La Riviera : toutes nos illusions sont détruites

La Riviera, un nom qui évoque les vacances sur la Méditerranée, de la côte d’Azur au golfe de Gênes. A La Réunion, la Riviera est simplement un restaurant, au bord de l’eau du Bocage à Sainte-Suzanne.


Nous débarquons de bonne heure, l’endroit est à peu près désert. Trois options nous sont proposées par la personne qui nous accueille : jardin, salle ou terrasse. Les tables sont très espacées pour respecter le protocole sanitaire. Le cadre est assez agréable, et propre.
La cuisine proposée est éclectique. Aujourd’hui le poulet massalé et le cari de poisson rouge « Vieille Ananas » sont au menu, entre autres, et la suggestion du jour est une truite à la bisque de langoustine. Va pour la truite.

Nous commençons par une entrée de « tapas » créoles : samoussas, sarcives, bouchons et acras de morue. Le service est dynamique et gai.
Les sarcives sont tendres, et plutôt bonnes, mais manquent d’un peu de séchage et de saveur. Le miel est cher. Les samoussas, dont la farce ressemble à un hachar de légumes coloré, se laissent manger, les bouchons frits aussi. Les acras en revanche n’ont à peu près aucun goût, c’est assez dommage.

La truite suit, dans son assiette dressée dont la vue nous laisse dubitatif. Cet à peu près dressage sans originalité présente une truite qui a comme qui dirait séché en plein cagnard. La peau ne présente en effet aucun signe ostensible de friture poussée, la truite est pâle comme une endive.
Pâle aussi est son goût, dont nous détectons par-ci par-là, des pointes vaseuses. Ce devait être une truite pantouflarde, qui préférait les coins de bassin où l’eau remuait peu.
La bisque de langoustine, vraisemblablement de conserve, lui met conséquemment une claque, comme une brute épaisse tapant dans le dos d’une petite vieille.
Peut-être qu’une sauce crémeuse au citron, ou au combava, aurait redonné quelque couleurs à la truite blafarde, sans exterminer le peu de charme qui lui reste avec des saveurs brutales et concentrées de crustacés. La salade mesclun est croquante et bonne, mais on ne voit pas bien ce que du poivron vient faire là. Les pommes de terre en robe des champs, enduite de miel de sésame, sont passables, mais iraient mieux avec de la viande.

Un verre de moelleux sud-Africain efface efficacement le souvenir gustatif que ce plat ni fait ni à faire.

A quelques tables en face de nous, un client renvoie son assiette, poliment. Une quinzaine de clients est arrivée depuis, se dirigeant droit vers la terrasse.

Nous déclinons les desserts, très classiques (crème brûlée, mousse et « coulant » au chocolat…), et réglons l’addition. 23 euros, c’est cher pour une truite plate et mal accompagnée.

Nous repartons passablement déçu de cette cuisine qui frôle l’amateurisme. C’est dommage car le cadre est plaisant, l’accueil et le service aussi. Peut-être aurions nous dû suivre notre première intuition : prendre le cari de poisson. Tant pis. Si d’aventure vous passez par là, tentez donc la Riviera, en espérant que votre expérience soit meilleure.

Chez Jules, le goût de la simplicité

Nous allons dîner Chez Jules, restaurant de Saint-André, assis à la pente Sassy, testé voici deux ans, à qui fut attribuée une fourchette en argent pour sa cuisine créole très correcte.
L’article est d’ailleurs accroché au mur, à côté de la tête de hibou de « Trip » et du Guide Kaspro.

L’accueil est toujours souriant. Nous nous installons, et commandons les apéritifs. Deux tartines de tapenades accompagnent les boissons, en guise de mise en bouche. L’initiative est appréciée. Au menu ce soir, 4 entrées et 15 plats, dont deux caris et trois civets. Le tartare de thon, la côte de cerf et l’entrecôte Black Angus nous font bien envie. Mais ce sont la truite de Hell-Bourg et sa crème de cresson, ainsi que le croustillant de jeune cochon, « cuit deux heures dans de la graisse de canard » nous d it-on, qui l’emportent, accompagnées de salade folle et de patates frites. Pas de caris pour cette fois.

