La Plaine des Grègues est connue, ici et aussi outre l’océan, comme la « capitale » du curcuma. Pour avoir emprunté la jolie route qui y mène, depuis Saint-Denis, nous vous le certifions : ce n’est pas aussi loin que ça, et il y a bien moins de tournants que pour monter dans les hauts de l’ouest, par exemple.
Le village, perché qu’à 600 mètres d’altitude, est pour ainsi dire lové dans une sorte de cirque miniature. Si le curcuma est connu et reconnu, c’est la faute de Mémé Rivière, que les visiteurs de salons, foires et autres réjouissances champêtres diverses connaissent bien maintenant. Vous retrouverez tout ces bons produits du terroir à la Maison du curcuma, la case à Mémé en quelque sorte. Achard, gingembre ou piments confits, bonbon la rouroute, et le produit phare : la poudre de curcuma « de luxe », fabriquée à partir du cœur du rhizome, là où la curcumine est la plus concentrée. Mais nous ne sommes pas venus dans ce joli coin de Saint-Jo pour la poudre orange, même si nous sommes repartis avec un bocal ! Notre intérêt se porte plutôt sur le restaurant le Tangor (en référence à ce délicieux agrume qui semble trouver ses aises alentours), naguère racheté par Mémé Rivière itou, après huit mois de fermeture. La cuisine à Mémé, si l’on peut dire.
Nous débarquons donc le nez en l’air, en ce week-end ensoleillé, au barreau sans pétrel de la jolie petite maison qui abrite l’établissement, nichée dans un non moins sympathique jardin. Le fond de l’air est frais, et l’appétit est là. Le chef, en revanche, n’est pas là, lui. L’homme est en vacances, et remplacé au pied levé par un ami. Tant pis, puisque nous y sommes, nous goûterons la cuisine de l’ami, en priant pour qu’il soit à la hauteur. Nous n’aimerions pas dégainer la fourchette en inox dans ces circonstances.

L’accueil est poli, souriant, mais un poil speed. Pourtant il n’y a encore aucun client. L’on nous installe à l’intérieur à notre préférence, ce qui nous permet d’apprécier la déco et la chaleur qui se dégage de cette salle confortable, aux tables bien mises. Au menu du jour : des créolités. « Nous avons momentanément réduit la carte, le temps que le chef revienne » nous apprend-on. Aucun souci, les plats disponibles conviennent très bien, dont certains peu courant, entre le steak de porc et le rougail saucisses : baba figue snoek, friture de guêpes (à 25 euros, ben oui madame) et boucané aux brèdes lastron. S’ils ont des brèdes au menu ici, c’est déjà un bon point. Avec un (petit, tout petit) punch parfumé au… curcuma, trop sucré, une mise en bouche : des beignets de carottes, qui, oh miracle, ont un goût de carotte et non de graillon.

Nous partons sur un cari de coq « fermier » et le baba. Nous commençons avec un gratin de chouchou où le légume a perdu toute existence gustative, assassiné par une béchamel liquide et un fromage tyrannique. Et quand, en plus, le légume a été débité en morceaux trop petits, rien d’étonnant.
Baba, le coq ne nous rendra pas. Fermier, il est pourtant. La chair est souple, fière, et donne une belle mâche. En revanche le cari manque de punch gustatif. Nous sommes les premiers à décrier les assaisonnements à la truelle, le sel à la louche et les épices surdosées (dont le curcuma d’ailleurs) pour masquer l’insignifiance et la décrépitude dans certaines cuisines, flinguées à la fourchette en plastique. Mais ici c’est l’inverse. C’est un cari de coq éteint, coincé du croupion. Les saveurs sont minimales. Ça manque de roussi. Et ce n’est pas gras du tout. Nos artères l’en remercient. Notre palais moins. Une lichette supplémentaire de sauce épaisse aurait été bienvenue. Et plus de sel aussi, pour une fois. Le cari se termine quand même sans difficulté.
Le « sounouk » en robe de baba figue n’a pas de mal à faire mieux. Le sel est maîtrisé, l’amplitude grasse du poiscaille, qui renifle ses émanations classiques de sous-vêtements après deux heures de jogging, trouve son maître dans la consistance fouettée et humide du baba figue, qui répond avec son amertume légère. C’est très bon. Ça manque de piment quand même. Heureusement que le piment vert écrasé, et confit, vient aider un peu, malgré un côté vinaigré qui ne passe pas trop avec ce plat-ci. Dommage de ne pas avoir au moins deux rougails plus originaux à cette table.
Le riz est correct. Les gros pois en crème, avec un joli roussi, eux aussi. La daube de citrouille qui accompagne les caris est bienvenue, d’autant qu’elle est réussie. Elle équilibre l’assiette. Du velours. Nous faisons l’impasse sur les desserts. Si les bonbons la rouroute proposés sont les mêmes que ceux vendus sous emballage à la Maison du curcuma, 2 euros pièce, pas très poudreux, ce n’est pas grave. Nous réglons une note de plus de cinquante euros pour une entrée, deux caris, les boissons et un café. Le rapport qualité prix est perfectible.
Le Tangor est une bonne adresse du Sud sauvage « des hauts », idéal pour les familles, avec un cadre intérieur cosy, plaisant à voir, et un jardin bucolique par beau temps. Étape incontournable après une balade dans les environs, avec ou sans provision de curcuma. L’ami remplaçant du chef ne s’en est tout de même pas trop mal tiré, malgré un cari de coq approximatif réalisé avec un volatile pourtant badass, et un gratin de béchamel au fromage ou inversement. Tout le reste fut bon. Y compris le service. Nous nous ferons une opinion sans doute plus précise lors d’un passage ultérieur si le chef officiel est de service. En attendant, nous avons tout de même le plaisir d’attribuer au Tangor une juste fourchette en argent.
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Pour résumer. Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : moyen
• Service : bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : perfectible . Impression globale : bonne table
Fourchette en argent
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