Brasserie de la Gare du Nord

IMG_7673Aujourd’hui, sous les alizés et un soleil encore chaud, nous arpentons le front de mer dionysien pour aller manger à la Brasserie de la Gare du Nord. Pour ceux qui viennent à Saint-Denis deux fois l’an, l’établissement est logé dans la longère refaite à neuf en 2015, juste à côté d’une verrue : la ruine de l’ex-bibliothèque centrale de prêt.

La grande salle est agréable, décorée sobrement, et respire un petit côté classieux non ostentatoire. Nous sommes accueillis poliment, mais sans sourire, et on nous invite à prendre place. Il est 11h30, il n’y a pas un chat. La carte est celle d’une brasserie, avec une partie « caris », celle-là même qui nous intéresse. Cabri massalé, cari poulet, rougail morue, rougail saucisses, rôti de porc, plus un plat du jour (shop-suey poulet). Que des grands classiques affichés entre 14 et 16,50 euros. Nous optons pour le cabri, tout de suite, et le shop-suey, à emporter.

IMG_2186Une mousseuse plus tard, le massalé est servi à l’assiette. Nous attaquons. L’assiette est … colorée. La touffe de persil frisé et le quart de tomate, à défaut d’être utiles, essaient d’égayer ce semblant de présentation. Sauf qu’un bout de tomate posé comme ça, sans découpe particulière, c’est négligé. Le cabri est assez sombre et remugle cette odeur presque métallique du massalé trop grillé associé à celle de la viande de vieux bouc congelé, bas de gamme, qui rappelle les effluves de dessous de bras par grand soleil. En bouche, point vraiment de surprise. La saveur du massalé est plus éteinte que son odeur. La poudre n’est sans doute plus très jeune. Il est vrai que la viande affiche un côté sauvage et abrupt pas piqué des hannetons. La cuisson est heureusement correcte. On devine qu’elle a été bien poussée pour attendrir ce cabri d’importation généreux en gras. Ce côté gras-poisseux caractéristique du caprin moyen. D’ailleurs on l’a aidé un peu : sous la viande, l’huile coule pour imbiber le riz. Les trois navrantes feuilles de caloupilé ne peuvent rien faire de plus. Heureusement que le rougail citron-oignons mixés vient apporter sa touche acidulée et pimentée pour faire descendre la viande. C’est du cabri-massalé brut de décoffrage, à éviter de décoffrer.

IMG_7685Côté shop-suey, la barquette débouchée laisse exhaler un piquant de gingembre soutenu. Très soutenu. Rien d’étonnant : une énorme tranche du rhizome, façon billot miniature, fait la conversation à ses amies carottes, archi-cuites. Tout est d’ailleurs mou : brèdes chou-de-chine, poivrons, oignons, courgettes « de lo » (de nos jours, si vous trouvez encore des courgettes qui ont du goût, faites nous signe). Le sel bien présent trahit des grands « effets de manche » du cuistot, bouteille de Siave en main. Le blanc du poulet en profite d’ailleurs pleinement, et le rougail « zoignons » servi avec n’arrange rien, bien au contraire. C’est du shop-suey je-m’en-foutiste, le « Pa-la-ek-sa-shop-sui », version dégénérée du bon shop-suey sauté au karay, cul au dragon, avec des légumes encore croquants, et tout parfumés des épices et sauces comme les « vrais » savent faire. Est-il bon de préciser que nous n’avons pas ouvert la barquette des heures après. On ne peut donc accuser un éventuel ramollissement des ingrédients par la propre chaleur de celle-ci. Un plat qui se mange avec la faim, en temps de guerre.

En dessert nous avons choisi une tarte aux griottes, espérant que l’acidité fruitée de ces dernières nous rincerait un peu la glotte du gras du cabri. En fait, c’est une tarte surprise. Car si griottes il y a (peu), l’essentiel de l’appareil est constitué de papaye, un peu flottante, molle et manquant de corps. La pâte elle même colle sous la dent. Dans l’ensemble la tarte est mangeable, mais ne correspond pas à ce qui est affiché à la carte. Tarif pour deux repas, dont un à emporter, un dessert et une mousse : 32,80 euros. Compte tenu de la qualité globale, « c’était cher ». Tout à fait dans le ton des barquettes vendues dans les camions bars glauques du proche Barachois.