Quelques dodus samoussas pour commencer, avec force de farce aux légumes et à la viande, nous met les papilles en ordre de bataille. Poulet ou cabri, nous avons un peu de mal à les discerner sous l’assaut des épices.

Les assiettes arrivent. Dressage simple et propre. La truite nous fait « mangez moi »… impossible que le ti-punch nous ait fait cet effet-là. Abrégeons ses souffrances.

Miss truite, descendue du cirque, est cuite au chronomètre. Sa peau présente la couleur et l’aspect de la tâte au poil de la poêle. En guise d’onguent pour brûlure au troisième degré : la crème de cresson, garnie que quelques pousses décoratives. Notre estomac est comme les creux sont. On y va. En bouche, la chair fine de la truite vagabonde exulte. Sa saveur délicate où nulle humeur de vase ne pointe, est portée avec grâce par le cresson dont la fragrance naturelle a été domptée. La crème participe à l’emballement de la demoiselle Hell-Bourgeoise, qui danse le menuet au palais. Cette affaire glisse sans plus de commentaire, laissant le souvenir d’un plaisir qui survit encore un peu au nez. Les patates frites sont très bonnes. Plongées dans le velouté de citrouille de décoration elle donnent à la truite un répondant plus épais.

Faire suivre tout de suite la truite à poêle du jeune cochon serait inconvenant. Ce dernier passera donc après une gorgée de vin blanc. Déjà, la présentation en tranche, avec ses couches de gras et de maigre, fait envie. La couleur met aussi en appétit. Une bouchée généreuse invite les dents à s’enfoncer à travers la peau croustillante et fumée, puis, au travers d’un gras parfumé, chercher la chair moelleuse qui chante comme ces rôtis des dimanches en famille qui ont collé au fond de la marmite, et rameute les viandards comme « gros l’ail » sur une ampoule. En parlant de coller, la peau frite s’attache un peu aux molaires, suinte dessus, et fait grimper le compteur du plaisir à chaque mouvement de mâchoire.

La salade folle fait sa farandole d’un côté comme de l’autre, tout apprêtée de sa vinaigrette parfumée, apportant un croquant délicat et frais.

La carte des desserts nous est proposée aussitôt les assiettes enlevées. La tarte Jules (papaye coco) et sa boule de glace tangor nous fait de l’œil, ainsi que le manioc à la noix de coco et sa boule de glace vanille. Mais il se fait tard. Il est temps de remercier les proprios.

Gilbert et Jacqueline Lebeau tiennent Chez Jules en famille. Jules, dont la photo est affichée, étant l’aïeul. Gilbert, qui a travaillé dans la bureautique, s’est reconverti dans une activité plus…  « canon » : la cuisine, et il y excelle. Par l’ouverture dans le mur, nous avons pu le voir travailler, avec son épouse. Les visages sont détendus mais concentrés, les gestes sûrs, et même quand la salle fut pleine, aucun stress perceptible, pas plus que chez les serveuses. Un service professionnel et courtois.
Notre impression générale est nettement meilleure que lors de notre première visite. Il semblerait même qu’un effort ait été fait sur la décoration, à moins que ce ne soit l’effet des lumières.
Jacqueline et
Gilbert proposent une cuisine efficace, simple et inventive à la fois, qui met à l’honneur les bons produits de chez nous en les mariant d’heureuse manière. Leur récompense : des clients qui affluent, et dont certains repartent avec le contentement du bébé après la tétée, affiché sur les trombines.
Voilà sans aucun doute un restaurant à garder sur la liste des meilleurs établissements de l’Est.

