L’Horizon 41

IMG_7931Sur les pentes raides de la départementale de la Possession, secours des automobilistes infortunés pour cause de route du littoral fermée, à peu de kilomètres du centre-ville, l’Horizon 41 vous propose des plats sur place ou à emporter, ainsi que quelques menus produits d’épicerie, pour que les gens du coin n’aient pas à redescendre chercher le sel malencontreusement zappé de la liste de courses.

IMG_7940L’endroit offre un point de vue magnifique sur le Port et la Possession, ainsi que sur l’horizon, d’où son nom sans doute. 41 faisant référence au numéro de la départementale. Une sorte de rondavelle un peu fatiguée et patinée par le temps, celui qu’il fait et celui qui passe, accueille les clients. Le sourire de deux dames ajoutent la chaleur et l’hospitalité. L’apparence des caris en vitrine nous décide à prendre place. Il est encore tôt, mais des tables sont déjà dressées pour des réservations. On nous invite poliment à nous rapprocher de l’armoire à boissons fraîches, le temps de servir. La vaisselle est propre, mais les couverts aspirent à une retraite méritée, et les verres à eau sont tout petits, une dînette. D’ailleurs, aucune eau n’est servie à table. C’est vendredi et nous goûterons donc au sacro-saint rougail morue, mais aussi au bœuf sauce tomate au menu du jour.

Les assiettes nous sont servies rapidement, dressées, avec un rougail « zognons » et des lentilles à part. La présentation est sommaire, mais elle a le mérite d’exister quand certains bouis-bouis vous envoient encore des assiettes « à la familiale », ou à la va-comme-je-te-pousse.

Des carottes râpées font office de crudité, tout en prétendant sans doute ajouter de la couleur à l’ensemble. Pas râpées du jour, vu l’aspect. Mais encore à peu près présentables, même si elles n’ont que peu de saveur. Les caris sont bien davantage ensoleillés.

IMG_7936Le rougail morue est plus en morceau qu’émietté. En barquette, ça passe, à l’assiette ça fait négligé. Heureusement qu’il est tout à fait bon. L’épaisseur des morceaux, bien que peu esthétique, a tout de même l’avantage de leur conférer une mâche intéressante, où la saveur de la salaison est bien arrangée par un assaisonnement correct, où les épices jouent pleinement leur rôle. C’est gras sur les entournures, sans exagération, ce qui compense la sécheresse relative des éléments plus gros. Au final, le mélange rougail-riz est parfait, avec un sel juste. Il ne manque qu’un peu de piment vert « crasé » pour les finitions, mais l’on ne peut nous proposer que quelques maigres piments entiers à la place. Rien d’étonnant, vu le tarif actuel de ces derniers.

IMG_7933Le bœuf quant à lui est présenté en tranches fines. Ce n’est pas du Kobé, c’est sûr. Il renifle une humeur de cuir musqué de viande brute de second choix, ce que confir-me une texture ferme et un brin crissante. Néanmoins, c’est très bien cuit, et la sauce tomate qui a pris des couleurs roussies, comme aidée par du siave, donne à la chair de l’allant, et du glissant. Le rougail « zognon » danse bien avec. L’oignon et le bœuf ont toujours été de bons compères.

IMG_7938Là dessus les lentilles, en crème, viennent jouer les trouble-fête. Si elles accompagnent mieux le bovidé, elles jurent un peu la morue. En effet, elles remuglent une odeur forte de ravensare, complété en bouche par celle d’un curcuma à la louche. C’est un peu fort. Un cari de canard, un civet de coq ou un cari « la patte » auraient été de meilleurs partis pour ces lentilles de caractère. Le riz est très bon. Bombé, gourmand, un rien collant, et goûtu comme on l’aime.

Addition pour deux caris, deux boissons et deux cafés : 22,40 euros, soit 11,20 euros par personne. Le rapport qualité prix est très bon.

