Aujourd’hui nous allons flâner aux portes de l’Est, et au bord de l’eau de l’étang du Bocage, à Sainte-Suzanne, avant d’aller goûter à la cuisine du restaurant du même nom, tout nouvellement ouvert. La structure en pierre de taille et bois, intégrée à l’environnement, prend place au même endroit que l’ancien restaurant chinois qui eut ses heures de gloire à la fin du siècle dernier.
La salle et la terrasse sont assez vastes pour accueillir plus de cent cinquante couverts. Les lieux affichent un côté moderne chic épuré agréable à l’œil. Nous som-mes accueillis avec le sourire et choisissons une table près de la baie vitrée. Au fond, la cuisine ouverte laisse voir la petite brigade en action. On nous dépose la carte des cocktails, très fournie, et le tableau du menu du jour. 5 entrées et 19 plats de résistance y sont alignés, des grands classiques rougails aux préparations « nobles » (langouste, légine) en passant par des mets plus originaux, comme le croustillant de pied de porc, le magret de canard sauce miel et gingembre-mangue, et les onéreuses mais recherchées guêpes frites. Nous nous contenterons d’un cari de coq et d’un rougail boudin (de chez Vee, dit le patron), qui suivront un gratin de citrouille et un foie gras mi-cuit au chutney d’ananas.
Le service est efficace et prévenant. On nous propose de l’eau, on nous débouche les bouteilles. C’est hélas assez rare pour mériter d’être souligné. Les entrées ne tardent pas. Le gratin est tout chaud, le foie gras à température presque ambiante. A l’assaut.
Le foie gras seul nous propose un arrière-goût suave et subtil qui rappelle des confits de fruits, comme s’il était mis en condition pour son mariage avec l’ananas. C’est l’effet de la vanille, et c’est efficace. Le chutney, préparé maison, prend volontiers le foie gras dans ses petits bras sucré-acides, pour lui coller deux ou trois éclats d’ananas croquant comme des bises vigoureuses. Quel-ques fraîches crudités accompagnent le couple.
Le gratin est moelleux, onctueux et glisse sous la langue en laissant la fragrance de son thym jusque dans les sinus, comme le Petit Poucet sème ses cailloux. La citrouille, choisie à bonne maturité, fait un peu sa doucette, mais sans exagération, ce qui laisse le fromage lui chanter sa ballade. La suite arrive vite. Et les tables sont peu à peu occupées.
Le cari de coq déborde de sa petite marmite, avec des couleurs marrons et orange foncé de roussi abouti, que confirme l’odeur caractéristique de la viande qui a tâté d’un feu vigoureux et prolongé. Sous la dent, le réveil matin estampillé poulet péi, (issu d’un élevage installé sur la commune), est sec comme les vieux d’avant à qui l’on demande la main de leurs filles. Heu-reusement que la sauce l’emballe comme il faut et que ses relents frits activent la salive, soutenus par les succulents morceaux de palmiste.
Le rougail boudin donne davantage dans le très tendre, vu sa nature. Quelques morceaux ont fondu dans la compotée de tomate, d’oignon et de thym, lui assagissant le caractère. Le boudin de chez Vee est en effet réputé pour sa touche de « sillon », petite malabarité appréciée des amateurs. On sent moins cette dernière, lissée dans le rougail. Un plat léché.
Les accompagnements sont mi-figue, mi raisin. Le riz, type basmati, de marque Forban (nous dit-on), n’est pas fort bon. Même s’il est correctement cuit, ce riz est fadasse et n’absorbe pas correctement les sauces comme il devrait. Les lentilles de leur côté pataugent dans la flotte comme « marmailles lécol » sous la pluie, avec un sel minimal. Heureusement les brèdes chou-de-Chine sont assez bonnes et apportent une verdure bienvenue au repas. L’aspect pimenté est assuré par un rougail tomate arbuste, aux reflets doux et acides d’un fruit presque croqué sur le pied et un rougail de courgette savoureusement frais.
Nous déclinons les desserts faits maison : crème brûlée, gâteau ti-son, mille-feuille vanille passion. Deux cafés suffiront. L’addition se monte à 85 euros pour les apéritifs, deux entrées, deux plats, deux verres de vin et deux desserts. Le rapport qualité-prix est acceptable.
Il a longtemps manqué à Sainte-Suzanne un établissement de ce niveau. Le Bocage commence en l’occurrence à chatouiller un peu la Cabane aux épices, à Saint-Benoît, et le Velli ou le Franciscea à Saint-André. Placé dans le parc éponyme, et dont les berges de l’étang souffrent encore des saletés jetées par des non civilisés je-m’en-foutistes, l’établissement peut se prévaloir d’une cuisine créole de qualité, classique, traditionnelle ou originale, propre à montrer dignement à nos touristes ses meilleures facettes. Ouvert seulement depuis un mois, quelques ajustements ou réglages sont sans doute encore nécessaires, notamment concernant le menu du jour (on lit « cari de coq » et « cari de coq palmiste », on nous annonce verbalement un cari de coq au palmiste et un cari de poulet fermier), le choix du riz (avis tout à fait subjectif bien sûr), ou la cuisson des lentilles, aujourd’hui. Rien de bien méchant. La prestation globale n’est pas très loin de mériter l’or, il nous serait donc difficile d’attribuer au restaurant le Bocage autre chose qu’une fourchette en argent avec recommandation.
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Pour résumer. Accueil : très bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : bien
• Service : très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : acceptable. Impression globale : très bonne table
Fourchette en argent avec recommandation
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