La Brasserie de la Gare du Nord est un peu comme un naufragé survivant sur le radeau de La Méduse du no-man’s-land qui tient lieu de front de mer à Saint-Denis, toujours en attente, comme la sœur Anne, d’une hypothétique refonte depuis on ne sait plus quand. Précisons d’abord que notre présente critique ne vaut que pour les plats que nous avons dégustés aujourd’hui, et parle donc pour la cuisine réunionnaise pratiquée à cet endroit, et non pas pour les autres plats de la carte. En un mot : ce fut médiocre. Payer quinze euros des caris « foutaise » au raz des barquettes, c’est exagéré. Cela manque singulièrement de recherche (mais n’en demandons pas trop), et de justesse dans l’appréciation de l’assaisonnement, de la qualité des produits et de la cuisson. De la cuisine gros doigts, en somme. Une pitié pour notre gastronomie locale qui ne bénéficie pas de toute l’attention qu’elle est en droit d’avoir. Dommage car le cadre (intérieur) est beau, le service est correct, et il y a de la place pour se garer, ce qui est un vrai luxe dans le chef-lieu. En conséquence, nous ne voyons pas comment nous pourrions attribuer à La Gare du Nord autre chose qu’une misérable fourchette en plastique.

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Fplast

Pour résumer. Accueil : moyen • Cadre : bien • Présentation des plats : moyen • Service : bien • Qualité des plats : mauvais • Rapport qualité-prix : mauvais. Impression globale : médiocre

Fourchette en plastique

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Questions existentielles du rougail saucisses

Rougail 2

Cyril Lignac a fait l’assassin, selon des internautes réunionnais, révoltés que le chef ait incorporé de l’ail et du curcuma dans son rougail saucisses. D’autres internautes le remercient au contraire de mettre en avant la cuisine réunionnaise, arguant qu’eux aussi y vont de leur interprétation de notre plat emblématique.

Sabine Dijoux, médiatique chef de l’Est, et gardienne de nos traditions notamment au travers de son livre « La cuisine de Sabine » a déclaré sur Réunion 1ère ne voir aucun inconvénient à ce que les gens réinterprètent les plats traditionnels, à condition de changer le nom des plats réinterprétés. Sur le fond, elle a parfaitement raison. Mais pour que cela puisse être fait, encore faudrait-il protéger légalement le nom des caris traditionnels, par une sorte de copyright, et conséquemment déterminer et inscrire dans le marbre leur recette de base.

Cela supposerait que tout le monde s’entende déjà sur ces recettes de base, et leurs modifications tolérables. Je dis « tout le monde », cela concerne au premier chef (c’est le mot!) les cuisiniers réunionnais, des plus connus aux anonymes, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest en passant par les Hauts. Et quand je parle de « modifications tolérables », je parle d’admettre, au grand dam des « intégristes » plus ou moins nombrilistes, que notre cuisine réunionnaise est multiple et variée, et qu’un cari de poulet peut aussi bien se cuisiner avec ou sans tomate, que des brèdes chouchous peuvent se préparer croquantes ou molles, avec ou sans oignons, etc.

Mais le landernau culinaire local est un vrai panier de crabes… avec son lot (humain) de jalousie, d’animosités, de tirage de couverture à soi, d’intérêts personnels, de ladi-lafé, d’egos surdimensionnés, d’hypocrisie suintante… Alors pour une entente générale, on n’est pas sorti de l’auberge, du restaurant ou du camion bar ! Ce n’est donc pas demain la veille que dans le landernau on s’entendra pour définir, une bonne fois pour toutes, quelles sont les recettes de base des plats réunionnais et leurs déclinaisons possibles.

Est-ce à dire que la cuisine réunionnaise doit restée figée ? Pas du tout. Seulement, pour savoir où l’on va, il ne faut déjà pas oublier d’où l’on vient. Feu Jean-Pierre Coffe, que nous avions rencontré lors de son passage à la Réunion, nous avait déclaré : « gardez précieusement votre cuisine traditionnelle, mais apprenez aussi à en sortir. »

Conserver les recettes traditionnelles, incluant leurs déclinaisons possibles (avec et sans tomate pour le cari de poulet par exemple), et donc les transmettre aux nouvelles générations, est le préalable obligatoire à la création d’une nouvelle cuisine réunionnaise qui serait mondialement reconnue. Oui « mondialement », n’ayons pas peur des mots. Car notre île commence à être connue des chefs métros et européens pour la qualité de son terroir et des produits qui en sont issus. Des ambassadeurs font déjà un travail remarquable, à l’exemple d’Alexis Rivière, de Payet & Rivière ou d’Alessandro Lampis avec MadamedeBourbon. Des chefs de talent, qui travaillent les produits locaux, sont sur le chemin de cette nouvelle cuisine réunionnaise , comme Jofrane Dailly, Jehan Colson, Marc Chappot, Alexandre Galmar, pour ne citer qu’eux, encore faudrait-il qu’ils aient le temps et la volonté de mener cette recherche.

