Le Pti Koin Kreol, une cuisine assez honnête, et des aléas

Aujourd’hui nous prenons la route de Hell-Bourg, par un temps radieux, pour déjeuner au Ptit Koin Kréol, restaurant visité en 2016. La note avait été bonne, avec des remarques. Nous voulons voir si cet établissement mérite de figurer sur la liste des tables à recommander.

Les lieux n’ont guère changé depuis notre passage. L’antique et typique case créole est accueillante, même si, ici et là, le plancher vermoulu est affligé de tangage, ce qui donne du cachet à l’endroit, et des sueurs aux personnes à l’IMC au-dessus de la moyenne. De jolis tableaux, à la vente, ornent les murs. Un passage devenu urgent aux commodités nous révèle des toilettes endommagées. Il est très rare que nous avons des remarques à faire sur ce point, mais laisser un trône dans cet état fait négligé, et aucune excuse ne saurait être acceptée pour le justifier. Remarque faite à l’intéressé, il est possible que lors de votre passage, tout soit rentré dans l’ordre.

Au menu du jour : gratin de chouchou et salade exotique en entrée. Civet zourite, civet de cerf, espadon combava, porc à la vanille, rougail andouillette, rougail saucisse, cari poulet et poulet massalé. Soit huit caris et deux entrées. Il est important de le signaler pour la suite. Après les rafraîchissements, nous attendons une bonne vingtaine de minutes avant que nos gratins arrivent. Ils sont chauds. La texture est parfaite : moelleuse et non liquide, où le chouchou s’exprime pleinement, en dépit des assauts du fromage. Un gratin délicieux qui nous met en appétit pour la suite.

Nouvelle attente, un peu plus longue cette fois. La clientèle débarque en nombre. L’homme au service est seul. Nous observons ce dernier faire des va-et-vient à toute vitesse entre les cuisines et les tables, intérieures et extérieures, avec un air à casser du petit bois. Finalement les caris débarquent.

Disons le tout net, pour le civet zourite, nous sommes bons clients. Celui-ci ne nous décevra pas, même s’il ne va pas nous faire décoller de notre chaise. La cuisson est très équilibrée : de la mâche souple, juste résistante, mais pas du tout caoutchouteuse, qui donne du plaisir. Les petits morceaux du céphalopode lancent des attaques chaudes et poivrées, teintées du vin cuit, tout en restant un peu en retrait sur leurs saveur propre. C’est certainement du surgelé, on s’y attendait, mais qui se défend plutôt bien. Le plat est nettoyé.

Les andouillettes jouent la même partition moderato, sur une texture plutôt molle. La sauce bien rouge, avec des côtés un peu sucrés, trahit l’utilisation au moins partielle de la tomate en boîte. Cela n’est pas plus dérangeant que ça, gustativement parlant si ce n’est que les andouillettes elles-mêmes font profil bas. Trop dessalées ou défaut d’origine ? Nous les attendions plus éveillées, avec des petits bouts croquants de cartilage. Du piment vert aurait bien secoué cette affaire. Le plat est toutefois mangeable. Nous repoussons nos assiettes vides. En face, un couple, assis depuis un moment, semble perdre patience. Heureusement que leur commande arrive.

Nous demandons des bananes flambées au dessert. Elles ne seront pas flambées devant nous. Pas le temps. Les bananes n’ont pas eu le temps non plus d’attacher à la poêle, ni de prendre de la couleur.

Nous repartons après avoir réglé 68 euros pour trois boissons, deux entrées, trois plats et un dessert. Ou 26 euros pour un très bon gratin, un assez bon cari et deux bananes neurasthéniques. Le rapport qualité prix est perfectible.

La cuisine au Ptit Koin Kreol est relativement correcte, bien que les produits utilisés ne soient pas haut de gamme. Les clients exigeants y trouveront à redire, sans doute, mais le point le plus problématique est le temps d’attente. Evidemment, difficile de faire tourner à deux un restaurant fréquenté en plein Hell-Bourg. Le serveur souhaiterait sans doute avoir le don d’ubiquité.
Si les moyens humains, et financiers, manquent, pourquoi ne pas simplement réduire la voilure ? Est-il d’abord nécessaire de proposer huit caris, sachant qu’ils suivent deux entrées et précèdent quatre desserts, quand il est patent qu’en cuisine, on pédale dans la semoule ? Autant proposer simplement trois caris, comme bon nombre de petits restaurants le font déjà, et réalisés avec de bons produits frais.
Il serait ensuite judicieux de réduire le nombre de tables. Les circonstances sanitaires s’y prêtent déjà, la distanciation physique étant de rigueur, même si en l’état actuel la salle est assez spacieuse. A vouloir contenter tout le monde, on finit par indisposer des gens, qui, à la base, montent jusqu’à Hell-Bourg pour passer un bon moment. Un changement stratégique est donc urgent, et il se pourrait que les responsables du Ti Koin Kréol y songent. En attendant, nous vous recommandons l’adresse, mais si vous voulez déjeuner en paix, allez-y en semaine !

