
Mois: septembre 2020
Le Ti Piment, fort, fort…
Bras-Panon, sur la grande ligne droite en direction de la Rivière des Roches, avant d’arriver à la charcuterie Marianne, qui a le boudin fier et la saucisse exquise, vous trouverez le Ti Piment.
Le restaurant est plus précisément sur la rue Roberto, parallèle à la traversante. Nous débarquons là presque à notre propre surprise, sur une envie soudaine. Notre dernière visite date de 2017, et la fourchette en argent était tombée, même s’il nous était resté comme une insatisfaction.
Le cadre est le même que dans notre souvenir : confortable, joli, avec son plancher de caillebottis, ses mûrs recouverts de pierres de décoration, ses plantes qui égayent le tout.
Nous arrivons de bonne heure. Il n’y a pas un chat. Une serveuse nous prend en charge. Nous nous posons dans un coin et le tableau du menu est posé avec nous.
Quelques viandes et poissons : magret de canard, entrecôtes, kangourou, côtes d’agneau, espadon. Les plats locaux sont majoritaires, et certains sortent des grands standards du genre, toujours au programme un peu partout, signe que le chef est bien éveillé à la tradition culinaire réunionnaise. Citons, par exemple, le rougail boudin, le poulet au curry et lait de coco, le cari de bœuf chouchous et la morue aux brèdes lastron.
Nous faisons une très légère entorse à nos habitudes chauvines pour goûter le plat aux couleurs indiennes : le poulet curry au lait de coco. En préambule, une salade de poisson moutarde et mayonnaise fera l’affaire. La salle se remplit peu à peu.
Le service est efficace et agréable, on devine le sourire malgré le masque. « Carafe ou bouteille ? » s’enquit la jeune femme à notre grand plaisir, tant il est rare dans les restaurants créoles qu’on propose de l’eau aux clients.
Une gazeuse citron plus tard, nous sautons sur la salade qui vient d’arriver.
Fraîche et croquante, feuille, l’es-tu ? Elle l’est, elles le sont toutes. Les tranches de patates sont encore chaudes, croquantes dehors, fondantes dedans. La betterave, avec son caractère bien terrien, kitabwèt, donne le « la » au poisson fort en goût, un peu musqué, de la dorade, elle-même arrangée à la moutarde à l’ancienne que la mayonnaise retient un peu pour ne pas qu’on se reçoive des claques. La chair affiche assez de résistance pour une mâche plaisante, ce qui incite tout ce petit monde à se manifester davantage encore. La salade est sifflée.
Le poulet suit. Nous nous rinçons les amygdales pour calmer le poiscaille. Place au curry, sapristi.
La vue, l’odeur, tout nous va pour l’instant. Nous notons tout de même que du persil est haché par-dessus, c’est bien, mais tant qu’à faire, le chef aurait pu pousser le bouchon jusqu’à y adjoindre des feuilles de cotomili odorantes, pour peu qu’il en disposât il va sans dire.
Chargeons. Mordant gourmand, façon Obélix dans son sanglier, sur un des morceaux de viande tout enrobé de lait de coco coloré. Ah ça glisse, c’est un délice, même sans cuisse. La viande n’a pas le sang bleu, palsambleu, mais elle se défend honorablement en s’offrant sans filasse ni sécheresse, ni paresse, comtesse. La sérénade du coco, doucereux, paré d’un curry délicat, nous monte au nez par vagues de plaisir. L’épaisseur de la sauce en rajoute une couche, plein la bouche. Oui décidément, il ne manque que le cotomoli. Le très frais et bien bon rougail tomate donne un petit « peps » fort et acidulé qui équilibre un peu le lait de coco entreprenant. Ajoutez à la fourchette un riz élégant et des vouèmes vivaces, tout en velouté subtil, et vous obtenez des bouchées magnifiques.
L’assiette est si généreuse que nous avons peine à finir. Refusant des desserts classiques mais non moins tentants, nous nous dirigeons vers la caisse, régler une note de 31 euros pour une boisson, une entrée, un plat, plus une barquette de rougail graton (très odorant aussi) pour le soir, et un café. Le rapport qualité prix est très bon. Certains devraient en prendre de la graine.
Le Chef Agathe, et son second Arside, nous ont régalé aujourd’hui. Proposer de la viande, quelques mets d’ailleurs, et un menu créole traditionnel teinté de plats originaux est une très bonne stratégie. Rien n’est plus triste que de débarquer dans un restaurant et se voir proposer les sempiternels rougails et caris, surtout si ceux-ci sont très moyens. On aime aller au restaurant pour la surprise, la nouveauté et la qualité qu’on ne trouve pas chez soi. D’autre part, le touriste qui découvre appréciera un choix éclectique représentatif de notre culture culinaire dans son sens le plus riche. Le Ti piment fait bien ce travail.
Le service aimable et efficace ajoute à l’attrait de l’établissement. Nous sommes heureux de pouvoir désormais le compter dans la liste des meilleures adresses de notre île.
Le Relais des Pitons, la tradition en dessert
Nous voici à la Plaine-des-Palmistes l’hiver, avec ses platanes « en sève » et son air frisquet qui ouvre l’appétit. Ce dimanche, jour de marché, 11h30, il reste encore quelques clients qui louvoient entre les étals pour acheter la matière première du repas du midi, et des jours qui vont suivre, et accessoirement mordre dans les gâteaux péi ou les samoussas avant de regagner leurs pénates. A quelques pas de là, juste après la mairie, le Relais des Pitons a ouvert ses portes. Notre dernière visite date de juillet 2017. Et la note n’avait pas été bonne. On nous a laissé entendre qu’il pouvait s’agir d’un accident. Que l’adresse est réputée. Qu’à cela ne tienne, nous y voici de nouveau.