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Notre rougail saucisse continuera son bonhomme de chemin, pourvu que tout le monde s’accorde sur sa recette de base, ET sur les modifications tolérables à la marge, que beaucoup de Réunionnais font déjà, notamment par l’ajout d’épices supplémentaires. Ainsi, si un jour un Lignac ou un autre vient y incorporer du massalé ou de la sauce d’huître on pourra alors légitimement hurler à « l’assassin ! ».

Le cari poulet référent

IMG_7567Divine soirée au cabaret Pat’Jaunes, 23e km à la Plaine-des-Cafres. C’est une institution. Depuis leur débuts en 1993, ce groupe de yabs revendiqués met l’ambiance aux sons entraînants du folklore local, quadrille et séga, avec des notes country. Les quatre joyeux Lurons, Claudine Tarby, Bernard, Michel et François Gonthier, bourrés d’humour et de gaieté, vous font oublier tout vos soucis pendant leur spectacle où la tendresse et la nostalgie ne sont pas absents.

Et le repas…

Ce soir cari de poulet et rougail zandouillettes… Si ces dernières ne m’ont pas tout à fait convaincu, bien que très bonnes, le cari de poulet est ce que j’appelle « Le référent ». Le cari de poulet sur lequel je me base pour évaluer tous les autres. C’est le vrai cari de poulet traditionnel des hauts de La Réunion, cuit sans eau et sans tomate, au feu de bois.
C’est le jeune Ludovic Clain, 34 ans, gendre de Bernard Gonthier, qui l’a exécuté avec brio, après avoir appris la recette auprès son beau-père.

« J’ai cherché pendant dix ans  avant de trouver les bonnes proportions d’épices, le bon feu et la bonne cuisson » raconte Bernard. Une cuisson en effet experte où la maîtrise du feu de bois est indispensable. Ti Fred, notre fourchette d’or de Petite-Ile, nous l’avait dit : « Faire un feu de bois de cuisson est un art, ce n’est pas donné à n’importe qui. »
« La fin de la cuisson se passe sur de la braise blanche » dévoile Ludovic. « Quand j’ai fait goûter ça à mon vieux tonton, il m’a restitué verbalement ma recette exactement comme je l’avais faite » ajoute Bernard.

Dix ans pour trouver les bonnes quantité d’épices… thym, sel, poivre, etc.
Qui osera dire encore que notre gastronomie n’est pas à la hauteur de celle de la France métropolitaine ? Car même sur ce plat à priori simple à faire, on peut rechercher et atteindre une précision, une expertise, une maîtrise digne des plus grands chefs internationaux pour obtenir un plat d’exception comme il nous a été donné de déguster au cabaret Pat’Jaunes.

Et il ne s’agit là que du cari poulet… notre gastronomie est riche de très nombreux autres plats, chacun d’entre eux ayant leur secret de fabrication dans la tête et dans les mains de ces cordons bleus des familles réunionnaises, qui ont reçu les recettes d’une tante, d’une mère, d’une grand-mère ou d’un grand-père, et qui ont ce don particulier qui s’éteindra avec eux. Les recettes survivent, tant bien que mal d’ailleurs, mais le don est unique à chaque personne.

Impossible de tenir un tel niveau dans un restaurant, tous les jours ? Sans doute. Contraintes financières, difficultés d’approvisionnement, et manque de temps. Mais les restaurants de cuisine réunionnaise doivent tendre vers cette excellence là, autant que faire se peut.

Si vous voulez vous faire une idée, allez voir les Pat’Jaunes. Le cabaret a lieu les vendredis et samedis. 

Le Beaumonnais

IMG_2027Aujourd’hui, nous passons en mode barquettes. Objectif : apprécier la cuisine du Beaumonnais, qui a pignon sur parking du centre commercial Duparc, haut lieu de la consommation du Nord, avec son Jumbo et sa grande galerie commerciale.

Le camion-bar, émanation familiale de l’auberge du Piton Fougères, y est installé depuis 2016 et propose des caris estampillés «Au feu de bois», à des tarifs au-dessus de la moyenne. On peut y trouver des plats qui sortent des sentiers battus et rebattus, à l’exemple du civet de sanglier au menu du jour. Rougail morue à la papaye, cari de poulet et Ti-Jacques boucané sont aussi alignés en vitrine. La jeune femme au service est courtoise et d’un abord sympathique. Elle est surtout efficace. Nos barquettes sont remplies en deux temps trois mouvements, et notre porte-monnaie vidé en moins de temps encore. Nous repartons avec les pièces à conviction vers la paix du logis.