Une jolie balade gastronomique Ô Bord’ Mer…

Aujourd’hui nous allons traîner nos guêtres du côté de Terre Sainte pour découvrir un établissement conseillé par une de nos antennes sudistes.
De l’extérieur, Ô Bord’ Mer présente une simple entrée, une façade de bâtiment fatiguée par le temps et les embruns. Dedans, une sorte de patio, ombragé par un jeune badamier, avec vue sur la plage à droite et sur les roches volcaniques à gauche, et en face, l’horizon qui poudroie…

Nous sommes installés sous l’arbre, et le menu du jour nous est présenté.
18 plats de toute sortes sont proposés. De la salade végétarienne à la truite arc-en-ciel entière en passant par le risotto au curry rouge et gambas, le crémeux de camarons flambés au vieux rhum et le sacro-saint rougail saucisses en passe de devenir une sorte de religion chez les zoreils de passage.
Après hésitation, nous optons pour un pavé de saumon rôti crème de poireau, et un cari « Ti-Jaune », plat que nous n’avons encore jamais croisé jusqu’ici.

L’excellent ti-punch éclusé, nous patientons le nez en l’air, puis sur les lieux, où la décoration simple invite à la détente. Le service est joyeux et très prévenant, il est très rare de voir autant de professionnalisme et de dynamisme. Cette jeune femme est une perle.

Les assiettes arrivent. Le dressage est simple et coloré, et l’odeur du poisson nous écarte les narines. Ça renifle le roussi de fond de marmite, les épices fondues et mélangées. Ces exhalaisons sublimes de cari de poisson fignolé nous poursuivront durant tout le repas, relayées par les commandes des clients arrivés après nous.

Nous sautons sur les Ti-Jaunes. Nous restons interdits pendant deux secondes, avant que nos yeux s’écarquillent de surprise. Nous lâchons un « whoa » de satisfaction. Toute emmitouflée dans leur sauce compotée dont l’odeur nous retournait déjà les sinus, la chair des poissons, fondante et délicate, nous présente avec courtoisie son petit caractère fumé et profond, empreint de corail et d’iode, avec une touche sauvage et suave à la fois. La sauce, éclairée d’une l’acidité d’agrume, et soutenue par des tranches de citron cuites avec la peau, fait danser les Ti-Jaunes tout en leur apprenant les bonnes manières. Le résultat est tout simplement divin. Avec le très bon riz coloré de sauce, nous nous extasions sur les sensations mitraillées par ce cari, auxquelles un rougail aux accent puissants de piment et d’agrumes (y a-t-il seulement du citron là-dedans ?) ajoute une touche supplémentaire de soleil gustatif. Les lentilles proposées en accompagnement, au demeurant très bonnes, sont à peu près inutiles.

Le pavé de saumon joue dans la même cour. Presque croustillant dehors, ultra-fondant dedans, la chair orange arrange le palais de son fumet gras et volontaire. Les petits légumes équilibrent la texture gourmande de leur croquant frais. Les frites de patate douce et la crème de poireau complètent le tableau avec leur douceur très terrienne, apportant au poisson une couleur terre-mer intéressante. Le saumon glisse tout seul, et si bien que cela en est presque frustrant.

Les assiettes sont enlevées. Voici les desserts : Le Jade (entremet citron vert, fruits rouge), Le Crunchy (chocolat et cacahuètes), la tarte passion et romarin, le Topaz (chocolat, fruit « exotic », marmelade de mangue) et une tarte au citron meringuée. Plus des glaces artisanales.

La tarte passion et le Crunchy nous rejoignent quelques minutes plus tard.
Le mariage passion – romarin est indiscutablement réussi. L’herbe aromatique porte les humeurs acidulées du fruit de la passion dans une crème délicate, à laquelle une pate aux retours de beurre apporte un croustillant magnifique.
Le Crunchy aurait pu suivre cet exemple. Trop de mou chocolaté à notre goût, mais le chocolat lui-même est une petite merveille. Les amateurs lui feront grand honneur.

Voici qui termine cet excellent moment gastronomique passé sous le jeune badamier d’Ô Bord’ Mer. Nous sommes délestés de 82 euros. C’est un petit peu cher à première vue, mais le rapport qualité-prix est bon. C’est ce qui compte.

Depuis quelques mois, cette adresse du bord de mer de Terre Sainte semble attirer les gourmets et gourmands de l’île. Il y a de quoi. Un cadre confortable et dépaysant, un service excellent, et une cuisine inspirée, précise, et respectueuse des produits, en sont les explications.
Des produits de notre terroir mis à l’honneur par un chef qui va puiser dans la tradition culinaire locale pour offrir à la clientèle des plats qui ouvrent de nouvelles portes aux sensations gustatives.
Et tout ça presque sans avoir l’air d’y toucher, sans les raffinements ampoulés d’une gastronomie au dressage à la pince à épiler, mais avec une générosité et une passion qui se retrouvent dans l’assiette. Un chef qui est bien parti pour se faire un nom. Retenez-le. Il s’appelle Leveneur,  Emmanuel Leveneur.