La Coulée 77

IMG_6920Piton Sainte-Rose a fait de la coulée de 1977 une attraction touristique, notamment avec l’histoire de son église préservée de la destruction. Nombre de restaurants se sont installés dans les parages. Le dernier en date a être testé fut le Corail, en 2014, qui hérita d’une fourchette en inox.

Aujourd’hui nous allons mettre les pieds sous la table du restaurant « La coulée 77 », installé à quelques dizaine de mètres de l’église, sur le trottoir d’en face. L’établissement est aussi un snack, un PMU et une boutique de souvenirs. L’accueil est poli. Nous nous installons dans la salle d’une trentaine de couverts, et plus si affinités. On nous propose une table de deux pour manger à trois. A notre départ, la plupart des tables étaient encore inoccupées. Nous n’avons pas bien compris la manoeuvre.

Au menu du jour : cari poulet péi, boucané aux brèdes lastron, cari bichique, civet zourite, sauté de poulet aux brèdes, massalé de poisson frais, et cari de camarons. Nous commandons le poulet, les bichiques et le camarons. Le zourite, notre premier choix, étant épuisé. Le service est aimable, efficace et prévenant. Les plats sont un peu plus longs à arriver que dans d’autres établissements, mais l’attente est raisonnable, surtout si les plats sont réalisés avec des produits frais et ne sortent pas du congélateur. Les assiettes dressées finissent par arriver. Nous notons l’effort d’une présentation très colorée. Espérons que le plaisir du palais suive celui des yeux.

IMG_6927Le poulet a effectivement tous les atours du gallinacé « péi ». La couleur tire vers le marron cuivré, l’aspect est ferme, la chair ne se disloque pas en filasses sèches. En bouche, c’est très correct. La mâche est souple, et livre une saveur convenable, quoiqu’un peu timide. Un petit goût de sel et d’épices supplémentaire n’aurait pas été de trop. 

IMG_6922Nos bichiques péi, très supérieurs en goût à leurs cousins importés congelés, sont devenus un produit de luxe.  Ceux que nous dégustons, venus de «déor», vu le prix affiché, envoient au nez une charge de gingembre conséquente. La dégustation confirme l’examen visuel : un aspect un peu « mouillé », ou le sel, cette fois, est bavard. La saveur des alevins est beaucoup trop confidentielle. En soi le plat n’est pas mauvais, mais il est assez éloigné du cari classique. Les bichiques, qu’ils soient locaux ou importés, sont en effet bien meilleurs préparés à la traditionnelle, c’est à dire cuits sans eau, avec suffisamment d’huile et le secouage de marmite recommandé pour ne pas les écraser. Pour les sublimer, l’option « saupoudrage au piment vert » pourrait être proposé aux clients. 

IMG_6925Les camarons sont dans la même veine. Nous avions l’espoir que leurs coques conservées auraient joué leur rôle habituel de concentrateur de goût. C’était sans compter le fait que, selon toute évidence, elles n’ont pas assez attaché au fond de marmite avant que les crustacés ne boivent la sauce. Oubli ou manque de temps ? Il en résulte un cari aux saveurs trop «lisses», sans cet éclat de roussi particulier qui d’ordinaire saute au nez, même si, par ailleurs, le goût des camarons est présent dans une chair qui a conservé une certaine élasticité. C’est très dommage. Pour le prix, 20€, un flambage au rhum, par exemple, aurait été salutaire.

Le riz et les grains sont assez bons. Nous demandons un piment la pâte pour changer un peu du sempiternel rougail citron-oignons. Le remplaçant joue parfaitement son rôle, avec tous les plats. Une petite salade de crudités apporte une belle fraîcheur à l’ensemble.

IMG_6930En dessert, nous choisissons un roulé au coco et une tarte chocolat-banane. Le roulé est délicieux, moelleux et pas trop sucré. La tarte chocolat banane aurait pu donner un peu plus d’importance au fruit. Le chocolat est tyrannique.

