La marmite Péi

IMG_2974Aujourd’hui nous allons visiter La marmite Péi, un petit restaurant créole de Saint-Denis, installé rue Charles Gounod, à deux pas du carrefour avec la rue Pasteur. Tous les midis, des caris courants et moins courants sont alignés dans la vitrine.

Quelques tables vous permettent de déjeuner sur place, mais les barquettes ont du succès. Collés sur les murs en guise de papier peint, des pages du Jir, et quelques une du Quotidien. Les plus de cinquante ans ont connu ce genre de décoration, dans les case en bois sous tôle d’autrefois.

Aujourd’hui nous testons la morue margoze, le civet de pintade et le porc massalé pomme de terre. Nous laissons à regret le rougail boudin et le rougail chevaquines. La commande passée, on nous emmène nos assiettes, avec les accompagnements, et la dégustation peut commencer.

IMG_2972La morue sent un peu les dessous de bras par grosse chaleur. C’est de la vieille morue qui a roulé sa bosse avant d’être prise dans les filets et salée à fond de cale, sans doute. Presque de la morue comme avant. Mais ces effluves ne sont pas trop insistantes d’autant qu’en bouche la chauffée sait se tenir, toute emberlificotée de la saveur amère du margoze frais et croquant. La texture autorise une mâche généreuse, qui, avec l’aide du riz et du piment, fournit une bonne dose de contentement. Néanmoins, un émiettage soigné aurait rendu le plat plus présentable, tout en favorisant davantage le margoze. Le sel est également bavard, mais cela reste acceptable.

IMG_2971Le porc massalé est correct. Jolies sensations gustatives de la viande imprégnée de la poudre d’épices, qui a également contenté les patates, lesquelles ont l’urbanité de n’être point farineuses. Elles ont juste laissé une pellicule, qui, mélangée à la sauce épaisse, habille la viande et colore le riz, tout en nous retroussant les narines. Le massalé s’en sort bien, mais aurait pu être plus pêchu. Un cotomili haché par dessus aurait fait son affaire. 

Le civet de pintade, lui aussi, aurait pu se donner davantage en spectacle. Les saveurs sont présentes, mais un peu timides, même si le girofle donne de la voix. Le civet « Royal », du nom du vin qui a servi à le confectionner, comme la tradition le veut, est pourtant une robe idéale pour la pintade dont la préparation est délicate, si l’on n’y prend garde. En effet, et c’est présentement le cas, le volatile au goût un peu sauvage est doté d’une chair qui a tendance à sécher. Il n’y a que chez Ti Fred, notre fourchette d’or de Petite Ile, que nous avons pu apprécier une pintade combava qui avait eut la grâce d’afficher une viande cuite avec justesse.

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IMG_2967Les accompagnements sont bons. Riz très correct, même si les grains longs du riz jaune nous conviennent moyennement. Rougail mangue parfumé à l’acidité efficace pour exciter les glandes salivaires. Très bons gros pois en crème, veloutés, au fumet qui rappelle les ambiances feu de bois. Mention spéciale pour le sauté de brèdes croquant et savoureux, avec une douceur-amère délicate.

Addition : 39,50€ pour trois personnes, boissons comprises, sans dessert. Le rapport qualité-prix est correct.

La Marmite Péi est sur le bon chemin vers l’or. Il faut dire que les propriétaires ne sont pas des « bleus » de la cuisine réunionnaise. Vous y profitez d’un bon choix de caris, des classiques aux traditionnels moins courants, avec un service souriant, et efficace. Les plats sont corrects, et même un peu plus pour certains. Il ne manque pas grand chose pour que cela vous transporte vers nos campagnes, avec ce goût de cari lontan des fêtes de famille. C’est bien de penser aux brèdes. Un deuxième rougail serait bienvenu, ou simplement des piments confis ou du piment vert « crasé », car un seul rougail ne peut aller idéalement avec tout. La saison des piments bat son plein, autant en profiter. Comme quoi, il n’y a pas besoin d’avoir des tables chics dans une salle bourgeoise pour avoir dans son assiette des plats réunionnais de bonne facture, avec une facture bonne. La marmite Péi mérite amplement une fourchette en argent, en attendant encore mieux.

 

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Farg2
Pour résumer. 
Accueil : bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : aucune
• Service : très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : très bonImpression globale : bonne table

Fourchette en argent

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Michelin or not Michelin ?

IMG_1877Et c’est les yeux rivés dans les orbites du crâne symbolique de tous les chefs réunionnais passés, diplômés ou non, avec et sans toque, connus et anonymes, qui ont marqué de leur empreinte la gastronomie traditionnelle réunionnaise, comme des milliers de fourmis construisant leur nid, que je me demande si l’arrivée du guide Michelin chez nous serait une bonne chose ou non.