IMG_7513Nous entamons le repas avec la morue. Ce rougail flotte. On ne peut pas dire autrement, étant donné que dans son bac, déjà, il baigne dans un jus clair. En bouche, le parfum particulier de la papaye se manifeste avec discrétion, concurrencé par le gingembre. La morue elle-même s’exprime aussi, au palais comme au nez, émiettée comme il faut, mais offrant un côté sec sous la dent aussitôt que le jus s’est éparpillé en bouche. Le rougail citron est un bon valet pour la morue, fut-elle amenée sans son porte-jarretelles huilé. En effet, même si le rougail est bon, il lui manque un côté croûté et onctueux qu’une huile de bonne qualité, dispensée avec justesse, lui aurait conféré. Astuce : si tant est que vous tombiez, ici ou ailleurs, sur ce genre de rougail morue flottant, et qu’il ne vous emballe pas plus que ça (et si, bien sûr, vous allez le déguster chez vous), repassez-le à la poêle pour le faire sécher un peu, puis ajoutez-y deux cuillères à soupe d’huile, accompagné d’un peu de piment vert écrasé au pilon…

IMG_7524Passons au ti jacques. C’est presque un ti jacques boucané… «presque», car la proportion de ti jacques par rapport au boucané est à peu près de 50/50. C’est déjà bien. Nombre de snacks, camion-bars et restaurants de quartier vendent du ti jacque boucané alors que c’est du boucané ti jacque. Vous saisissez la nuance ? D’ailleurs, dans notre barquette, l’équilibre se renifle tout de suite. A la première bouchée, on constate un penchant léger vers le côté «en eau» de la morue. Quelques minutes supplémentaires au feu, à découvert, n’auraient pas fait de mal. Le cari est tout de même assez satisfaisant. Le boucané lui-même propose une balance sec/gras équilibrée, avec une cuisson juste, offrant assez de mordant pour apprécier convenablement ses atours fumés. Le ti jacque n’est pas en reste au niveau goût. Les épices lui donnent de l’éclat et le cari se termine sans même y prendre garde.

IMG_7522Et nous finissons avec le civet de sanglier. Le humage de cette affaire révèle d’abord le caractère sauvage de la bestiole, avec un arrière-nez vinaigré, puis confit, où le roussi d’épices s’exprime à plein. Quelques morceaux secs, quelques bouts de peau plus gras et de la viande un peu entre les deux : la texture globale est hétéroclite, mais le tout est habillé d’une sauce très épaisse, plutôt une gangue moelleuse, à l’extrême opposé des tendances liquides des précédents caris. Les épices, tomates comprises, ont comme fondu dans le vin pour donner ce résultat acide et doux, haut en couleur, que le gras des bouts de peau sublime à merveille. Conséquemment, le sanglier ne peut en placer une que si l’on apprécie un morceau de viande plus sec. Le vin cuit joue les prolongations dans les sinus, tandis que la peau du ventre se met à tendre.

Rien de spécial à dire sur le riz, convenablement cuit et sur les lentilles, qui ne cassent pas la baraque mais « font le job ». Addition pour trois barquettes : 25 euros. Sachant que le sanglier en vaut 10. Le rapport qualité prix est perfectible. 10 euros, c’est cher quand même pour une barquette.

Un Beaumonais, avec un seul «n», est un noeud-papillon à carreaux. Les plats que nous nous sommes envoyés derrière la cravate sont du Beaumonnais, avec deux «n». Qui vient de Beaumont, lieu-dit de Sainte-Marie. «C’est la même famille, mais des cuisines différentes» nous dit la jeune dame, faisant référence au Piton Fougères. On peut quand même sentir, gustativement parlant, la parenté des caris que nous avons dégustés aujourd’hui avec ceux des hauts, et en particulier du célèbre établissement des sommets de Sainte-Marie, où l’on a vu le «gardien la vanille»… Dans l’ensemble, ce fut en effet bon. Le sel est correctement dosé (ce qui est un progrès par rapport à des plats achetés au même endroit quelques années auparavant), les saveurs s’expriment avec joie, et les barquettes sont gourmandes. Bémol sur les temps de cuisson, apparemment : la morue et le ti jacques auraient largement supporté un séchage plus abouti. Avec de tels caris, et pour le prix, un deuxième rougail ne serait pas de trop. Quand les tomates seront moins chères, proposer un rougail tomate-combava pourrait flatter le civet, comme le cari poulet que nous n’avons pas testé. Compte tenu de la qualité des repas de ce jour, nous décernons au Beaumonnais une jolie fourchette en argent, en attendant mieux.

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Farg2
Pour résumer. 
Accueil : bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : bien
• Service : très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : bon. Impression globale : bonne table

Fourchette en argent

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