Aujourd’hui, nous poursuivons notre tour des tables réunionnaises et notre périple nous ramène aux Embruns du Baril, hôtel restaurant réouvert en 2018, qui, il faut bien le dire, revient de loin. Après un passé glorieux (quand on disait qu’on allait manger au Baril, c’était quelque chose !) et des années de décrépitude, l’établissement renaît grâce à son propriétaire, le citoyen Mogalia, qui y investit près de deux millions d’euros, selon Stéphanie Barret, la maîtresse des lieux.
Nous arrivons sur les coups de midi, sous une brise qui rafraîchit l’atmosphère. Nous sommes accueillis par Sté-phanie Barret elle-même, laquelle est ce jour au four, au moulin et en salle, dans cet ordre ou dans un autre.
Nous sommes installés au balcon, pour profiter des fameux embruns de ce côté d’océan toujours un peu soupe-au-lait et l’on nous présente la carte.
Celle-ci est composée de quatre entrées, sept plats et cinq desserts. Le palmiste est présent, en gratin ou en salade. Le foie gras aussi. Poisson rouge, langouste et camarons sont également de sortie, mais la « plèbe » est également là : poulet, canard, cabri et de l’agneau.
Nous passons quelques minutes à apprécier le paysage, puis nos boissons sont servies, dont un très joli et excellent jus de fruits frais, où l’orange joue avec l’ananas.
Nous commandons un cari poulet palmiste frais et un cari de poisson rouge, tant qu’à faire. Le poulet vient de chez «Duchemin et Grondann», passé un temps affiché comme une référence, et le poisson rouge est estampillé «Océan indien», ce qui nous fait comprendre qu’il ne vient pas des eaux agitées en contre-bas mais de beaucoup plus loin.
Nous dégustons d’abord le gratin de palmiste. Ce dernier est pâteux, mais heureusement pas au point d’être utilisé comme mortier. Sa texture est assez soyeuse et souple, et donne de belles bouchées où le palmiste prouve qu’il existe face à un fromage velléitaire. Mille fois cela que les gratins où palmiste, chouchous, etc. nagent la brasse coulée dans du liquide où s’égarent des molécules de béchamel.
Le cari poulet est très bon. Le cari. Le poulet lui-même, moins. Louée donc l’expérience d’une cuisinière qui, nous dit-on, a 35 ans de bouteille, pour ne pas dire de baril, mais faut-il louer, ou même d’acheter, les médiocres volatiles de D&G, (même affichés fermiers) qui se dessèchent en marmite comme des momies sous le soleil du désert ? Au point que malgré les efforts d’une sauce de cari exécutée dans les règles de l’art, la viande soit en bouche aussi goûteuse que du papier mâché. Le palmiste pour sa part a correctement bu la sauce et propose une mâche respectable et tendre.
Le poisson n’a guère de mal à faire mieux, encore que… Les raisons diffèrent, mais le résultat est le même. Le poisson rouge « Océan Indien » est de plus basse extraction que celui qui, naguère, furetait par nos côtes, avant de se retrouver pendouillant en bord de route par les petits pêcheurs. C’était le bon temps, ma bonne dame. Dans l’assiette, «Poisson rouge O.I» se traduit par des chairs peu fondantes et raffinées, qui se détachent en morceaux bien nets. Heureusement que la sauce, très réussie, empreinte de curcuma, d’onctuosité tomatée et de gingembre, et bien relevée de piment, à notre demande, compense le côté quelque peu vulgaire des poissons. Le mélange en bouche est assez satisfaisant pour finir l’assiette en y glissant un bout de pain.
Le riz, type basmati, est paraît-il réclamé de la clientèle. Encore un effet de mode. Nous l’avons écrit cent fois : à notre sens, ce genre de riz ne convient pas aux caris réunionnais, les grains ne buvant pas la sauce comme le font ceux, plus bombés, des riz classiques ; et nous ne parlons évidemment pas des riz bas de gamme, loin d’être fort bons.
Le repas se termine par un café. Mais si vous le souhaitez, la carte vous laisse le choix entre huit desserts assez communs : banane flambée, crème brûlée, moelleux au chocolat ou gâteau de patate douce maison, entre autres.
Nous réglons une note de 94,50 euros pour deux personnes, soit un peu plus de 47 euros par personne pour une (seule) entrée, deux plats, deux boissons et deux cafés. Sachant que le poisson rouge est vendu 38 euros. Le rapport qualité prix est perfectible.
En dépit de la qualité moyenne de certaines viandes ou poissons, ce qui sort des cuisines reste à la hauteur de ce qu’est en droit d’attendre un client désireux de manger correctement. L’expérience de la cuisine réunionnaise se sent dans l’assiette. Peut-être, à présent, faudrait-il s’écarter des sentiers battus et montrer davantage de créativité dans les menus, sans pour autant oublier les grands classiques toujours appréciés. Peut-être, aussi, en attendant de pouvoir disposer de produits plus raffinés, serait-il judicieux d’afficher des tarifs qui soient davantage en adéquation avec la qualité intrinsèque de la matière première utilisée. Car il y a «poisson rouge» et «poisson rouge».
Pour l’heure le restaurant des Embruns du Baril mérite d’être sélectionné pour la remise des fourchettes de fin d’année.
Les hôteliers ont-ils le choix ?
A l’instar des autres hôteliers ou restaurateurs, les Embruns du Baril sont soumis à la réglementation en vigueur en termes d’achat des produits, qui doivent justifier d’une DLC et d’une traçabilité qui les fassent entrer « dans les clous » pour les autorités.
Il se trouve, hélas, qu’à La Réunion, les fournisseurs capables d’assurer une production suffisante de viandes et de poissons «péi» pour approvisionner le marché tout en respectant (en principe) la loi, peuvent se compter sur peu de doigts de peu de mains.
Donc, nous explique-t-on, le choix des bons produits locaux est relativement restreint, à moins de se mettre en délicatesse avec la DAAF.
Il serait peut-être judicieux que les autorités soient plus souples avec les artisans, tout en les aidant (y compris financièrement) à se mettre en conformité avec les régles d’hygiène. Peut-être aussi qu’un peu plus de concurrence ferait du bien, mais c’est un autre débat, déjà largement évoqué par ailleurs.
Dans le (sans doute) difficile équilibre entre la protection du consommateur et de ses intestins, et la satisfaction de son palais qui réclame des produits plus authentiques et goûtus, l’aiguille de la balance aurait plutôt tendance à pencher vers la première option, quitte à ce que ce soit les industriels cultivant le néant gustatif maquillé aux additifs qui en profitent.
Aucune importance de toute façon, doit-on se dire dans les milieux autorisés, puisque le palais du commun des mortels est maintenant habitué au trop de sel, aux exhausteurs de goût et aux saveurs formatées, tant et si bien que lorsqu’il a la chance de déguster un fruit, un légume ou une viande avec son goût véritable, sa figure n’est plus que grimaces. Bon appétit.