Addition : 70€ et des poussières pour trois caris, trois boissons, et deux desserts. Le rapport qualité-prix est perfectible.

20€, 18€, c’est en effet un peu cher payé pour des plats qui ne sont pas aboutis : des bichiques en jus et des camarons pâlichons. En dehors de ces remarques, le repas s’est bien passé. Nous avons vu largement pire ailleurs. Ajoutez à cela un service impeccable, et nous avons toutes les raisons de repartir peut-être légèrement frustrés, mais dans l’ensemble satisfaits. Assez en tout cas pour octroyer à la coulée 77 une fourchette en argent… ric-rac.

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Farg2
Pour résumer. 
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
• Service : très bien • Qualité des plats : acceptable • Rapport qualité-prix : mauvaisImpression globale : bonne table

Fourchette en argent

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Chez Doudou

IMG_6720Aujourd’hui, nous voilà chez Doudou, route du Maïdo, adresse que nous avons visitée en 2012. Une mise à jour de fourchette s’impose.

Si l’extérieur est resté à peu près identique, la salle est beaucoup mieux aménagée et décorée que dans nos souvenirs. L’ambiance chalet est propice à la détente et quelques produits artisanaux proposés à la vente raviront les touristes.

IMG_6722La maison a choisi le buffet à volonté comme mode de fonctionnement, avec boissons, amuses bouches et dessert compris pour 23 euros. Dans les bacs : un cari de poulet, un civet de canard, un rougail saucisses-andouillettes-boucané, un cari de poisson, des grains, une daube de chouchou. Présentés à part, et assez joliment, quatre rougails : concombre, baba-figue, chouchou et bringelles. L’accueil est poli. Nous sommes placés, et l’on vient prendre la commande des boissons. Un jus de goyavier et un punch maison bien frais mettent nos papilles au garde-à-vous.

IMG_6725L’assiette d’amuses-bouche ne tarde pas. Quelques beignets de bringelles et de songe et des bouchons frits côtoient des chips de patate douce, accompagnée d’une succulente sauce épaisse, douce-acide et pimentée. Cette entrée en matière étant engageante, nous fonçons vers les caris avec confiance.

Le cari de poulet est assez standard. Un peu blême aussi. Les morceaux de viande ont tout de même de la tenue, et ne sont pas secs. La sauce imbibe l’affaire correctement et le mélange avec le riz, quoiqu’un peu huileux, produit les effets escomptés. Le goût est au rendez-vous.

Les charcutailles en rougail font mieux. Les morceaux de boucané coupés assez gros procurent une mâche gourmande, où le sel est un peu prétentieux, sans être vraiment dérangeant. A vrai dire il relève bien l’ensemble. Les saucisses sont moulues finement, elles dégagent un beau fumet quand la peau frite craque sous la dent. La sauce bien rouge est goûteuse colore le riz, et incite à se relever pour aller chercher des tranches de saucisse supplémentaires.

IMG_6727Le civet de canard est trop timide. Il frise même le black-out gustatif. La couleur est d’ailleurs assez pâle, pour un civet. Pénurie de gros rouge ? Girofle éventé ? Poivre confidentiel ? Pas assez roussi ? Un peu de tout cela peut-être. Un civet qui ne casse pas trois pattes à un canard. 

Le poisson est pire. Les filets, du congelé sans aucun doute, durs sous la dent, baignent dans une sauce tomate trop salée, dont le persil pourtant joyeux peine à masquer la médiocrité. Le poisson lui-même est fadasse. Autant jeter des bouts de carton dans de la sauce tomate en boite avec du sel, on ne verrait même pas la différence. Si c’est là l’unique plat pour les clients qui ne mangent pas de viande, la déception est au rendez-vous.

Les (vieux) chouchous sont passables, si l’on fait abstraction du bombardement au poivre. Le riz fait son travail, les grains affichent un petit fumet plaisant. Mention spéciale pour les rougails : ils sont tous très bons, avec la dose de piment programmée pour les palais délicats. Le baba-figue délivre une petite amertume contenue, très agréable. Le rougail chouchou, finement râpé, est légèrement croquant, et très frais. Le rougail bringelle, dans le même esprit, aligne son onctuosité parfumée.