L’Horizon 41 est un petit restaurant sans prétention qui propose une cuisine réunionnaise correcte pour un prix modique, sans faire payer la vue pour ceux qui déjeunent sur place ! De l’art de bien cuisiner avec des produits pas chers. Quelques améliorations seraient tout de même souhaitables. Des sets de table, une carafe d’eau, des crudités moins «cheap» pour décorer l’assiette… rien de forcément très cher, ni de très chronophage. L’affaire tourne, mais quel-ques signes laissent à penser qu’un peu d’argent frais serait bienvenu, histoire de renouveler la vaisselle, donner un coup de jeune au caillebotis, et commencer à proposer le minimum de confort et de décor pour égayer tout ça. Car le potentiel de marmite est certain, comme en témoigne la fréquentation. Par-dessus le marché, on peut se garer, que demande le peuple ? Du chemin reste à faire pour donner du lustre à ce restaurant, sans toucher à son authenticité et son hospitalité. Puisse cette fourchette d’argent contribuer à y attirer la clientèle. Petit à petit, paille en queue fait son nid.

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Farg2
Pour résumer. 
Accueil : bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : bien
• Service : très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : bonImpression globale : bonne table

Fourchette en argent

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Les fourchettes

On vient souvent me demander comment je note. Certains sont même vexés d’avoir eu une fourchette en inox  quand un autre établissement plus « modeste » a eu une fourchette en argent, alors que ses prestations sont moindres (service, dressage, carte, etc.) Explication.

Le critère important, essentiel même, c’est le rapport qualité-prix. Comme tout un chacun, quand je paye cher, j’entend en avoir pour mon argent. Quand les tarifs sont très raisonnables, et que le restaurant est modeste, je n’ai forcément pas les mêmes exigences.

Est-ce à dire que la fourchette en argent d’un « boui-boui » n’est pas égale à celle d’un restaurant « chic » ? D’une certaine manière oui, car les exigences ne sont pas les mêmes.

Car les fourchettes sont attribuées en fonction de la qualité des plats dégustés, bien sûr, quelque soit le restaurant, si c’est pas bon, la note est mauvaise…mais le seuil de tolérance est plus bas dans un restaurant qui propose des prestations de moyenne et haut de gamme. Il est aisément compréhensible qu’un rougail saucisse proposé à 16€ ne sera pas jugé comme son frère à 8€. Et je constate souvent que celui à 8€ est meilleur. 

Bien sûr, le restaurant « chic » a sans doute plus de charges qu’un « boui-boui » de quartier. Et le prix élevé peut se justifier ainsi. Mais ce n’est pas une raison pour transiger sur la qualité, bien au contraire. Dans tous les cas, la propreté des lieux, et de la vaisselle, est obligatoire. Je suis intransigeant là-dessus. D’autre part, si je tolère une vaisselle en mauvais état dans un restaurant-snack modeste, c’est une autre histoire dans un restaurant « classe ». Evident.

Pourquoi dans ce cas visiter tous les établissements et ne pas les classer par catégorie ?
Je pense que le lecteur est intelligent. Il sait que  » Le Reflet des Iles « , par exemple, n’a rien à voir avec  » Chez Yann « , pour citer deux établissements dionysiens. Pas la même taille, pas les mêmes prestations, pas le même confort. Et je rappelle que mon but est d’indiquer où, à priori, la qualité des caris est au rendez-vous, quelque soit la catégorie des établissements.

Pour rappel, voici donc la signification des fourchettes

Fourchette en plastique : plats insignifiants,
même si les autres prestations du restaurant sont correctes

Fourchette en inox : plats très moyens,
même si les autres prestations du restaurant sont correctes
Fourchette en argent : plats assez bons à bons,
sauf si les autres prestations sont très mauvaises.

Fourchette en argent avec recommandation : plats bons à très bons, 
sauf si les autres prestations sont très mauvaises.

Fourchette en or : plats très bons à exceptionnels,
et seulement si les autres prestations sont correctes.

Le Gasparin créole

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L’entrée rue Lucien Gasparin

Retour sur Saint-Denis pour cette critique dominicale. Nous débarquons dans un nouveau restaurant installé à l’étage du bâtiment adjacent au Grand Marché, tout en haut de la rue Maréchal-Leclerc, à l’angle avec la rue Lucien-Gasparin, maire du chef-lieu au pénultième siècle, dont l’établissement a emprunté le nom.

