Aujourd’hui, nous passons en mode barquettes. Objectif : apprécier la cuisine du Beaumonnais, qui a pignon sur parking du centre commercial Duparc, haut lieu de la consommation du Nord, avec son Jumbo et sa grande galerie commerciale.
Le camion-bar, émanation familiale de l’auberge du Piton Fougères, y est installé depuis 2016 et propose des caris estampillés «Au feu de bois», à des tarifs au-dessus de la moyenne. On peut y trouver des plats qui sortent des sentiers battus et rebattus, à l’exemple du civet de sanglier au menu du jour. Rougail morue à la papaye, cari de poulet et Ti-Jacques boucané sont aussi alignés en vitrine. La jeune femme au service est courtoise et d’un abord sympathique. Elle est surtout efficace. Nos barquettes sont remplies en deux temps trois mouvements, et notre porte-monnaie vidé en moins de temps encore. Nous repartons avec les pièces à conviction vers la paix du logis.
Nous entamons le repas avec la morue. Ce rougail flotte. On ne peut pas dire autrement, étant donné que dans son bac, déjà, il baigne dans un jus clair. En bouche, le parfum particulier de la papaye se manifeste avec discrétion, concurrencé par le gingembre. La morue elle-même s’exprime aussi, au palais comme au nez, émiettée comme il faut, mais offrant un côté sec sous la dent aussitôt que le jus s’est éparpillé en bouche. Le rougail citron est un bon valet pour la morue, fut-elle amenée sans son porte-jarretelles huilé. En effet, même si le rougail est bon, il lui manque un côté croûté et onctueux qu’une huile de bonne qualité, dispensée avec justesse, lui aurait conféré. Astuce : si tant est que vous tombiez, ici ou ailleurs, sur ce genre de rougail morue flottant, et qu’il ne vous emballe pas plus que ça (et si, bien sûr, vous allez le déguster chez vous), repassez-le à la poêle pour le faire sécher un peu, puis ajoutez-y deux cuillères à soupe d’huile, accompagné d’un peu de piment vert écrasé au pilon…
Passons au ti jacques. C’est presque un ti jacques boucané… «presque», car la proportion de ti jacques par rapport au boucané est à peu près de 50/50. C’est déjà bien. Nombre de snacks, camion-bars et restaurants de quartier vendent du ti jacque boucané alors que c’est du boucané ti jacque. Vous saisissez la nuance ? D’ailleurs, dans notre barquette, l’équilibre se renifle tout de suite. A la première bouchée, on constate un penchant léger vers le côté «en eau» de la morue. Quelques minutes supplémentaires au feu, à découvert, n’auraient pas fait de mal. Le cari est tout de même assez satisfaisant. Le boucané lui-même propose une balance sec/gras équilibrée, avec une cuisson juste, offrant assez de mordant pour apprécier convenablement ses atours fumés. Le ti jacque n’est pas en reste au niveau goût. Les épices lui donnent de l’éclat et le cari se termine sans même y prendre garde.
Et nous finissons avec le civet de sanglier. Le humage de cette affaire révèle d’abord le caractère sauvage de la bestiole, avec un arrière-nez vinaigré, puis confit, où le roussi d’épices s’exprime à plein. Quelques morceaux secs, quelques bouts de peau plus gras et de la viande un peu entre les deux : la texture globale est hétéroclite, mais le tout est habillé d’une sauce très épaisse, plutôt une gangue moelleuse, à l’extrême opposé des tendances liquides des précédents caris. Les épices, tomates comprises, ont comme fondu dans le vin pour donner ce résultat acide et doux, haut en couleur, que le gras des bouts de peau sublime à merveille. Conséquemment, le sanglier ne peut en placer une que si l’on apprécie un morceau de viande plus sec. Le vin cuit joue les prolongations dans les sinus, tandis que la peau du ventre se met à tendre.
Rien de spécial à dire sur le riz, convenablement cuit et sur les lentilles, qui ne cassent pas la baraque mais « font le job ». Addition pour trois barquettes : 25 euros. Sachant que le sanglier en vaut 10. Le rapport qualité prix est perfectible. 10 euros, c’est cher quand même pour une barquette.
Un Beaumonais, avec un seul «n», est un noeud-papillon à carreaux. Les plats que nous nous sommes envoyés derrière la cravate sont du Beaumonnais, avec deux «n». Qui vient de Beaumont, lieu-dit de Sainte-Marie. «C’est la même famille, mais des cuisines différentes» nous dit la jeune dame, faisant référence au Piton Fougères. On peut quand même sentir, gustativement parlant, la parenté des caris que nous avons dégustés aujourd’hui avec ceux des hauts, et en particulier du célèbre établissement des sommets de Sainte-Marie, où l’on a vu le «gardien la vanille»… Dans l’ensemble, ce fut en effet bon. Le sel est correctement dosé (ce qui est un progrès par rapport à des plats achetés au même endroit quelques années auparavant), les saveurs s’expriment avec joie, et les barquettes sont gourmandes. Bémol sur les temps de cuisson, apparemment : la morue et le ti jacques auraient largement supporté un séchage plus abouti. Avec de tels caris, et pour le prix, un deuxième rougail ne serait pas de trop. Quand les tomates seront moins chères, proposer un rougail tomate-combava pourrait flatter le civet, comme le cari poulet que nous n’avons pas testé. Compte tenu de la qualité des repas de ce jour, nous décernons au Beaumonnais une jolie fourchette en argent, en attendant mieux.
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Pour résumer. Accueil : bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : bien
• Service : très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : bon. Impression globale : bonne table
Fourchette en argent
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