Le Ben Ile : qualité et simplicité

Si vous voulez manger au restaurant à Dos d’âne, il n’existe pour l’heure qu’une seule adresse possible : le Ben Ile, noté d’une fourchette en argent en 2017. Qu’en est-il aujourd’hui ?

D’abord la terrasse a été couverte, pour plus de confort pour celles et ceux qui préfèrent manger dehors. Quelques tables supplémentaires ont fait leur apparition. Les patrons sont toujours aussi accueillants et souriants. Au menu du jour, poulet rôti, rougail saucisses fumées, cari crevette, porc massalé, plus une tarte aux pommes en dessert.
Nous nous installons. La patronne prend la commande. Nous demandons un ti-punch pour nous claquer les papilles. Il sera efficace. Le mélange de rhum et de citrons pressés, vert et jaune, nous ouvre les sinus jusqu’aux oreilles. Cette chose toute en fraîcheur est une petite pépite de cocktail, et Dieu sait si nous en avons éclusé, de ti-punch, en 9 ans de visites ! Nous voici donc bien disposés pour la suite. Et celle-ci ne tarde pas.

IMG_1679IMG_1687Le cari crevettes est odorant. Présentées dans leurs coques, pour plus de saveurs, elles baignent dans une épaisse sauce tomatée, qui envoie par vagues des effluves acidulées teintées des humeurs roussies réglementaires. En bouche, elles deviennent divines. Chair souple et cuite avec précision, fumet délicat qui respire encore le corail et l’iode, sel dosé au microgramme qui joue parfaitement son rôle d’exhausteur, ces crevettes aux couleurs chaudes et prononcées se dégustent en inspirant à fond par le nez. Il ne leur manque que des petits piments verts « zoizo » écrasés pour atteindre la perfection.

IMG_1693Le rougail saucisse est tout aussi savoureux. Ce plat emblématique de notre culture culinaire, sujet de polémiques et d’interprétations hasardeuses parfois, et de guerre de chapelles, n’a pas souvent atteint des sommets gustatifs lors de nos visites. Pour cela, il faudrait d’abord que les restaurateurs disposent de bonnes saucisses. Et « bonnes saucisses », ne veut pas obligatoirement dire « saucisses chères ». Aujourd’hui le Ben Ile nous propose de la saucisse fumée, celle dont la peau croque un peu sous la dent avant de libérer la chair. Une chair toute en éclat de poivre et de thym avec une viande au sel et au gras juste qui lance des attaques jouissives rappelant les charmes du feu de bois.
La sauce, là encore, est magnifique. Epaisse, gourmande, toute joyeuse d’une acidité tonique et d’une douceur de tomate mûre sur la longueur.
La tomate, parlons-en. Les gérants du Ben Ile s’approvisionnent chez « Chouchous et compagnie », en ville, rue Salvador Allende. Des petites tomates des champs qui ont du goût. Le rougail tomate est d’ailleurs le premier que nous trouvons, depuis on ne sait plus quand, qui a un goût de… tomates, Incroyable ! Le riz est parfait. Ni trop sec, ni trop cuit, s’imprégnant des sauces comme il faut. Les grains sont veloutés et parfumés à souhait.

IMG_1702Un gâteau de patate douce fera notre dessert. Léger, savoureux, accompagné d’une boule de glace, il vient clore un repas excellent qui nous a coûté 43 euros et des poussières pour deux repas, deux boissons, un dessert et un café. Le rapport qualité-prix est très bon.

Ted et Eve officient au Ben Ile depuis 2014, petit restaurant d’une cinquantaine de couverts. Le chef change son menu tous les jours de la semaine, sauf le mardi jour de repos, et ne travaille que des produits frais. C’est un expert de la sauce, qui maîtrise parfaitement le roussi d’épices et la compotée de tomates, la base pour offrir aux clients une cuisine réunionnaise tout à fait aboutie, bien davantage que chez certains « bons » Réunionnais de souche, qui prétendent proposer de la cuisine locale, en servant des poulets « de lo » sans saveur et des gros pois entiers qui baignent dans la flotte. Voilà une belle leçon de cuisine, qui, si les fourchettes étaient encore de mise, vaudrait de l’or.
Le Ben Ile est pour le moment le seul restaurant de Dos d’âne, c’est donc mathématiquement le meilleur, mais il est aussi l’un des meilleurs de la région Ouest, incontestablement. Il est donc sélectionné pour la remise des nouvelles fourchettes de fin d’année.

Le Ben Ile
Chemin du Cap Noir, Dos-d’Âne
0262 32 01 39
Facebook : LE BEN ILE

Le P’tit Bambou, incontournable à Salazie

IMG_1278Aujourd’hui nous revoilà à Salazie, patrie des cascades, du chouchou, du cresson, et aussi, mine de rien, de la bonne charcuterie, le cirque comptant pas moins de trois charcutiers qui savent travailler.

