Avril 2013. L’Ambéric, restaurant du Tampon, s’est vu décernée une fourchette en argent. Presque six ans plus tard, nous décidons d’y retourner pour une mise à jour.
Entre-temps, cet établissement lové dans un lotissement verdoyant du côté de Trois-Mares, a obtenu d’autres récompenses bien plus prestigieuses, y compris son inscription dans « La Liste » (« Issue de la compilation de centaines de guides et de millions d’avis en ligne, La Liste s’affirme comme la sélection gastronomique mondiale de référence pour les voyageurs internationaux », description en ligne sur laliste.com).
En ce vendredi ensoleillé, le magnifique jardin semble encore plus luxuriant que dans nos souvenirs. Nous descendons les quelques marches vers l’entrée, bardées de titres et récompenses diverses, comme des médailles sur un ancien combattant, dont celle du tourisme et le certificat d’excellence de TripAdvisor.
La grande salle est vide. Pas un chat. Au fond, quelques bruits de casserole proviennent de la cuisine. Nous attendons cinq bonnes minutes comme des âmes en peine avant qu’un homme vienne nous voir. « Je ne vous ai pas vu arriver » se justifie-t-il en souriant. Drôle d’accueil. Mais c’est fin de semaine, le personnel est absent sans doute.
Nous prenons une table en terrasse. La nappe et les assiettes sont salies par des particules noires apportées par la brise. Manque de temps pour un dernier coup d’oeil avant l’arrivée de clients annoncés ?
La carte se compose d’une quinzaine de plats locaux, des plus classiques aux guêpes, en passant par un civet de queue de boeuf, cari la patte, et filet de légine remplacé aujourd’hui par un cari de bichiques. Plus trois entrées et cinq desserts. Nous sommes loin des cartes à rallonge de certains restaurants-usines à gros débit, mais c’est assez conséquent tout de même.
Un gratin de cambarre « rouge », son frère à la papaye verte, un cari de poulet, un rougail « zandouilles », un bavarois au fruit de saison (longanis) et un moelleux de patate douce sirop la cuite composeront notre repas.
Le service est rapide. Sus aux gratins.
Ceux-ci arrivent chauds, et sont si semblables extérieurement que leur service est inversé.
Le gratin de papaye verte dégage l’odeur beurrée et gourmande d’une tarte tatin. Le cambarre est présenté en une mousse légère. Les chapelures fines et un fromage discret laissent les produits s’exprimer, mais ces derniers n’ont pas grand chose à dire. Nous sommes dans le registre de la délicatesse et de la subtilité. Les deux ramequins sont vidés, mais laissent nos papilles un peu frustrées.
Les caris ne se font pas attendre. Accompagnés de deux rougails, un achard et des brèdes chouchous, plus les ambérics éponymes.
Le poulet est blême. Une anémie visiblement due à un manque d’attache en fond de marmite, laquelle est supposée avoir eu le cul collé au feu de bois comme il est précisé sur l’écriteau à l’entrée. La texture du volatile confirme un séjour au feu expéditif, qui n’a pas permis à la sauce de bien imprégner les chairs. Au nez, rien ne laisse présager la nature du combustible. Sans surprise, la saveur est en berne. Il y a un monde entre l’attaque massive d’un fumet qui transpire d’un poulet bien cuit au feu de bois, avec des bouts de peau en graton, que des épices confites par une cuisson lente subliment, et ce cari d’amateur, non abouti.
L’andouille est présentée en trois tranches épaisses, bien tenues dans leur peau. Nos craintes quant à leur possible excès de sel s’évaporent aussitôt que nous les goûtons. A vrai dire le problème est presque inverse. Nonobstant des reliques poivrées au milieu de morceaux de viande rouge et sèche, l’andouille semble adopter la même politique que le poulet : les errements dans une mollesse gustative qui tricote un ennui insondable. Vu le tarif de la cochonnaille, 26 euros, oui ma bonne dame, la véritable andouille est celle qui paie pour ce machin.
Les accompagnements tanguent entre le pathétique et la bonne volonté. Bonne volonté de proposer tous ces « à-côtés » qui composent le repas traditionnel réunionnais. Pathétiques la bouchée de brèdes chouchous archi-cuites, le misérable riz en grain qui joue au flipper dans la cavité buccale, le achard de chou fade, et le rougail de bringelle bouillie, qui ne dégage aucune odeur. Tout cela sans le moindre soupçon de piment. Dans un repas réunionnais qui se respecte, ça fait désordre. Les ambérics donnent un peu de leur saveur profonde et terreuse, mais elles nagent dans une sauce qui manque d’épaisseur.
Les desserts nous consolent un peu. Surtout le moelleux de patate douce, joliment dressé, onctueux et imbibé de sirop la cuite parfumé, et dont les bouchées en appellent d’autres.
Moins, le bavarois surmonté de bouts de longanis encore congelés, et dont la saveur unique met un peu de temps à s’émanciper, sauf à enfourner de grosses bouchées.
L’addition pour ce repas qui multiplie les à-peu-près : 91 euros pour deux personnes, boissons comprises. Soit plus de 45 euros par andouille. Si le rapport qualité-prix de l’établissement testé dimanche dernier était scandaleux, que dire de celui-ci…
L’Ambéric nous a proposé ce jour des plats que l’on ne peut pas en toute honnêteté qualifier de mauvais. Bien sûr. Mais quand l’on affiche ouvertement ses faits d’arme à son entrée et des tarifs plus élevés que la moyenne, l’on a la décence d’accueillir les clients dès qu’ils arrivent, et de leurs proposer des plats correctement cuits, conformes à la tradition culinaire locale, et pas ces minimums gustatifs pour chochottes délicates du palais, servis le plus souvent aux touristes ignorants des vraies saveurs que nos marmites (au feu de bois) peuvent créer. Ce que nous avons dégusté aujourd’hui, c’est de la cuisine réunionnaise cocufiée, où le cadre fait figure de promesse de campagne électorale. Voilà qui mérite bien une superbe fourchette… en inox, à encadrer à l’entrée.
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Pour résumer. Accueil : moyen • Cadre : très bien • Présentation des plats : moyen
• Service : très bien • Qualité des plats : très moyen
• Rapport qualité-prix : très mauvais. Impression globale : décevant