Cap Méchant, Basse-vallée. Ses falaises noires et déchiquetées. Les vagues qui s’y écrasent en explosion d’écume. Sa nature exubérante. Son aire de pique-nique bondé le dimanche. Ses trois restaurants «grande capacité» alignés face aux pimpins. Et, fidèle au poste, la mère Colette, dont l’esprit bat la campagne du Sud sauvage depuis on ne sait plus quand. Le Cap Méchant est unique.
Quelque part, on se demande si les énergies conjuguées des antiques laves et du puissant océan, comme suspendues dans le temps, aidées du grondement marin incessant, ne maintiennent pas la pauvre Elise dans une sorte de boucle temporelle qui la confine dans son délire paranoïaque. Il y a bien quelque chose, là… quelque chose de plus que les cuisines du Cap Méchant, de l’Etoile de mer et du Pimpin, pour attirer le monde, souvent venu de loin.
Au Cap Méchant, le restaurant, c’est jour de communion. C’est vous dire si le parking d’à côté, poussiéreux d’habitude, en boue quand il pleut, est plein à craquer. Comment diable (comme dirait Elise) ne s’est-il pas trouvé un maire, un propriétaire, un mécène, pour nous torcher un parking digne de ce nom, bitumé et propre, dans cet endroit, depuis le temps ? En revanche, le restaurant lui-même a bénéficié d’un lifting depuis notre passage en 2011. Il a eu le temps. Plus rien à voir avec l’improbable hangar miteux d’autrefois. C’est propre, sobre, et toujours immense. Et l’accueil est toujours souriant. Nous arrivons avant le tsunami des endimanchés, les femmes et les enfants d’abord, contents d’avoir reçu Dieu, et à présent affamés. Nous nous déposons dans un coin, après une vivifiante marche côtière, et une fort jolie personne nous amène la carte, qui consiste en une feuille A4 recto-verso plastifiée. Pas très raccord avec l’endroit, esthétiquement parlant.
Quatre entrées, dont l’incontournable salade de palmiste, quinze plats créole, douze plats apparentés «chinois» et sept desserts, garnissent le recto. Le verso étant la carte des vins et des apéritifs. Cela fait beaucoup. Un choix stratégique de ratisser large pour contenter tout le monde souvent préjudiciable à la qualité.
Notre choix à nous se porte sur le gratin de palmiste, suivi d’un civet de canard, d’un cari la patte-cochon et d’un cari de zourite. Les plats débarquent assez vite, malgré la marée grossissante des clients qui accapare les serveurs. On y va.
Le gratin est marron clair. Un assaisonnement puissant a enduit ce qu’est devenu le cœur de palmier : une matière hétéroclite, moelleuse, avec quelques morceaux survivants ici et là, qui envoie des rafales de poivre et de fromage soutenant un fumet aussi vaillant en bouche qu’au nez. Le palmiste quasi fondu dans les épices c’est un bonheur. Cru, s’il n’est consommé tout de suite après être coupé, il n’a aucun goût. Le gratin est exterminé.
Le civet de canard se défend, même s’il est un peu timide. Les amateurs de vin cuit relevé, de girofle autoritaire et de poivre puissant, en resteront pour leur frais. Ce civet-ci fait dans le conventionnel, le sage, et presque le passe-partout. Pour ne pas froisser les palais difficiles de gastronomes du dimanche sans doute. La viande est ultra cuite, trop ? Cela manque singulièrement de mordant. Pour ne pas froisser les dentiers difficiles des gastronomes du dimanche… sans rire.
Le cari la patte vaut le canard. A vrai dire, eu égard aux considérables caris « la patte » qui occupent notre mémoire, celui-ci est un tantinet palot. Nous sommes d’abord surpris par l’aspect visuel de la sauce, comme grumeleuse. Ce n’est pas engageant. Nous déplorons aussi la découpe, en morceaux moyens, là où nous attendions à ces bonnes tranches de patte-cochon recouvertes de peau épaisse et cuivrée, transpirant leur sauce, offrant leur gélatine aux gencives avides. La viande a peut-être trop nagé, quand elle aurait dû tâter du fond de marmite pour y produire ses sucs.
Après ces deux caris bons, mais un peu trop propres sur eux, le zourite rachète tout. Fondant au possible est le tentaculaire, et que le diable nous patafiole, avec ou sans Elise, si nous ne détectons pas là derrière comme un parfum de corail iodé, à moins que le cuistot ait eu la bonne idée d’aller tremper quelques heures le céphalopode dans l’océan, au bout d’une gaulette ! La sauce épaisse, imprégnant la viande, joue de l’acidulé-doux éclatant, tournant le charme musqué du zourite en une belle danse de saveur, appuyé d’un glissant appétissant.
Les grains en crème respirent un thym frais qui marie bien le riz et le porc. Et le zourite saute avec joie sous les piques d’un piment vert «crasé» que nous avons réclamé. Sévère, le piment, et odorant. Un machin comme ça dans la bouche d’un touriste l’envoie direct courir comme un damné, culotte dans la main, vers les précipices glacés de l’océan farouche. Nous, nous adorons !
Pas de dessert. Nous prenons le café, et tirons notre révérence après avoir réglé la somme de 68,50€, pour trois caris, une entrée, trois boissons et deux cafés. Soit un peu plus de 22 € par personne. Le rapport qualité prix est assez bon.
Le Cap Méchant à Basse Vallée, c’est la maison mère d’où est parti l’empire culinaire local bien connu. Dans le même esprit, ce restaurant, placé au cœur du Sud sauvage, dans un lieu idyllique, a choisi d’ouvrir ses portes aux grands groupes et aux événements, familiaux et autre, et dans ce cadre, de proposer une pléiade de plats pour satisfaire le plus grand nombre. C’est un choix. Il en faut sans doute. Même si nous aimerions qu’à côté, se monte une structure plus modeste qui revienne aux fondamentaux de notre culture culinaire, pour un nombre réduit de personne, ainsi que l’a si bien fait Ti Fred, notre fourchette d’or de l’année dernière, à la Petite Île. Nonobstant ce fait, cher lecteur, figurez-vous que tout de même le Cap Méchant est toujours dans les clous. Nos remarques n’empêchent pas que la cuisine y soit toujours bonne, et parfois éclatante. Elle l’est certainement davantage durant les week-ends plus tranquilles, hors période festive. À cela s’ajoutent un service souriant, très pro, et un cadre où l’on prend plaisir à manger. Il est donc normal de lui attribuer une fourchette en argent avec recommandation, ce qui correspond peu ou prou à la même note qu’en 2011, l’ancienne fourchette en argent ayant gagné deux étoiles dans l’intervalle.
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Pour résumer. Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : aucune
• Service : très bien • Qualité des plats : bons
• Rapport qualité-prix : assez bon. Impression globale : bonne table
Fourchette en argent avec recommandation