La gastronomie métropolitaine, classique ou originale, enrichie des produits locaux ou pas, y gagnerait certainement. Mais nos caris, rougails, achard, sautés, amuses-bouches, bouillons brèdes, desserts… ? Qu’auraient-il a y gagner ? Pas grand chose si les enquêteurs ne s’y intéressent pas. Et comment pourraient-ils s’y intéresser s’ils n’ont aucun élément de comparaison pour juger de la qualité d’un rougail saucisse ou d’un massalé cabri ? Encore faudrait-il qu’ils aient dégusté ces plats préparés dans le respect de la tradition avec de bons produits.

Je n’imagine en tout cas pas l’avenir de nos plats traditionnels dans ces restaurants un peu chics, vaguement bourgeois-vintage, qui avaient pignon sur rue jusque dans les années 80-90, avant l’arrivée de la mal-bouffe, et qui aujourd’hui transpirent la ringardise. Certains de ceux-là survivent encore. Sous des dehors qui se veulent classes, l’âme de la cuisine réunionnaise y a été prostituée, standardisée, mise au diapason des goûts communs formatés par l’industrie alimentaire.

Il faut chercher pour retrouver les caris vrais, et les vrais caris, aux épices roussies jusqu’à en être confites, aux effluves puissantes et délicates tout à la fois des massalés des familles, des caris qu’accompagnent des brèdes variées, et cuites comme il sied chacune à leur manière ; des rougails qui n’ont pas honte, ni peur, de leur piments imprégnés de saveur tout autant que de force ; et d’un riz dodu, bombé, qui offre une mâche enjouée de grains tout colorés qu’ils sont des fonds de sauce parfois si réduite qu’elle recouvre les morceaux de viande comme d’une seconde peau.

IMG_1875J’imagine l’avenir de notre si riche gastronomie traditionnelle d’abord transformée dans des dressages élaborés comme les assiettes des grands chefs étoilés. Je l’imagine ensuite transcendée par les apports nouveaux, mais subtils et cohérents, propres à faire évoluer doucement les recettes sans les dénaturer.

C’est une image qu’il me plaît d’utiliser : la cuisine réunionnaise est comme un arbre, grand et beau. Pour qu’il grandisse encore et devienne encore plus beau, il lui faut garder de belles et profondes racines en pleine santé. Car l’ouragan de la bouffe industrielle a fait déjà des dégâts. Il faut y résister, à tout prix. Pour que l’on puisse admirer un jour l’arbre de loin, même de très loin, il est indispensable de veiller sur ses racines, et veiller sur ses racines ne veut pas dire oublier de le faire pousser plus haut. Bien au contraire.

Un jour viendra, je le souhaite, où le Guide Michelin acclamera les chefs de cette nouvelle cuisine réunionnaise moderne, et qui ne renie pas ses racines, au lieu de faire la fine bouche et de calculer s’il serait financièrement intéressant de récompenser les tables de La Réunion.

 

 

L’Ambéric

IMG_2290Avril 2013. L’Ambéric, restaurant du Tampon, s’est vu décernée une fourchette en argent. Presque six ans plus tard, nous décidons d’y retourner pour une mise à jour.

IMG_2295Entre-temps, cet établissement lové dans un lotissement verdoyant du côté de Trois-Mares, a obtenu d’autres récompenses bien plus prestigieuses, y compris son inscription dans « La Liste » (« Issue de la compilation de centaines de guides et de millions d’avis en ligne, La Liste s’affirme comme la sélection gastronomique mondiale de référence pour les voyageurs internationaux », description en ligne sur laliste.com). 
En ce vendredi ensoleillé, le magnifique jardin semble encore plus luxuriant que dans nos souvenirs. Nous descendons les quelques marches vers l’entrée, bardées de titres et récompenses diverses, comme des médailles sur un ancien combattant, dont celle du tourisme et le certificat d’excellence de TripAdvisor.

La grande salle est vide. Pas un chat. Au fond, quelques bruits de casserole proviennent de la cuisine. Nous attendons cinq bonnes minutes comme des âmes en peine avant qu’un homme vienne nous voir. « Je ne vous ai pas vu arriver » se justifie-t-il en souriant. Drôle d’accueil. Mais c’est fin de semaine, le personnel est absent sans doute.

Nous prenons une table en terrasse. La nappe et les assiettes sont salies par des particules noires apportées par la brise. Manque de temps pour un dernier coup d’oeil avant l’arrivée de clients annoncés ?

La carte se compose d’une quinzaine de plats locaux, des plus classiques aux guêpes, en passant par un civet de queue de boeuf, cari la patte, et filet de légine remplacé aujourd’hui par un cari de bichiques. Plus trois entrées et cinq desserts. Nous sommes loin des cartes à rallonge de certains restaurants-usines à gros débit, mais c’est assez conséquent tout de même.

