La visite d’aujourd’hui est la troisième depuis le début de la rubrique en 2011. La première date de septembre 2011, la deuxième de juin 2015. Ce restaurant d’une quarantaine d’années d’existence est devenu une institution à Saint-Denis, comme ce fut le cas de tant d’autres qui ont hélas disparus, on pense notamment au restaurant « Chez Georges », au « Ti couloir » ou « Chez Marcel ». Il ne faut pas croire que cette ancienneté atténue notre intransigeance. C’est conséquemment armés de nos quatre fourchettes et aussi déterminés qu’à l’accoutumée que nous débarquons au Reflet des Iles.
Le décor est aussi accueillant que dans nos souvenirs. La partie gauche de la salle a même été refaite à neuf. Les tables en bois au cannage apparent posent une ambiance classe avec une touche créole. La caisse n’a pas bougé, et derrière le comptoir, le patron est toujours en sentinelle, l’oeil vigilant.
Nous reconnaissons quelques anciens du personnel, qui font partie des meubles, et des têtes nouvelles. Celui qui s’occupe de nous est une armoire créole en tamarin, tout sourire, partant pour le bon mot. Il nous pose des cartes graphiquement jolies, en papier rigide, affichant la foultitude habituelle de plats divers et Dieu sait si nous sommes très méfiants au sujet de la qualité quand les cartes sont à rallonge. Rien que la page « spécialités créoles » propose 21 plats, sans parler des 16 autres des rubriques « rougail à la marmite », « civets » et « tradition lontan ». Parmis les plats les plus typiques on note le bouillon coquille la rivière, spécialité de l’Est, le rougail graton gros piment, la morue brèdes songe et des riz chauffés.
Nous entamons les hostilités avec des boulettes de morue, que suivront un rougail zandouille et un cari de poisson rouge, les anguilles étant aux abonnés absents. Le tarif est le même pour les deux : 30 €. Oui madame.
Les boulettes sont servies par quatre. Elle résistent à peine sous la lame du couteau, et en bouche, font montre d’une légèreté parfumée, trop légère peut-être. La morue joue la timidité là où nous l’attendions plus revendicative. Tout cela n’est pas gras du tout et convenablement salé. Et la sauce citron en accompagnement est succulente, un vrai festival de fragrance qui se déguste sans soucis toute seule avec du pain. La présentation pourrait être plus soignée. Quelques feuilles mal découpées posées anarchiquement au fond du plat, ça fait négligé. L’andouille et le poisson suivent sans attendre.
C’est une andouille composée davantage de viande que de tripes. Les tranches ont de la tenue. C’est dommage pour les amateurs de l’odeur et du goût musqué de chaussette de coureur du grand raid sous la pluie, mais la charcutaille se défend très bien tout de même. Un mordant souple diffuse des ondes fumées de saveur toute empreinte de poivre qui fouette les glandes salivaires. La sauce rouge et épaisse, au fond doux de tomates mûres, fait un lien parfait avec le riz. Au tour du poisson.
On ne mange pas un poisson rouge. On le déguste. Quand on déguste un poisson comme celui là, le temps s’arrête. Les effluves profondes de la sauce où la tomate a compoté à l’extrême, avec les oignons, l’ail le thym et le curcuma, se répandent en bouche en surfant sur le fond gélatineux qui porte en lui les réminiscences d’océan et de corail. La chair délicate se délite sous la langue, offerte comme une dulcinée à son promis et le rougail citron ne fait pas que tenir la chandelle dans ce rendez-vous galant qui en devient orgasmique quand on attaque le meilleur morceau, celui qui se déguste en silence : la tête ! Voilà ce que nous attendons de ce plat emblématique de la cuisine réunionnaise, et notre satisfaction pleine et entière s’est manifestée par le dressage des poils des bras tout au long du suçage méthodique de la tête du rouge.
Les accompagnements sont à la hauteur. Nous qui vitupérions tantôt contre la pauvreté des rougails dans les restaurants, sommes servis. Pas moins de quatre sont posés sur la table : tomates, «zoignon», «dakatine» et citron. Des tomates non écrasées, hélas. Le riz est très bon. Il absorbe les sauces convenablement malgré les grains longs. Les grains blancs sont veloutés. Les brèdes Chou-de-Chine sont fraîches et croquantes.
Une mousse au chocolat et un délicieux tiramisu, tout en crème et biscuit concassé, terminent le repas. L’addition se monte à 94 euros pour trois apéritifs, une entrée, deux plats, un verre de vin, deux desserts et un café. C’est cher, mais heureusement, c’est bon.
Le citoyen David Banon n’a plus rien à prouver à personne. Depuis les décennies qu’il tient son restaurant angle des rue Pasteur et rue de l’Est, il en a vu passer des têtes célèbres et anonymes, des locaux comme des touristes, qui ressortent le plus souvent le ventre bombé avec un sourire béat. Evidemment, tout n’est pas parfait. La perfection n’existe pas. Mais David Banon s’est toujours attaché à soigner ses clients et à promouvoir la culture culinaire de son île. Peu d’établissement peuvent revendiquer une telle longévité tout en maintenant une régularité dans la qualité des plats. Le projet d’ouverture d’un autre « Reflet des îles » serait enfin sur le point d’aboutir à l’entrée ouest de la ville. Une adresse plus en phase avec notre époque, dans un cadre qui, aménagé, tiendra la dragée haute aux plus belles tables de La Réunion et de Maurice.
En attendant, pour ce repas excellent et pour ses bons et loyaux services, nous décernons au Reflet de île une très belle fourchette en or.
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Pour résumer. Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : moyen
• Service : très bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix : perfectible. Impression globale : très bonne table
Fourchette en or
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