La grande et longue salle, remise aux normes, est très lumineuse. Rapport aux baies vitrées avec vue imprenable sur la Montagne, la Petite-île, la Délivrance. Les tables sont mises simplement. La déco est encore minimale, et l’ensemble respire un classicisme confortable. Nous sommes accueillis avec le sourire, mais le personnel est affairé. En effet, presque toutes les tables sont occupées par un groupe de personnes dont nous situons la moyenne d’âge au-dessus de cinquante ans. Un repas d’un club de la troisième jeunesse, sans doute. D’ailleurs, de dos, il nous semble reconnaître monsieur le maire. Nous supposons conséquemment que le service sera long. Il n’en sera rien. À peine avons-nous commencé à attendre les apéritifs, en réfléchissant au plat que nous allons tester. Au menu du jour : brochette de poisson, côte d’agneau, magret de canard, steak de bœuf, cari de thon au combava, boucané pommes de terre et civet de canard. Nous optons pour ces derniers. Les plats arrivent. Ils font déjà bonne impression.

IMG_2268Le civet de canard affiche une jolie couleur de cuivre patiné. Les morceaux ne sont pas décharnés. Certains arborent encore de jolis carrés de cette appétissante peau que tous les diététiciens honnissent, mais qui vous sortent les yeux des orbites de gourmandise. La sauce au fond ne paraît pas trop grasse. L’odeur est tout à fait conforme aux effluves de vin cuit d’un civet bien élevé, où transpire un girofle circonspect. En bouche, c’est très bon. La viande est souple, tendre, très charnue. Trempée de sauce, elle exprime bien sa saveur de canard soutenue par les humeurs complexes du quatre-épices. Le sel est juste. Le bon rougail concombre donne un complément acidulé, pimenté et croquant à la bouchée. Le plat se finit avec les doigts, et tant pis pour la bienséance.

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IMG_2266Le boucané pommes de terre est très élégant aussi. La viande et les patates ne sont pas avachies et gardent une relative fermeté qui leur fait bien se tenir. Le boucané est très équilibré en gras et maigre, pour une mâche intéressante. Son fumet est à des lieues des relents bruts qu’on a l’habitude de voir trop souvent. C’est fin, et il y a même des notes florales en pointillé, comme s’il avait été fumé à la traditionnelle, avec des feuilles vertes de pêche ou de mangue, comme certains le font encore dans les hauts. « Il vient de chez Minatchy » nous informe la patronne. Tiens, cela nous rappelle un poulet fumé provenant du même endroit, naguère fouetté pour cause de saveur rédhibitoire. Comme quoi, rien n’est jamais écrit dans le marbre, et le charcutier en question fournit également de très bons produits. Les ratages peuvent arriver à tout le monde. Ce boucané-ci est réussi en tout cas. Et les patates qui ont bu la sauce vous remettent une couche de son bon goût de fumé, que le rougail tomate accompagne parfaitement.

IMG_2275Suivent des petits bouts de gâteau péi, dont un au songe, superbe, et une crème brûlée un peu froide mais correcte. Addition : 46 euros pour un cocktail, une bière, deux caris et deux desserts, soit 23 euros par tête de yab. Le rapport qualité-prix est bon.

« Je vous offre un autre cocktail, le lait de coco du premier est un peu caillé« … nous l’avions remarqué mais n’avons pas jugé utile de le relever. Ce genre d’attention est assez rare pour mériter d’être noté. Malgré l’affluence du jour des gourmets « toujours jeunes », qui sont censés savoir ce qu’est un bon cari, et qui, visiblement, appréciaient leur repas, le service est resté souriant et efficace. La cuisine aussi est efficace. Le sieur Jean-Marc Sornom, patron du Gasparin créole, n’est autre que celui qui tient le restaurant Chez Jean-Marc, au fond du Grand Marché, tout à côté. Les plats que nous avons dégustés aujourd’hui furent délicieux et fidèles à la tradition culinaire réunionnaise. Même le riz est choisi avec soin, avec des grains épais qui confèrent aux bouchées de belles sensations. Si le boucané vient de chez Minatchy Sainte-Marie, le canard est du sud, de chez Duchemann et Grondin. « Nous essayons de travailler avec de bons produits« , déclare la patronne. Cela se voit dans l’assiette en tout cas, avec le coup de main expert du chef. Ouvert officiellement depuis trois mois, le Gasparin créole doit encore sans doute parfaire sa déco, mettre en place des entrées (s’il le juge utile), compléter les desserts et garder cette attention spéciale portée aux clients. D’ores et déjà, ce que nous avons dégusté aujourd’hui mérite amplement une belle fourchette en argent avec recommandation.

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Fargent

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Pour résumer. Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : moyen
• Service : très bien • Qualité des plats : très bons
• Rapport qualité-prix : bon
Impression globale : très bonne table

Fourchette en argent avec recommandation