Aujourd’hui, sous les alizés et un soleil encore chaud, nous arpentons le front de mer dionysien pour aller manger à la Brasserie de la Gare du Nord. Pour ceux qui viennent à Saint-Denis deux fois l’an, l’établissement est logé dans la longère refaite à neuf en 2015, juste à côté d’une verrue : la ruine de l’ex-bibliothèque centrale de prêt.
La grande salle est agréable, décorée sobrement, et respire un petit côté classieux non ostentatoire. Nous sommes accueillis poliment, mais sans sourire, et on nous invite à prendre place. Il est 11h30, il n’y a pas un chat. La carte est celle d’une brasserie, avec une partie « caris », celle-là même qui nous intéresse. Cabri massalé, cari poulet, rougail morue, rougail saucisses, rôti de porc, plus un plat du jour (shop-suey poulet). Que des grands classiques affichés entre 14 et 16,50 euros. Nous optons pour le cabri, tout de suite, et le shop-suey, à emporter.
Une mousseuse plus tard, le massalé est servi à l’assiette. Nous attaquons. L’assiette est … colorée. La touffe de persil frisé et le quart de tomate, à défaut d’être utiles, essaient d’égayer ce semblant de présentation. Sauf qu’un bout de tomate posé comme ça, sans découpe particulière, c’est négligé. Le cabri est assez sombre et remugle cette odeur presque métallique du massalé trop grillé associé à celle de la viande de vieux bouc congelé, bas de gamme, qui rappelle les effluves de dessous de bras par grand soleil. En bouche, point vraiment de surprise. La saveur du massalé est plus éteinte que son odeur. La poudre n’est sans doute plus très jeune. Il est vrai que la viande affiche un côté sauvage et abrupt pas piqué des hannetons. La cuisson est heureusement correcte. On devine qu’elle a été bien poussée pour attendrir ce cabri d’importation généreux en gras. Ce côté gras-poisseux caractéristique du caprin moyen. D’ailleurs on l’a aidé un peu : sous la viande, l’huile coule pour imbiber le riz. Les trois navrantes feuilles de caloupilé ne peuvent rien faire de plus. Heureusement que le rougail citron-oignons mixés vient apporter sa touche acidulée et pimentée pour faire descendre la viande. C’est du cabri-massalé brut de décoffrage, à éviter de décoffrer.
Côté shop-suey, la barquette débouchée laisse exhaler un piquant de gingembre soutenu. Très soutenu. Rien d’étonnant : une énorme tranche du rhizome, façon billot miniature, fait la conversation à ses amies carottes, archi-cuites. Tout est d’ailleurs mou : brèdes chou-de-chine, poivrons, oignons, courgettes « de lo » (de nos jours, si vous trouvez encore des courgettes qui ont du goût, faites nous signe). Le sel bien présent trahit des grands « effets de manche » du cuistot, bouteille de Siave en main. Le blanc du poulet en profite d’ailleurs pleinement, et le rougail « zoignons » servi avec n’arrange rien, bien au contraire. C’est du shop-suey je-m’en-foutiste, le « Pa-la-ek-sa-shop-sui », version dégénérée du bon shop-suey sauté au karay, cul au dragon, avec des légumes encore croquants, et tout parfumés des épices et sauces comme les « vrais » savent faire. Est-il bon de préciser que nous n’avons pas ouvert la barquette des heures après. On ne peut donc accuser un éventuel ramollissement des ingrédients par la propre chaleur de celle-ci. Un plat qui se mange avec la faim, en temps de guerre.
En dessert nous avons choisi une tarte aux griottes, espérant que l’acidité fruitée de ces dernières nous rincerait un peu la glotte du gras du cabri. En fait, c’est une tarte surprise. Car si griottes il y a (peu), l’essentiel de l’appareil est constitué de papaye, un peu flottante, molle et manquant de corps. La pâte elle même colle sous la dent. Dans l’ensemble la tarte est mangeable, mais ne correspond pas à ce qui est affiché à la carte. Tarif pour deux repas, dont un à emporter, un dessert et une mousse : 32,80 euros. Compte tenu de la qualité globale, « c’était cher ». Tout à fait dans le ton des barquettes vendues dans les camions bars glauques du proche Barachois.
La Brasserie de la Gare du Nord est un peu comme un naufragé survivant sur le radeau de La Méduse du no-man’s-land qui tient lieu de front de mer à Saint-Denis, toujours en attente, comme la sœur Anne, d’une hypothétique refonte depuis on ne sait plus quand. Précisons d’abord que notre présente critique ne vaut que pour les plats que nous avons dégustés aujourd’hui, et parle donc pour la cuisine réunionnaise pratiquée à cet endroit, et non pas pour les autres plats de la carte. En un mot : ce fut médiocre. Payer quinze euros des caris « foutaise » au raz des barquettes, c’est exagéré. Cela manque singulièrement de recherche (mais n’en demandons pas trop), et de justesse dans l’appréciation de l’assaisonnement, de la qualité des produits et de la cuisson. De la cuisine gros doigts, en somme. Une pitié pour notre gastronomie locale qui ne bénéficie pas de toute l’attention qu’elle est en droit d’avoir. Dommage car le cadre (intérieur) est beau, le service est correct, et il y a de la place pour se garer, ce qui est un vrai luxe dans le chef-lieu. En conséquence, nous ne voyons pas comment nous pourrions attribuer à La Gare du Nord autre chose qu’une misérable fourchette en plastique.
____________________
Pour résumer. Accueil : moyen • Cadre : bien • Présentation des plats : moyen • Service : bien • Qualité des plats : mauvais • Rapport qualité-prix : mauvais. Impression globale : médiocre
Fourchette en plastique
____________________