IMG_6733Au dessert : crème brûlée au géranium et tarte aux goyaviers meringuée. La crème est tout à fait délicieuse, et son humeur de géranium est pour le palais un baume de plaisir. La tarte est assez bonne, sucrée, mais la meringue est molle. Un succulent petit rhum arrangé au café met un point final au repas.

Addition : 46 euros pour deux personnes. Le rapport qualité prix est globalement assez bon.

Elle est loin, l’improbable tambouille à laquelle nous avons eu droit en 2012 chez Doudou. Les choses ont évolué, mais des progrès sont encore à faire. Nous avons apprécié l’offre des rougails, les amuses-bouches et deux caris. Deux autres étaient pitoyables. Quand on se retrouve en tête des adresses culinaires du patelin, avec des touristes qui débarquent, on fait tout pour que la totalité des caris soient bons. Pas besoin de faire du poisson, si c’est pour proposer ces filets congelés, à l’instar des infâmes pangasius, leurs frères ou leurs cousins, dans une sauce tomate salée. Céder aux sirènes du profit au détriment de la recherche de la qualité n’est pas rendre service à notre tradition, et c’est aussi mépriser nos touristes. Surtout quand on revendique cette tradition lontan sur un panneau du parking !

Deux couacs qui ternissent quelque peu l’ensemble de la prestation, mais ne nous empêchent pas de constater une nette amélioration globale par rapport à notre précédente visite.

La fourchette en inox est évitée de très peu. 

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Farg2
Pour résumer. 
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : buffet
• Service : très bien • Qualité des plats : acceptable • Rapport qualité-prix : bienImpression globale : bonne table

Fourchette en argent

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Chez Moustache

IMG_4318Saint-Philippe. La pluie joue au chat et à la souris en ce samedi de juillet, et sur la route du côté de Sainte-Rose, certains pilotes de rallye ont l’air de s’estimer dispensés de prendre garde à la vie des autres usagers de la route, en doublant dans les virages. Cela nous frise les moustaches. Elles le sont encore, frisées, quand nous arrivons chez Moustache, le restaurant, à quelques encablures de la Case Volcan, fourchette en argent.

La jolie petite case créole traditionnelle, avec portes sur la route, accueille le client dans sa salle de bois et plafond de paille de décoration, avec une terrasse à l’arrière. Juste à côté, un feu de bois chauffe karays et marmites.

IMG_4331Une jolie collection de rhums arrangés variés ornent deux coins de mur près de la caisse. Dans un bocal, une couleuvre, un margouillat et une « babouk » macèrent depuis on ne sait combien de temps dans une étreinte éthylique. Et le bocal est à moitié vide. La décoration générale est très « touristique », avec une guirlande de cartes postale et une carte de France géante. Voilà pour l’ambiance.

L’accueil est souriant et détendu. Nous nous installons juste sous la liste du menu du jour: salade de palmiste, cuisse poulet vanille, rougail saucisse, cari camarons, cari filet de perroquet, cari bichiques, cari poulet quatre épices et « Medley »… Renseignement pris, le «Medley» est simplement un rougail saucisses, boucané et zandouille mélangés. Va donc pour le «Medley», avec un cari poulet et une salade de palmistes.

IMG_4332La salade se pointe assez vite après les apéritifs. A 10 euros, une pour deux suffit amplement, d’autant qu’elle est assez bien servie. La découpe trahit le geste de connaisseurs. Pas en grandes filasses, comme certains restaurants s’échinent encore à présenter le palmiste, sous prétexte que ça fait joli. Ici, les morceaux assez épais donnent une belle mâche qui aide à percevoir la saveur délicate du produit, sous les assauts citronnés et poivrés de l’assaisonnement. Le pain aux céréales fourni accompagne parfaitement cette entrée. On irait même jusqu’à penser qu’il serait intéressant de déguster le palmiste en compagnie de sésame, de cacahuètes ou de noix de cajou non salées.