Nous mettons les pieds sous la table du Petit Bambou, moult fois visité, sans jamais nous décevoir. Qu’en sera-t-il aujourd’hui ? La carte est toujours la même, avec ses variations de sautés chinois. Le menu du jour est alléchant : morue aux brèdes songes, cari crevettes, rougail saucisses, avec salade de palmiste, gratin de citrouille et boudin en entrées. Le fameux gratin de chouchou est toujours à la carte. Le service est souriant, et efficace. Nous n’attendons pas longtemps après la prise de commande. Le temps de nous rafraîchir de quelques boissons soft, les entrées sont servies.

Le boudin affiche un piment claquant sur une texture dense, mais qui reste moelleuse. Le fond de sang cuit se surprend pas. La saveur reste classique, et satisfaisante. Difficile de trouver dans les restaurants (et aussi dans les charcuteries) ce bon boudin réunionnais des familles, à la structure légère et chaude, où les fines herbes croustillent encore.

La salade de palmiste est conforme à nos attentes. La découpe en tranches fines qui donne à la vue une impression de joyeux désordre pas très esthétique permet en revanche une mâche ample et généreuse, où les dents se font plaisir. Il en résulte une captation plus importante de la saveur lactée subtile du palmiste, d’autant que la vinaigrette est très discrète. La salade est exterminée.

IMG_1255La morue aux brèdes songe joue dans la catégorie « expert ». L’aspect peut surprendre, quand on y plonge la cuillère. C’est très pâteux. De nombreux petits morceaux de morue, dorés, semblent figés dans cette gangue vert kaki que les militaires pourraient se coller sur la figure en guise de camouflage et de protection contre les moustiques. Rassurez-vous, cette texture est la bonne. Elle renifle d’ailleurs d’un fumet qui activent les grandes salivaires.  En bouche, c’est un bonheur. L’on peut difficilement dire des brèdes d’une manière générale qu’elles sont moelleuses. Faites cuire des brèdes chouchous plus que de mesure (oh sacrilège!) et elles fondent et se décharnent. Les brèdes à bouillon, payatères, morel, mafane, vont finir par se boire car tel est leur destin ; les brèdes manioc laissent toujours une impression un peu dure sous la dent. Seules les songes savent vous procurer cette onctuosité gourmande, sublimée par une morue au sel domestiqué, qui partage son goût musqué. Mettez là-dessus un gros piment frais et croquant et vous approchez la perfection.

IMG_1256Autant la morue brèdes songe évoque les ruisseaux et bassins au creux des remparts, autant les crevettes nous ramènent au soleil et à la mer. Présentées avec leur coque, elle s’offrent sans retenue à la vue comme au palais, avec un mordant souple et délicieux. Mais ce n’est rien comparé à la sauce, où nous observons, le sourcil circonspect, quelques formes vertes et effilées y baigner joyeusement. Des piments verts. En quantité honnête pour les réunionnais formatés à la capsaïcine, non recommandée pour les autres. Nous avons demandé le cari avec l’option piment, nous sommes servis. La sauce épaisse, toute imprégnée de curcuma et de tomate fondue, où le gingembre donne le « la », nous fouette conséquemment les papilles comme chabouk su d’boeuf quand lo charrette i avance pu. On en redemande.

IMG_1264Les assiettes proprement nettoyées sont vite remplacées par les desserts, assez classiques, sauf pour le gâteau ti-son. D’ordinaire étouffe chrétien, toutes chapelles confondues, ce ti-son ci fait plutôt dans l’imbibé. Avec sa petite chantilly, il se gobe purement et simplement, en laissant sur la longueur un sucré crémeux.

L’addition grimpe à 78 euros pour trois repas complets, boissons comprises, soit 26 euros par personne. Le rapport qualité prix est acceptable.

IMG_1269« J’ai ouvert en 1994, raconte Dominique Grondin, le chef du Ti Bambou, je fais de la cuisine depuis 1982. J’ai tout appris en famille, sur le tas. Ici nous privilégions des plats sautés à la carte, légers, que les clients apprécient ». Mais les plats réunionnais traditionnels ne sont pas oubliés, particulièrement le week-end. La clientèle touristique est de plus en plus nombreuse. Notamment des chinois, «ils apprécient particulièrement les plats aux brèdes et le poisson ananas » indique Nadine Grondin, qui supervise la salle. Le cari poulet pomme de terre a également les faveurs des visiteurs, toute nationalité confondue, mais aussi le feuilleté de brèdes chouchous, de de ses créations.
Pour sa cuisine, Dominique privilégie les produits frais, et du cirque, bien entendu, quand ils sont disponibles, ce qui n’est pas toujours le cas, en ce qui concerne le boudin par exemple.

