Le port de Sainte-Marie est en travaux jusqu’à Dieu seul sait quand. Tous les restaurants ont été rapatriés dans des locaux provisoires tout contre le jardin gardé par la statue du Mahatma Gandhi, sous les arbres. Enfin, « jardin » est un bien grand mot. Disons plutôt « parking la poussière » pour le moment.
Aujourd’hui nous allons tester l’Alambik, petit restaurant de cuisine locale tenu par un « marmaille la kour » de La Mare. Il a bien arrangé
son affaire, l’endroit est sympathique et accueillant. Quelques jours auparavant, nous avons joué les éclaireurs en dégustant une barquette de rougail saucisses-boucané, avec assez peu de boucané, mais avec assez de goût pour nous donner l’envie d’y retourner.
Deux jeunes gens nous accueillent avec sourire et prévenance. L’un d’eux, le gérant semble-t-il, nous installe la table à l’ombre et prend notre commande, sous un air de « Naéssayé ». Le temps d’écluser une blonde, et voici les assiettes servies, ou plutôt les vannes. Ici pas de chichi ou de carte à rallonge. C’est à la bonne franquette : trois ou quatre caris, pas plus. Les Caris bichiques et poulet massalé pomme de terre du jour feront notre affaire. Nous laissons le gigot d’agneau. Vous pouvez trouver les menus sur leur page Facebook.
Si vous avez lu notre pénultième critique, sur un restaurant de Sainte-Rose, vous vous rappelez que nous y avions dégusté un cari bichiques un peu mouillé. Celui qui se trouve dans notre assiette aujourd’hui est aux antipodes de cet « à peu près » plat. En effet notre cari bichiques (d’importation, toujours) est sec comme un coup de trique. Epicé comme il faut, avec de belles remontées de gingembre et de thym, des tomates à petite dose et cette odeur sympathique qui fait reconnaître ce cari à cent mètres. En bouche, c’est très bon. Le sel joue au garde du corps, sage et vigilant, et on regrette peut-être un manque d’onctuosité qu’une cuillère ou deux d’huile supplémentaire auraient pu apporter. Dommage également de trouver des morceaux de bois de thym coupés aux ciseaux, nos gencives n’aiment pas.
Entre-temps, l’un des deux compères nous ramène un peu de confit de citron massalé, arrangé par un gramoune aux fières bacchantes, qu’on retrouve au marché forain de Sainte-Marie le samedi. Une bombe gustative qui vous fait oublier que votre estomac a des limites. A tester d’urgence.
Le poulet n’est pas vieux. Il n’a pas beaucoup vu le soleil, pas plus que mangé cinq fruits et légumes par jour. Bref, ce n’est pas de la volaille de compétition, en témoigne une chair blanche et un peu sèche. Pour autant, c’est un cari « qui déchire ». Un assaisonnement impeccable, dosé au gramme près, qui laisse causer un massalé vivifiant, tonique, mais tout en nuances et non agressif. Quelques feuilles de caloupilé amènent leur fumet profond, qui habille bien la volaille. Ce n’est pas pour rien que les «cousins» les appellent « le caripoulet ». Les patates, succulentes, pas farineuses, offrent un mordant assez ferme. Elles embaument de la sauce curcumatée, à vous retourner les narines de plaisir.
Le riz grains longs, et détachés, n’offre pas de bouchées aussi gourmandes qu’avec des grains épais, mais il se défend quand même. Les haricots blancs suivent le mouvement. Le rougail « zognon » est « dangereux ». Tout au long de l’année, nous nous plaignons régulièrement de retrouver trop souvent ce rougail à notre table, comme une rengaine interminable. Aujourd’hui, c’est différent : c’est l’un des meilleurs rougails « zognon » que nous ayons jamais dégusté. Une fragrance citronnée qui fait merveille, avec un piment juste à la limite de la claque, histoire de faire transpirer le touriste à retardement. C’est frais, c’est enjoué, et donne vie à la fourchette, comme si elle ramenait les aliments à la bouche toute seule.
Pas de dessert pour terminer ce repas, c’est bien dommage. Deux cafés nous consoleront.
Nous repartons après règlement d’une note de 37,60 euros pour deux boissons, deux repas et deux cafés, soit un peu plus de 18 euros par personne. Le rapport qualité-prix est acceptable.
C’est un restaurateur (bien noté) qui a involontairement attiré notre attention sur l’Alambik dont nous ignorions jusqu’ici l’existence. Voilà une découverte des plus intéressantes. En effet, le chef nous a fait une démonstration magistrale de son savoir-faire, en accommodant des produits de base, pas chers, pour en faire des caris tout à fait civilisés, comme le professeur Higgins qui transforme une marchande de fleurs vulgaire en femme du monde dans « My Fair Lady »! Et ainsi faire en sorte que le client en ait pour son argent.
Que manque-t-il à l’Alambik ? Un cari supplémentaire peut-être. Une entrée. Des desserts réguliers. Proposer une carafe d’eau. Mais certainement pas la bonne humeur, l’hospitalité et la gentillesse dont ses deux hôtes débordent généreusement. Certains devraient en prendre de la graine. Avec quelques ajustements, sans trahir l’esprit convivial et authentique, l’excellence ne serait pas loin.
Autant d’arguments qui justifient largement l’attribution d’une belle fourchette en argent à ce petit restaurant de Sainte-Marie.
____________________
Pour résumer. Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
• Service : très bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : bons. Impression globale : bonne table
Fourchette en argent
____________________