L’accueil est nous supposons souriant car réglementairement masqué, le monsieur est sympathique. Nous prenons place. Au menu du jour : gratin de chouchou, de citrouille et de patate douce, boudin créole et assiette de crudités pour les entrées ; cari la patte cochon, massalé coq, cari calamar, bœuf bourguignon et sauté de poulet au chouchou pour les plats de résistance. La patte et le coq feront l’affaire. Un jus de goyavier bien frais nous est proposé, il nous réveille la glotte. Les entrées débarquent sans tarder, toutes chaudes.
Le gratin est brûlant. Nous le triturons un peu pour qu’il refroidisse plus vite. L’intérieur est plus jaune qu’orange. La texture est un peu molle, mais pas liquide. La première bouchée nous rassure : la citrouille et le fromage font un ménage équilibré, teinté de thym, et de soupçons poivrés. A mesure que les bouchées se succèdent, la saveur de la citrouille se révèle de mieux en mieux. Le ramequin est vidé.
Le boudin, acheté chez un charcutier « du côté de Bras des Calumets » nous dit-on, n’affiche aucun piment revendicatif, mais offre généreusement une mâche moelleuse, où les dents rencontrent ici et là quelques résistances grasses et parfumées, avec le croustillant léger de quelque oignons vert ou persil, sans que nulle épaisseur désagréable de mie de pain ne soit détectée. Voilà du bon boudin des hauts, tendre, goûteux, bien loin des machins compacts qu’on trouve facilement un peu partout.
Nous commençons à avoir soif. Mais aucune eau ne nous a été proposée. Il faut donc demander ? A moins d’avoir un ADN de dromadaire, les êtres humains ont besoin d’eau, il nous semble.
Les plats ne tardent pas non plus. C’est presque trop rapide.
Le massalé coq ne casse pas trois pattes à un canard. La chair du volatile se délite, comme trop cuite, et d’une manière qui ne laisse aucun doute sur sa généalogie. Si c’est du coq péi, le coq péi n’est plus ce qu’il était. Côté goût : c’est grève du zèle. Circulez, il n’y a rien à voir, à part peut-être les supplications d’un massalé très ordinaire, passablement éventé, qui tente le sauvetage du coq naufragé. On a largement vu mieux ailleurs, mais cela reste à peu près mangeable.
La patte-cochon est plus alerte. Les morceaux arborent leur peau cuivrée et luisante, et ont la politesse d’offrir autant de chair à mâcher que d’os à sucer. Côté saveur, rien à dire de particulier. Le cari est correctement exécuté, peut-être juste un peu faible en épices mais certains l’aiment ainsi.
Un petit roussi supplémentaire, ou un flambage au rhum ou au whisky aurait réveillé ses ardeurs. Le quatre-épices peut aussi dire son mot. La peau est tout de même un peu trop fondante. Un peu plus de résistance sous la dent aurait délivré davantage de plaisir.
Côté accompagnements : des pois du Cap en crème, veloutés, délicieux ; un rougail concombre croquant au piment vif, qui a servi de béquille au coq, et, hélas, encore cet épouvantable riz premier prix, avec des brisures, correctement cuit mais qui n’absorbe aucune sauce, et dont les grains étiques jouent au slalom entre molaires et canines.
L’eau finit par arriver, après deux réclamations. Il était temps.
Vient le moment des desserts. On nous propose des tubercules cuits au sucre, à la marmite, comme chez les anciens. Une initiative rare dans un restaurant, qui mérite d’être applaudie, et nous demandons la patate douce et le cambar, tous deux accompagnés d’une boule de glace vanille.
Ces desserts font sensation, la patate douce dans un registre épais, velouté et gourmand, le cambar avec davantage de mordant, et son petit caractère plus terrien.
Il est temps de reprendre la route, après des cafés qui réveillent les trépassés.
Nous réglons en partant une note de 78,50€, pour deux entrées, trois plats, deux desserts et deux cafés. Le rapport qualité prix est perfectible.
Quand les caris sont bons, mais sans faire d’étincelles, le choix du riz est encore plus crucial qu’à l’ordinaire. Un riz aux grains bombés, parfumés, qui absorbent les sauces pour de belles sensations en bouche pourrait peut-être sauver un cari moyen. Ici, c’est le contraire. Nous conseillons les gérants de changer de marque d’urgence. Pour le reste, nous avons l’impression d’avoir dégusté des caris préparés à l’économie. Cela ressemble à des plats faits d’avance et réchauffés, qu’on a un peu oublié au feu et qui ont cuit plus que de raison.
Impression mitigée, donc, concernant le Relais des Pitons, qui, s’il fait un peu mieux que la fois précédente, ne parvient toujours pas à nous convaincre vraiment. Et pourtant, il ne manquerait pas grand-chose. Les desserts traditionnels, à eux seuls, ont été à deux doigts de le faire. C’est ce qui nous a permis de ne pas repartir dépités du Relais des Pitons.
A votre tour à présent d’aller y manger, et de vous faire votre propre avis.
La présente critique a été réalisée sur la foi de la dégustation du dimanche 30 août 2020 à midi. Cette critique est subjective par nature et ne prétend pas constituer une vérité absolue et définitive concernant la qualité des plats et du service de ce jour, ni des jours suivants. Nous certifions n’avoir aucun lien avec les responsables de ce restaurant ni aucun intérêt à donner une bonne ou une mauvaise appréciation. Dans tous les cas, les personnes concernées bénéficient d’un droit de réponse.