camarons, civet de cerf, rougail chevaquines, cari de légine, canard braisé et bouillon coquilles, avec supplément de trois euros pour ces trois derniers plats. Salade de palmiste, brochette de canard miel et thym, marinade de poisson, gratin de légumes pays et une assiette créole composée d’un achard de légumes et d’une galantine de volaille artisanale constituent les entrées. Six desserts classiques ferment la marche. Le menu enfant est à 15 euros : du poulet rôti et des frites…

Nous faisons notre choix et attendons en compagnie d’un cocktail de fruits du jour proposé à 8 euros, à base de tequila, de purée de letchis et d’orangine. Délicieux et rafraîchissant. L’attente n’est pas très longue avant que les brochettes de canard et le gratin de chou de coco fassent leur apparition. Juste assez longue pour que nous remarquions un éclat sur une assiette. Rien de grave, mais à des tarifs pareils, l’on devient sourcilleux.

IMG_6607Les brochettes exhalent leur beau fumet de barbecue souligné par le thym et nous salivons aussi sec.
Luisant de leur pellicule de miel, les morceaux se font tendres et savoureux, le sucré du miel danse avec la légère amertume des chairs qui ont tâté de la braise, mais juste assez pour être cuite à cœur en restant souple. Un bonheur.

Le gratin quant à lui est médiocre. Les morceaux de chou de coco ont certainement dû rendre toute la flotte tombée du ciel ces derniers temps, car ils n’ont proprement aucun goût. Seule la béchamel et le fromage flirtent pendant que le chou tient la chandelle. Les quelques feuilles de salade posées en guise de décor sont peut-être fraîches, mais lâchées comme ça n’importe comment, inutiles.

Les entrées sont enlevées. Nous admirons le paysage et la rivière dans laquelle des enfants s’amusent. Et le ciel se couvre. Suivent le poulet palmiste et le bouillon coquilles.

IMG_6614Le cari de poulet est correct, quoique nous avons vu largement mieux ailleurs. La sauce manque de caractère, ce que cache assez mal un curcuma vantard et un sel surnuméraire. La viande, itou, est timide en goût, et sèche sur les bords, même si elle a de la tenue et assez de fermeté pour procurer quelques sensations masticatoires. Ce n’est toutefois point de la poule de luxe, la cuisse gourmande aux reflets rouges foncés sur les nerfs. Cela ne va pas très loin. Le palmiste qui l’accompagne ne peut pas grand chose pour relever le niveau. Il n’est pas assez imbibé de sauce et ne propose qu’une texture aléatoire, tirant sur le filandreux. Bref, c’est un cari de poulet palmiste bien trop ordinaire, et même moins que ça, pour jouer dans la cour des restaurants aux menus à 38 euros.

IMG_6616Le bouillon coquilles n’est pas mauvais lui non plus, en soi. Les humeurs de fond de rivière, associées au goût de mollusque qui rappelle l’escargot, font leur effet, mais sans zèle. Nous en attendions bien davantage. Les bestioles sont passablement caoutchouteuses, et la sauce un peu claire. Où que l’on soit, quand on paye 41 euros pour un menu avec des plats de cet acabit, on aurait légitimement tendance à s’imaginer non pas dans un restaurant mais dans un pigeonnier. Et on ne veut pas savoir que le nettoyage des coquilles est long et fastidieux.

IMG_6624Le riz, fort heureusement, est très bon. Ça faisait longtemps. Les grains ronds ont un petit côté ferme et souple à la fois qui donne de la consistance aux sauces. Les haricots manquent de sel (parti dans le poulet sans doute). Le rougail d’orangines, petites agrumes qu’affectionnent les gens des Letchis, à juste titre, est vivifiant. Il nous réconcilierait presque avec le poulet et les coquilles sans ambition qui nous ont été proposés aujourd’hui. L’orangine, c’est acide comme un citron, parfumé comme un tangor, quand elle est mûre, avec une fraîcheur de jardin après l’ondée. En revanche la découpe du fruit est visiblement négligée. Les émincés sont inégaux, en forme comme en épaisseur, nous y avons même retrouvé le cul du pédoncule. Une crème brûlée sans prétention et un fondant au chocolat mettent fin au repas.

Addition pour deux menus et deux apéritifs : 93 euros ! Soit 46,5 euros par tête de touristes. Le rapport qualité-prix est très mauvais.

Les Letchis, établissement réputé de Saint-Benoît. Faudrait-il parler de cette réputation au passé ? Nous ne l’espérons pas. Pourtant aujourd’hui nous avons payé le décor, l’emplacement, et encore, si on considère que celui-ci est proprement gâché par un toit de tôle sans doute utile, pour protéger des humidités, mais parfaitement laid, il y a de quoi se poser des questions. Pourquoi ne pas avoir opté pour des petits kiosques par exemple ? Trop cher ?
En tout cas ce n’est pas la qualité qui justifie ces tarifs semi-gastronomiques, même si elle les eut justifié par le passé. Les caris étaient mangeables, globalement, et dire qu’ils ne l’étaient pas serait mentir, mais très ordinaires, surtout le plat typique du coin, les coquilles.
A ces tarifs là, on attend aussi de la vaisselle intacte, des dressages plus élaborés, un choix de desserts originaux, et une vue à 360° sur le paysage, comme avant. Rien à dire sur le service, presque parfait. Difficile de noter quand autant de potentiel est gâché par une relative déception. La fourchette d’or est exclue. La fourchette en argent est ratée de peu, la faute au rapport qualité-prix. La fourchette en inox s’impose donc. Bien dommage.

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Finox
Pour résumer. 
Accueil : très bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : moyen • Service : très bien • Qualité des plats : moyen • Rapport qualité-prix : très mauvais. Impression globale : insuffisant

Fourchette en inox

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