Il était une fois dans l’Est

IMG_3508Il était une fois dans l’Est. Non, ce n’est pas une suite version soap opéra du western, mais un restaurant de cuisine locale, planté juste dans le virage avant l’église de Sainte-Anne. Levez le pied, vous pourriez ne pas le voir, et ce serait dommage de ne faire que passer devant. Nous allons tout de go vous narrer pourquoi.

Devant, pas grand-chose à voir, sauf si vous voulez repartir avec des barquettes. Tout se passe derrière, dans la salle dont la baie vitrée donne sur la plage de galets et l’océan en contre-bas. Sur la droite, on devine les bassins de la rivière Sainte-Anne. Un escalier permettrait même d’y descendre, si l’intérêt de le faire n’était pas annulé par l’improbable brousse se trouvant entre la bâtisse et le site.

IMG_3514Chantal Ferrère tient le lieu à bout de bras depuis 20 ans, date où le snack-bar créé en 1984 devient un restaurant à barquette d’abord, avant de proposer aux clients de manger sur place, cinq ans plus tard. Cette native des Hauts de Saint-Leu, fière de ses origines modestes qui lui ont forgé le caractère, a traversé la fin difficile d’une union qui lui a donné trois enfants.
« Je suis toute seule, et je fais du mieux que je peux, confie-t-elle. Mais je ne suis pas là pour faire de l’argent. J’essaie surtout de donner un peu de bonheur aux gens. Ici, la convivialité est de mise, les clients font comme chez eux ». Chantal a le cœur sur la main, trop, diraient certains, mais n’allez pas lui demander sa recette du poulet sucré-salé, il ne faut quand même pas pousser mère-grand dans les col-cols. Elle la garde jalousement, en souvenir d’un beau-frère décédé qui a créé le plat.
On soupçonne quand même la présence de miel là-dedans, ça renifle un peu le sarcive sur les bords. Chantal plussoie en disant que sa fille a des ruches, pour l’usage de la famille ! Tiens donc…
6 ou 7 euros à emporter, 13 sur place, café offert. « C’est ça l’hospitalité réunionnaise d’autrefois : offrir le café. Je ne conçois pas de faire payer le café ! » Lance-t-elle, le regard brillant, droite comme un « i ».
Le restaurant est propre, mais mériterait un rafraîchissement. Chantal ne refusera aucune aide pour ce faire, et jusqu’ici elle n’en a pas trouvé, pas auprès des institutions en tout cas. Qu’importe. « Il ne faut jamais laisser tomber, jamais se décourager ». La famille lui donne un coup de main de temps en temps, dont un frère qui a le bonheur d’avoir un potager où elle se fournit en complément des légumes frais qu’elle trouve au primeur du village.
Un minibus arrive. Des enfants porteurs de handicap en descendent, joyeux pour certains, curieux pour d’autres. Les « taties » de l’Alefpa, les guident vers la salle. Ils ne paieront que 6 euros pour manger sur place au lieu du tarif normal. C’est Chantal ça : généreuse, spontanée, courant à droite et à gauche pour accueillir les clients qui arrivent au compte-goutte et les servir au mieux. Incroyable bout de femme qui force l’admiration. Quand on reprend la route, on n’est pas seulement nourri des petits plats du jour, on est aussi nourri de quelque chose de plus subtil, d’intangible, certains diraient de spirituel. En sortant, à midi moins cinq, l’église de Sainte-Anne se détache sur un bout de ciel bleu…