Un gratin de cambarre « rouge », son frère à la papaye verte, un cari de poulet, un rougail « zandouilles », un bavarois au fruit de saison (longanis) et un moelleux de patate douce sirop la cuite composeront notre repas.

IMG_2305Le service est rapide. Sus aux gratins.
 Ceux-ci arrivent chauds, et sont si semblables extérieurement que leur service est inversé. 
Le gratin de papaye verte dégage l’odeur beurrée et gourmande d’une tarte tatin. Le cambarre est présenté en une mousse légère. Les chapelures fines et un fromage discret laissent les produits s’exprimer, mais ces derniers n’ont pas grand chose à dire. Nous sommes dans le registre de la délicatesse et de la subtilité. Les deux ramequins sont vidés, mais laissent nos papilles un peu frustrées.

Les caris ne se font pas attendre. Accompagnés de deux rougails, un achard et des brèdes chouchous, plus les ambérics éponymes.

IMG_2315Le poulet est blême. Une anémie visiblement due à un manque d’attache en fond de marmite, laquelle est supposée avoir eu le cul collé au feu de bois comme il est précisé sur l’écriteau à l’entrée. La texture du volatile confirme un séjour au feu expéditif, qui n’a pas permis à la sauce de bien imprégner les chairs. Au nez, rien ne laisse présager la nature du combustible. Sans surprise, la saveur est en berne. Il y a un monde entre l’attaque massive d’un fumet qui transpire d’un poulet bien cuit au feu de bois, avec des bouts de peau en graton, que des épices confites par une cuisson lente subliment, et ce cari d’amateur, non abouti.

IMG_2309L’andouille est présentée en trois tranches épaisses, bien tenues dans leur peau. Nos craintes quant à leur possible excès de sel s’évaporent aussitôt que nous les goûtons. A vrai dire le problème est presque inverse. Nonobstant des reliques poivrées au milieu de morceaux de viande rouge et sèche, l’andouille semble adopter la même politique que le poulet : les errements dans une mollesse gustative qui tricote un ennui insondable. Vu le tarif de la cochonnaille, 26 euros, oui ma bonne dame, la véritable andouille est celle qui paie pour ce machin.

IMG_2307Les accompagnements tanguent entre le pathétique et la bonne volonté. Bonne volonté de proposer tous ces « à-côtés » qui composent le repas traditionnel réunionnais. Pathétiques la bouchée de brèdes chouchous archi-cuites, le misérable riz en grain qui joue au flipper dans la cavité buccale, le achard de chou fade, et le rougail de bringelle bouillie, qui ne dégage aucune odeur. Tout cela sans le moindre soupçon de piment. Dans un repas réunionnais qui se respecte, ça fait désordre. Les ambérics donnent un peu de leur saveur profonde et terreuse, mais elles nagent dans une sauce qui manque d’épaisseur.

IMG_2321Les desserts nous consolent un peu. Surtout le moelleux de patate douce, joliment dressé, onctueux et imbibé de sirop la cuite parfumé, et dont les bouchées en appellent d’autres.
Moins, le bavarois surmonté de bouts de longanis encore congelés, et dont la saveur unique met un peu de temps à s’émanciper, sauf à enfourner de grosses bouchées.

L’addition pour ce repas qui multiplie les à-peu-près : 91 euros pour deux personnes, boissons comprises. Soit plus de 45 euros par andouille. Si le rapport qualité-prix de l’établissement testé dimanche dernier était scandaleux, que dire de celui-ci…

L’Ambéric nous a proposé ce jour des plats que l’on ne peut pas en toute honnêteté qualifier de mauvais. Bien sûr. Mais quand l’on affiche ouvertement ses faits d’arme à son entrée et des tarifs plus élevés que la moyenne, l’on a la décence d’accueillir les clients dès qu’ils arrivent, et de leurs proposer des plats correctement cuits, conformes à la tradition culinaire locale, et pas ces minimums gustatifs pour chochottes délicates du palais, servis le plus souvent aux touristes ignorants des vraies saveurs que nos marmites (au feu de bois) peuvent créer. Ce que nous avons dégusté aujourd’hui, c’est de la cuisine réunionnaise cocufiée, où le cadre fait figure de promesse de campagne électorale. 
Voilà qui mérite bien une superbe fourchette… en inox, à encadrer à l’entrée.

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Finox

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Pour résumer. Accueil : moyen • Cadre : très bien • Présentation des plats : moyen
• Service : très bien • Qualité des plats : très moyen
• Rapport qualité-prix : très mauvais
Impression globale : décevant

Fourchette en inox