Le nom de ce restaurant sonne comme une promesse. Nous tombons dessus non pas par hasard, mais sur recommandation. Si l’établissement est ouvert depuis quelques années, la nouvelle identité est plus récente, plantée dans le bas du chemin Lefaguyes qui traverse la commune de Saint-André de la quatre-voies au Front de Mer. Nous sommes à Champ-borne, non loin de l’église en ruine et de la mairie annexe.
Au panneau dehors : bœuf gros piment, civet la patte, zandouille bringelles, sauté de poulet, cari de bichique (surgelés sans doute, vu le prix) et des lasagnes !
L’accueil est jovial, c’est le mot, et nous nous sentons tout de suite à l’aise. Tandis que le défilé des barquettes prend son rythme de croisière, nous patientons en appréciant une mousse fraîche. Plusieurs plats nous font envie. Qu’à cela ne tienne, on nous propose trois caris en plus petite quantité, servis à l’assiette.
La quantité de riz nous laisse dubitatif deux secondes avant que l’homme de service, Jacky, nous précise que nous pouvons réclamer un supplément si nécessaire.
Nous commençons par l’andouille. Que cette dernière se fasse conter fleurette par la bringelle est une originalité en soi, le soulier verni chaussant plus fréquemment saucisses et boucanés, qui pour cette fois restent « pendillés ».
D’un abord olfactif intéressant, où les effluves forts de tripes jouent avec une teinte de poivre, l’andouille se montre en bouche sous un jour particulièrement gourmand. C’est souple, velouté, fondant derrière les gencives, et le peu de bringelle, réduite en crème, opère comme un trait d’union glissant entre chaque morceau dégusté. Si la saveur du légume est discrète, elle donne tout de même à l’andouille un côté picotant qui complète parfaitement son caractère de cochon. Le sel est maîtrisé. C’est très bon.
Le sauté de bœuf pour sa part va jouer dans le frais et le croquant avec les pousses de soja, les tranches de gros piment et les oignons juste sautés, accompagnés d’une sauce au Siave légère et parfumée. A vrai dire nous n’aurions pas grimacé sur une quantité plus importante de gros piment, qui aurait mis davantage de couleur encore à la viande de bœuf déjà savoureuse et tendre. Mais de nos jours, ma bonne dame, avant de trouver des gros piment goûteux et bien forts, autant guetter avec la sœur Anne assis sous les pimpins.
Nous terminons avec le civet la patte. Nous en avons avalé, des civets et caris la patte, alors que la rubrique distribuait encore les fourchettes, et certains se sont vu octroyer du plastique ou de l’inox pour des à-peu-près plats. C’est un civet d’une toute autre sorte auquel nous avons à faire ici.
Couleur cuivré foncé, morceaux de peau luisants, équilibre du gras et de la viande, la vue est belle.
L’odeur aussi, un fond de vin cuit, où le girofle est urbain et discret, avec un côté musqué et boisé qui nous évoque… mais quoi donc ? La réponse vient après la première bouchée. C’est jouissivement moelleux, et les épices confites qui ont imprégné la viande à cœur ne laissent que peu de mystère sur le souvenir gustatif que cette patte nous évoque. Du tangue. Ce plat a tous les atours d’un civet de tangue, celui des spécialistes, macéré, frotté, cuit et recuit pour en atténuer les humeurs sauvages. On serait presque tenté de demander un p’tit Charrette, pour l’accompagner.
Le riz pour sa part est ordinaire. En grain secs, ventre-saint-gris. Il ne fait pas honneur aux plats, pour sûr. Les grains blancs sont tout à fait convenables en revanche, soyeux et odorants, tout comme le rougail tomate dont la couleur claire ne promettait pourtant pas des étincelles.
Addition : 14 euros, pour une boisson et une assiette de caris. Le rapport qualité-quantité-prix est très bon.
Depuis que Françoise Aure a créé « Aux Petits oignons » du côté de Champ-Borne, l’enseigne a fait un autre petit vers Cambuston en mars, avec pizzas du soir, des poulets frais frits (hallal) à la broche avec des patates rôties (attention vous bavez sur votre journal là…). Quelques classiques de la cuisine française aussi (magrets, entrecôtes d’Irlande, tartares de thon…). Il n’y a pas que le cari canard dans la vie. La dynamique patronne a été culinairement inspirée par son père, cuisinier fameux des « services » tamouls, connu dans l’Ouest sous le surnom de « Monsieur Yoyo ».
« Je mets de l’amour dans ma cuisine » explique-t-elle. Cela se sent. Sa cuisine réunionnaise est aboutie, précise, et savoureuse, tout en s’efforçant de rester dans des fourchettes de tarifs raisonnables. Une cuisine en Aure.
L’accueil et le service sont sympathiques, le cadre du restaurant plaisant, et la proximité du front de mer autorise une balade digestive agréable. Que demande le peuple ?
Promesse tenue. « Aux Petits Oignons » mérite largement sa sélection pour la désignation des meilleurs restaurants de cuisine réunionnaise de l’année.