La dégustation

IMG_3467Nos lecteurs fidèles savent qu’il n’est pas dans nos habitudes d’aller vanter des caris approximatifs. L’assiette que nous dépose Chantal est un assortiment des plats du jour qui permet de goûter à tout. Après le petit verre de punch maison, nous y allons !
Attaque sur le boucané pomme de terre. Le boucané est du genre gentil, pas agressif, mais goûteux quand même. La sauce est épaissie par la patate qui a un peu (trop) fondu dedans. Ça reste agréable. Le frère du boucané, arrangé aux bringelles, lui dame le pion. Nous n’avons pas réussi à faire dire à Chantal ce qu’elle a ajouté dans la marmite, pour que cette sauce à la bringelle arbore ces couleurs gustatives originales, comme des humeurs de cumin. Un délice. « Poudre d’épices », fait-elle, avant de changer de conversation ! Persé met’sec.
Le rougail saucisses embaume un peu le girofle. Nous avons déjà vu ça quelque part. « Je les prends chez Marianne, à Bras-Panon ». Ah voilà ! Des saucisses battues, bien sûr, qui ne se sont pas débattues sous nos molaires avides. « Je fais le rougail saucisses comme je l’entends, assène Chantal. Je mets des épices dedans ! Tant qu’on ne me dit pas que c’est pas bon, je continuerai ! »
Re-persé, re-met’sec. Y’a du monde sur la corde à linge, dont les ayatollahs du rougail saucisse en train de rétrécir au soleil.
Le Sauté de poulet est accompagné de poivrons et d’oignons. C’est bon, mais pas autant que le fameux poulet sucré-salé, demandé par la clientèle, et qui demeure au menu quand les autres plats changent. Il a roussi, l’emplumé. Il a une couleur qui met le cerveau en mode « Gargantua » : touches de noir cramé ici, marron foncé luisant là. Un luisant qui colle, par tous les saints, et une fois en bouche, le morceau de viande lâche ses humeurs comme la Grande Armée sur Austerlitz… alors que les réminiscences des autres plats sont encore là. C’est génialement sucré salé, et parfumé aussi, et sans rassasier.
IMG_3486Le riz est excellent, les lentilles sentent bon la terre rocailleuse mouillée. Le rougail concombre est un peu seul, mais il fait le travail. Pas de dessert. Chantal manque de temps. Elle peut avoir des glaces.
Nous repartons repus. Voilà une cuisine familiale, simple, sans prétention ni extravagance, faite avec amour. Alors oui, nous avons connu de meilleurs plats, mais rarement avec ce petit supplément d’âme, cet indéfinissable charme…

Les Embruns du Baril, une assez bonne cuisine dans un cadre exceptionnel

IMG_2490Aujourd’hui, nous poursuivons notre tour des tables réunionnaises et notre périple nous ramène aux Embruns du Baril, hôtel restaurant réouvert en 2018, qui, il faut bien le dire, revient de loin. Après un passé glorieux (quand on disait qu’on allait manger au Baril, c’était quelque chose !) et des années de décrépitude, l’établissement renaît grâce à son propriétaire, le citoyen Mogalia, qui y investit près de deux millions d’euros, selon Stéphanie Barret, la maîtresse des lieux.
Nous arrivons sur les coups de midi, sous une brise qui rafraîchit l’atmosphère. Nous sommes accueillis par Sté-phanie Barret elle-même, laquelle est ce jour au four, au moulin et en salle, dans cet ordre ou dans un autre.
Nous sommes installés au balcon, pour profiter des fameux embruns de ce côté d’océan toujours un peu soupe-au-lait et l’on nous présente la carte.
Celle-ci est composée de quatre entrées, sept plats et cinq desserts. Le palmiste est présent, en gratin ou en salade. Le foie gras aussi. Poisson rouge, langouste et camarons sont également de sortie, mais la « plèbe » est également là : poulet, canard, cabri et de l’agneau.
Nous passons quelques minutes à apprécier le paysage, puis nos boissons sont servies, dont un très joli et excellent jus de fruits frais, où l’orange joue avec l’ananas.
Nous commandons un cari poulet palmiste frais et un cari de poisson rouge, tant qu’à faire. Le poulet vient de chez «Duchemin et Grondann», passé un temps affiché comme une référence, et le poisson rouge est estampillé «Océan indien», ce qui nous fait comprendre qu’il ne vient pas des eaux agitées en contre-bas mais de beaucoup plus loin.

IMG_2467Nous dégustons d’abord le gratin de palmiste. Ce dernier est pâteux, mais heureusement pas au point d’être utilisé comme mortier. Sa texture est assez soyeuse et souple, et donne de belles bouchées où le palmiste prouve qu’il existe face à un fromage velléitaire. Mille fois cela que les gratins où palmiste, chouchous, etc. nagent la brasse coulée dans du liquide où s’égarent des molécules de béchamel.

IMG_2479Le cari poulet est très bon. Le cari. Le poulet lui-même, moins. Louée donc l’expérience d’une cuisinière qui, nous dit-on, a 35 ans de bouteille, pour ne pas dire de baril, mais faut-il louer, ou même d’acheter, les médiocres volatiles de D&G, (même affichés fermiers) qui se dessèchent en marmite comme des momies sous le soleil du désert ? Au point que malgré les efforts d’une sauce de cari exécutée dans les règles de l’art, la viande soit en bouche aussi goûteuse que du papier mâché. Le palmiste pour sa part a correctement bu la sauce et propose une mâche respectable et tendre.

