
Retour sur Saint-Denis pour cette critique dominicale. Nous débarquons dans un nouveau restaurant installé à l’étage du bâtiment adjacent au Grand Marché, tout en haut de la rue Maréchal-Leclerc, à l’angle avec la rue Lucien-Gasparin, maire du chef-lieu au pénultième siècle, dont l’établissement a emprunté le nom.
La grande et longue salle, remise aux normes, est très lumineuse. Rapport aux baies vitrées avec vue imprenable sur la Montagne, la Petite-île, la Délivrance. Les tables sont mises simplement. La déco est encore minimale, et l’ensemble respire un classicisme confortable. Nous sommes accueillis avec le sourire, mais le personnel est affairé. En effet, presque toutes les tables sont occupées par un groupe de personnes dont nous situons la moyenne d’âge au-dessus de cinquante ans. Un repas d’un club de la troisième jeunesse, sans doute. D’ailleurs, de dos, il nous semble reconnaître monsieur le maire. Nous supposons conséquemment que le service sera long. Il n’en sera rien. À peine avons-nous commencé à attendre les apéritifs, en réfléchissant au plat que nous allons tester. Au menu du jour : brochette de poisson, côte d’agneau, magret de canard, steak de bœuf, cari de thon au combava, boucané pommes de terre et civet de canard. Nous optons pour ces derniers. Les plats arrivent. Ils font déjà bonne impression.
Le civet de canard affiche une jolie couleur de cuivre patiné. Les morceaux ne sont pas décharnés. Certains arborent encore de jolis carrés de cette appétissante peau que tous les diététiciens honnissent, mais qui vous sortent les yeux des orbites de gourmandise. La sauce au fond ne paraît pas trop grasse. L’odeur est tout à fait conforme aux effluves de vin cuit d’un civet bien élevé, où transpire un girofle circonspect. En bouche, c’est très bon. La viande est souple, tendre, très charnue. Trempée de sauce, elle exprime bien sa saveur de canard soutenue par les humeurs complexes du quatre-épices. Le sel est juste. Le bon rougail concombre donne un complément acidulé, pimenté et croquant à la bouchée. Le plat se finit avec les doigts, et tant pis pour la bienséance.
Le boucané pommes de terre est très élégant aussi. La viande et les patates ne sont pas avachies et gardent une relative fermeté qui leur fait bien se tenir. Le boucané est très équilibré en gras et maigre, pour une mâche intéressante. Son fumet est à des lieues des relents bruts qu’on a l’habitude de voir trop souvent. C’est fin, et il y a même des notes florales en pointillé, comme s’il avait été fumé à la traditionnelle, avec des feuilles vertes de pêche ou de mangue, comme certains le font encore dans les hauts. « Il vient de chez Minatchy » nous informe la patronne. Tiens, cela nous rappelle un poulet fumé provenant du même endroit, naguère fouetté pour cause de saveur rédhibitoire. Comme quoi, rien n’est jamais écrit dans le marbre, et le charcutier en question fournit également de très bons produits. Les ratages peuvent arriver à tout le monde. Ce boucané-ci est réussi en tout cas. Et les patates qui ont bu la sauce vous remettent une couche de son bon goût de fumé, que le rougail tomate accompagne parfaitement.
Suivent des petits bouts de gâteau péi, dont un au songe, superbe, et une crème brûlée un peu froide mais correcte. Addition : 46 euros pour un cocktail, une bière, deux caris et deux desserts, soit 23 euros par tête de yab. Le rapport qualité-prix est bon.
« Je vous offre un autre cocktail, le lait de coco du premier est un peu caillé« … nous l’avions remarqué mais n’avons pas jugé utile de le relever. Ce genre d’attention est assez rare pour mériter d’être noté. Malgré l’affluence du jour des gourmets « toujours jeunes », qui sont censés savoir ce qu’est un bon cari, et qui, visiblement, appréciaient leur repas, le service est resté souriant et efficace. La cuisine aussi est efficace. Le sieur Jean-Marc Sornom, patron du Gasparin créole, n’est autre que celui qui tient le restaurant Chez Jean-Marc, au fond du Grand Marché, tout à côté. Les plats que nous avons dégustés aujourd’hui furent délicieux et fidèles à la tradition culinaire réunionnaise. Même le riz est choisi avec soin, avec des grains épais qui confèrent aux bouchées de belles sensations. Si le boucané vient de chez Minatchy Sainte-Marie, le canard est du sud, de chez Duchemann et Grondin. « Nous essayons de travailler avec de bons produits« , déclare la patronne. Cela se voit dans l’assiette en tout cas, avec le coup de main expert du chef. Ouvert officiellement depuis trois mois, le Gasparin créole doit encore sans doute parfaire sa déco, mettre en place des entrées (s’il le juge utile), compléter les desserts et garder cette attention spéciale portée aux clients. D’ores et déjà, ce que nous avons dégusté aujourd’hui mérite amplement une belle fourchette en argent avec recommandation.
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Pour résumer. Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : moyen
• Service : très bien • Qualité des plats : très bons
• Rapport qualité-prix : bon. Impression globale : très bonne table
Fourchette en argent avec recommandation