Le poulet et le « Medley » sont un peu plus longs à venir. Plus longs par rapport au temps auquel d’autres établissements nous ont habitués, bien sûr. Tout est relatif, comme disait un autre moustachu. Mais tout vient à point à qui sait attendre. En fait, la patronne vient nous chercher. Ici, il faut lever sa majesté pour aller se servir soi-même !

IMG_4333Le Medley de cochonnailles remugle un parfum fort qui tire presque sur le gibier, et écarte les narines. La couleur foncée, luisante, est appétissante. En bouche les morceaux donnent un vrai festival de saveurs. Les épices et les tomates fondues, douces au palais et acidulées sur l’arrière langue, les viandes à la friture poussée qui laisse des bords croustillants, et les belles odeurs de dessous de bras pas rasés de l’andouille portent ce «Medley» au hit-parade du cochon. 

Nous croyons même un instant que ce qui nous colle les molaires n’est autre que du bon graton. Pas du tout. Il s’agit bel et bien de morceaux de peau, comme du porc-pété, frit jusqu’à presque fondre, qui composent l’andouille. Ces charcuteries viendraient de la maison Selly. Quelques morceaux de bringelles ajoutent leur fondant à la texture générale.  

IMG_4334Le cari poulet, emballé dans le parfum éclatant du quatre-épices, est le digne représentant de sa race, avec et sans tomate, depuis que les arriè-res grand-mères de nos grand-mères font tâter aux volailles du fond de leur marmite propre dedans, noire dehors, dans les cuisines en bois sous tôle fumantes des campagnes, les dimanches où i reçoit d’moune. La chair présente bien, dans sa robe orange curcuma, en restant souple sous la dent, imbibée de sauce délicieuse, et distribue sans avarice ses charmes gustatifs de poulet péi. Le goût, le vrai, oté, et pas ôté.

Les accompagnements sont dans la même veine. Riz presque collant, et « presque » c’est important, aux grains fermes qui boivent la sauce pour de belles bouchées enjouées. Lentilles au savant goût fumé de caloupilé, veloutées, avec un sel qui les chatouille juste assez pour les réveiller. Rougail d’avocat crémeux, apportant fraîcheur et gourmandise sur une allégorie pimentée subtile, adaptée aux palais rétifs à la capsaïcine. Ces réjouissances terminées, nous goûtons au gâteau coco-chocolat, bon, mais quelconque par manque de chocolat. Il manque clairement deux desserts plus élaborés pour finir en beauté un tel repas. Mais il faut pour cela du temps, et des compétences. Pourquoi ne pas sous-traiter ?

La note se chiffre à 44,50 euros pour une entrée, deux plats, deux boissons, un dessert et deux cafés. Le rapport qualité-prix est excellent.

Pour la petite histoire, une critique de Chez Moustache a été faite en 2011, au tout début de la rubrique. Critique non parue pour des raisons techniques, mais que vous pouvez retrouver ici. Notre déception de l’époque laisse place aujourd’hui au contentement pâteux du Réunionnais repu, paupières lourdes et sourire idiot plaqué en travers de la cafetière, qui n’attend plus que son rhum arrangé pour aller digérer tranquillement. Voilà de la belle cuisine réunionnaise authentique et familiale, réalisée ce jour par Sydney, 27 ans au compteur, jeune papa, et « bon mangeur » comme il se qualifie lui-même, bien que n’affichant point les entournures ventrues de nombre d’entre ceux qui revendiquent ce titre, dont nous sommes.

Les bacchantes tout à fait défrisées, et pour un bout de temps, nous repartons en catapultant sur le restaurant « Chez Moustache » une jolie fourchette en or. 

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Pour résumer. 
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : sans objet
 Service : bien • Qualité des plats : très bons • Rapport qualité-prix : très bon. Impression globale : très bonne table

Fourchette en or

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