IMG_2473Le poisson n’a guère de mal à faire mieux, encore que… Les raisons diffèrent, mais le résultat est le même. Le poisson rouge « Océan Indien » est de plus basse extraction que celui qui, naguère, furetait par nos côtes, avant de se retrouver pendouillant en bord de route par les petits pêcheurs. C’était le bon temps, ma bonne dame. Dans l’assiette, «Poisson rouge O.I» se traduit par des chairs peu fondantes et raffinées, qui se détachent en morceaux bien nets. Heureusement que la sauce, très réussie, empreinte de curcuma, d’onctuosité tomatée et de gingembre, et bien relevée de piment, à notre demande, compense le côté quelque peu vulgaire des poissons. Le mélange en bouche est assez satisfaisant pour finir l’assiette en y glissant un bout de pain.

Le riz, type basmati, est paraît-il réclamé de la clientèle. Encore un effet de mode. Nous l’avons écrit cent fois : à notre sens, ce genre de riz ne convient pas aux caris réunionnais, les grains ne buvant pas la sauce comme le font ceux, plus bombés, des riz classiques ; et nous ne parlons évidemment pas des riz bas de gamme, loin d’être fort bons.

Le repas se termine par un café. Mais si vous le souhaitez, la carte vous laisse le choix entre huit desserts assez communs : banane flambée, crème brûlée, moelleux au chocolat ou gâteau de patate douce maison, entre autres.
Nous réglons une note de 94,50 euros pour deux personnes, soit un peu plus de 47 euros par personne pour une (seule) entrée, deux plats, deux boissons et deux cafés. Sachant que le poisson rouge est vendu 38 euros. Le rapport qualité prix est perfectible.

En dépit de la qualité moyenne de certaines viandes ou poissons, ce qui sort des cuisines reste à la hauteur de ce qu’est en droit d’attendre un client désireux de manger correctement. L’expérience de la cuisine réunionnaise se sent dans l’assiette. Peut-être, à présent, faudrait-il s’écarter des sentiers battus et montrer davantage de créativité dans les menus, sans pour autant oublier les grands classiques toujours appréciés. Peut-être, aussi, en attendant de pouvoir disposer de produits plus raffinés, serait-il judicieux d’afficher des tarifs qui soient davantage en adéquation avec la qualité intrinsèque de la matière première utilisée. Car il y a «poisson rouge» et «poisson rouge».
Pour l’heure le restaurant des Embruns du Baril mérite d’être sélectionné pour la remise des fourchettes de fin d’année.

Les hôteliers ont-ils le choix ?

A l’instar des autres hôteliers ou restaurateurs, les Embruns du Baril sont soumis à la réglementation en vigueur en termes d’achat des produits, qui doivent justifier d’une DLC et d’une traçabilité qui les fassent entrer « dans les clous » pour les autorités.
Il se trouve, hélas, qu’à La Réunion, les fournisseurs capables d’assurer une production suffisante de viandes et de poissons «péi» pour approvisionner le marché tout en respectant (en principe) la loi, peuvent se compter sur peu de doigts de peu de mains.
Donc, nous explique-t-on, le choix des bons produits locaux est relativement restreint, à moins de se mettre en délicatesse avec la DAAF.
Il serait peut-être judicieux que les autorités soient plus souples avec les artisans, tout en les aidant (y compris financièrement) à se mettre en conformité avec les régles d’hygiène. Peut-être aussi qu’un peu plus de concurrence ferait du bien, mais c’est un autre débat, déjà largement évoqué par ailleurs.
Dans le (sans doute) difficile équilibre entre la protection du consommateur et de ses intestins, et la satisfaction de son palais qui réclame des produits plus authentiques et goûtus, l’aiguille de la balance aurait plutôt tendance à pencher vers la première option, quitte à ce que ce soit les industriels cultivant le néant gustatif maquillé aux additifs qui en profitent.
Aucune importance de toute façon, doit-on se dire dans les milieux autorisés, puisque le palais du commun des mortels est maintenant habitué au trop de sel, aux exhausteurs de goût et aux saveurs formatées, tant et si bien que lorsqu’il a la chance de déguster un fruit, un légume ou une viande avec son goût véritable, sa figure n’est plus que grimaces. Bon appétit.