L’expertise du chef est en tout cas bien visible dans l’assiette. Une bonne cuisine réunionnaise, traditionnelle ou à connotation asiatique, qui fait que le restaurant trace sa route depuis plus de 25 ans, en traversant du mieux possible les événements qui, parfois, tarissent la source touristique.

Une qualité globale suffisante pour que le Ti Bambou soit nominé à la distribution de fourchette de fin d’année.

A «La roz i dor», le goût d’abord

«Le vrai bonheur, le seul digne de l’homme, est de toucher un cœur» disait Voltaire. Avoir dans son assiette bonne et belle pitance est en effet l’un de ces bonheurs qui vous touche au coeur, avant l’estomac. Bonheur qu’il est encore possiblede s’offrir à moindre frais chez une Voltaire, justement.

IMG_1181Quelques tables sous la terrasse, d’autres à l’intérieur, et deux tables de pique nique en bois sous un vénérable Araucaria où pendent encore des décorations de Noël, et sous les branches duquel la température ressentie baisse d’un ou deux degrés. Ici, point de carte à rallonge. Deux ou trois caris au choix, persé met’ sec. Aujourd’hui sont proposés cari la patte cochon et rougail morue. Nous goûtons les deux, bien sûr.
Service à l’assiette, sauf pour les grains et les rougails. La quantité de riz est généreuse. Nous attaquons.

IMG_1193La morue, d’une belle couleur orangée, est émiettée finement façon rillettes. En bouche, elle transpire juste ce qu’il faut pour donner du liant sans la sensation de sauce surnuméraire, pour un assez bon équilibre qui satisfera les tenants du rougail plus sec. La mâche libère les belles saveurs de la salaison. Cette dernière laisse au nez les éclats vifs mais néanmoins sages de son fumet caractéristique qui fait
saliver.

IMG_1188La patte cochon est un pur bonheur. Sa peau luisante aux reflets cuivrés offre pleinement sa texture grasse et souple aux dents avides. Les gourmands commenceront par là pour une sorte de mise en bouche jouissive qui feront glisser les bouts de viande. Ceux qui préfèrent réserver le meilleur pour la fin attaqueront le riz imbibé de sauce, aux reflets odorants de curcuma, de thym et de poivre, avec une petite claque du rougail zognon finement ciselé, et bien vert. Puis ils nettoieront méthodiquement les os, où se nichent encore les délicieux petits morceaux de gélatine désespérés, jusqu’à ce que ça luise comme de l’ivoire.

Les grains, au humage comme à la dégustation, ne font pas mystère d’un cumin intéressant, mais qui ne fait pas l’intéressant. Tout en crème veloutée les haricots sont, et ils se répandent sur le riz comme une cape pour très bien accompagner morue et cochon. Le riz est très bon, ni trop épais ni trop sec, buvant la sauce comme il faut, et même assez bon pour servir de rempart aux assauts du petit piment confit.
Pas de dessert aujourd’hui. Dommage, nous avions encore quelques creux à combler. L’addition se monte à 32 euros pour trois repas et trois boissons. Le rapport qualité prix est imbattable.

IMG_1202Jean-François Vivier et Corinne Voltaire tiennent la Roz i dor depuis mai 2014, en proposant une cuisine réunionnaise traditionnelle très goûteuse, héritée de la mère de Corinne, qui s’appelait Rose. D’où le nom du restaurant, rien à voir avec la commune donc.
« Ma mère était très exigeante en cuisine, raconte Corinne. Fallait pas essayer de tricher. Elle disait que chaque aliment a un goût et qu’il ne faut pas le cacher avec les épices. » Un conseil sage dont bien d’autres devraient s’inspirer. Dernière de sa fratrie, Corinne commence à cuisiner à 21 ans, se formant aux côté de sa mère, cordon bleu reconnu à Sainte-Rose, qui faisait son massalé elle-même. «J’aime tout faire, même la cuisine chinoise et métro » ajoute Corinne.
Le repas d’aujourd’hui est dans la droite ligne de celui de 2017, à l’issue duquel nous avons attribué la fourchette en argent avec recommandation à la «Roz i dor». Très goûteuse, cette cuisine simple et familiale, servie dans un cadre typique, ravit les papilles et contente l’estomac, surtout après une petite marche près de l’océan, aux portes du Sud Sauvage.
Il n’en faut pas davantage pour que la Rose i Dor soit sélectionnée pour la remise de fourchettes de fin d’année, selon la nouvelle formule.

Cadre : 4/5
Service : 5/5
Présentation des plats : 3,5/5
Goût : 5/5
Note TripAdvisor : 4,5/5

La Roz i dor
227 Route Nationale 2, Sainte-Rose
0692 38 03 38

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