Leur page Facebook > https://www.facebook.com/restochezjules974/

Le Vieux Port, une cuisine généreuse à déguster sur l’herbe

Aujourd’hui nous « descendons » au Vieux Port, restaurant du Tremblet, à deux pas d’un autre établissement réputé et bien noté : la Case Volcan.
Notre dernière visite remonte à 2012, année supposée de la fin du monde. 2020 étant certainement la fin d’un monde. Le vieux longanis trône toujours devant la petite case créole, et offre son ombre aux tables dressées à l’extérieur, sur la pelouse. Le ciel étant capricieux, nous préférons nous réfugier prudemment à l’intérieur.


L’accueil est souriant et sympathique. Nous nous installons. Au menu du jour : rougail saucisses, morue palmiste, rougail zandouille, rôti de porc palmiste, cari poulet palmiste et cari de camaron, les prix allant de 15 à 20 euros.
Nous choisissons le rougail zandouille et le cari poulet palmiste. La salade de palmiste à 10 euros n’est plus disponible. « C’est sur réservation, le cari de poisson rouge également » nous explique-t-on. Ce sera pour la prochaine fois

Nous n’avons que le temps de siroter l’apéritif, avant que les plats ne soient servis.

L’andouille est coupée en tranches bien homogènes. Il s’agit de petites andouilles comportant davantage de viande que de tripes, d’où une odeur peu agressive. A la place, une humeur de poivre et de tomate compotée assortie d’un fumet qui fait saliver.
La mâche est tendre, quasiment moelleuse, et délivre en compagnie du riz coloré de sauce de belles sensations gustatives. Là-dessus le rougail tomates bien pimenté est du plus bel effet. La fragrance de tomate fraîche équilibre le côté gras ressenti en bouche. Ce n’est sans doute pas le meilleur rougail zandouille que nous ayons dégusté, mais il n’est pas loin du peloton de tête.

Le cari poulet, en revanche, est de loin un des meilleurs de nos visites, depuis plusieurs années. Un poulet « choisi », selon le Chef, de chez Duchemin et Grondann, fermier assurément, si on en juge par la tenue de la chair de la cuisse, qui se détache d’un seul tenant de son os, toute luisante. Pas l’ombre d’une sécheresse, aucune couleur blanche de papier mâché caractéristique du poulet de 30 jours, grossi à la gonflette.
La volaille s’étale dans sa jolie sauce de cari épaisse. Elle tortille du croupion, nous fait du charme avec son odeur d’épices roussies de manière experte mélangées à un curcuma éclatant. Les bouchées sont sublimes. Elles nous évoquent ces caris des grand-mères, préparés à la marmite charbonnée, dans la cuisine en bois sous tôle, avec la lenteur consommée de gestes précis exigés par des corps douloureux de ceux qui ont longtemps travaillé aux champs. Le palmiste imbibé emballe magnifiquement tout ça, offrant aux dents une texture fondante complémentaire à celle de la viande, et laisse au nez ce parfum gourmand qui a pompé dans la sauce.

Des bananes flambées, accompagnées d’une boule de glace vanille et de chantilly, viennent clore ce repas. Un dessert aussi simple qu’efficace.

Nous roulons jusqu’à la caisse pour régler les 90 euros de l’addition, tarif pour trois plats, deux desserts et deux cafés, plus les boissons. Le rapport qualité-prix est bon.

Le Vieux Port peut aisément devenir le port d’attache des gourmets amateurs de bonne cuisine créole, si chaque jour que Dieu fait, il propose des plats aussi goûteux que ceux que nous avons dégustés. Une cuisine authentique, bien ancrée dans le terroir, et familiale. Rien à dire sur l’accueil et le service à notre niveau, bien que nous ayons observé quelques cafouillages pendant le « coup de feu ». Le soleil, finalement au rendez-vous, a permis aux convives de déjeuner « sur l’herbe ».
Une adresse qui mérite de figurer sur la liste des meilleurs restaurants créoles de la Réunion.