A la bonne cuisine du Boucanier

Après le Warren Hasting voici quinze jours, nous restons dans l’univers de la marine. Le Boucanier, l’un des noms donné aux pirates écumeurs des mers, se présente de l’extérieur comme une brasserie classique avec ses tables en terrasse, plus quelques autres à l’intérieur. Lequel intérieur, décoré sur le thème de la marine du sol au plafond, de manière un peu surchargée, avec son bar en forme de navire, est un plaisir des yeux en même temps qu’une invitation à la Charles Aznavour de nous emmener au bout de la Terre.
Nous sommes accueillis poliment sur le pas de la porte et choisissons notre table. Au menu du jour : rougail saucisses, rougail morue, shop-suey poulet, ti-Jacques Boucané, steak de thon. Aucune entrée n’est proposée. Le ti-Jacques et la morue rejoignent notre table quelques minutes plus tard, après une mousse bien fraîche pour faire descendre la température. L’eau sera absente tout le long du repas. Nous avons l’habitude.

Le ti-Jacques semble servi en quantité équilibrée entre le fruit vert et la viande. Cette dernière est également bien proportionnée en terme de gras et de maigre et fournit aux sinus un fumet réglementaire assez appétissant. Cela se confirme sous la dent avec des bouchées harmonieuses, ni trop grasses, ni trop sèches, où le ti-Jacques tantôt mou tantôt légèrement croquant joue les timoniers dans les creux et sur les crêtes sans perdre le cap. Le fruit, en dépit des assauts gustatifs d’un boucané en joie, conserve sa saveur intrinsèque, encore que nous l’eussions mieux sentie avec des proportions plus généreuses, assorties d’un « croûtage » appuyé assoupli à l’huile.

On pourrait en dire autant de la morue. Elle aussi aurait pu davantage tâter du fond de marmite, avec un émiettement plus soigné. Nonobstant ces atours brut de grue de port maquillée à la truelle, la salaison conserve son caractère, et drape sa dignité dans un assaisonnement de rougail onctueux, sans bavure, et sans baver, sur une mâche tendre qui laisse en fin de parcours des accents doux et acidulés à la fois. Quelques petits oignons verts par dessus auraient été seyants, la touche de persil fait aussi bien le travail. Voilà du bon rougail bien goûtu, qui ne vous fournira aucun alibi en rentrant : « comment ça, « une petite salade ? » Tes dents du fond sentent la morue ! ».

Le riz est en grains longs détachés. Pour les bouchées longues et gourmandes, on peut repasser. Mais il est bien cuit. Les haricots sont très bons, leur sauce épaisse joue les chiens de berger avec le riz. Deux accompagnements pimentés complètent le tableau. C’est assez rare par ailleurs. Le rougail tomate est servi en quantité homéopathique, qui ne permet pas de l’apprécier à sa juste valeur. Le piment vert-oignons étale sans ménagement un confit divin, qui vous rince les amygdales. Qu’il est bon de souffrir parfois.

C’est la bouche ouverte que nous accueillons la boule de glace vanille du dessert, comme un tangue du Maïdo voyant les pompiers. Nous réglons la note : 33 euros, pour une boisson, deux caris et un dessert. Le rapport qualité-prix est correct.

Par le passe plat nous apercevons le chef, Marcel, qui porte la moustache, avec un faux air de Gabin dans « Le Tatoué », ne donnant pas envie d’aller lui dire de chambrer le Beaujolais, ni de lui chatouiller les ouïes. Fort heureusement on n’en aura pas besoin : le Boucanier n’a pas piraté la cuisine réunionnaise, mille sabords ! Nous avons déjeuner aujourd’hui de plats très bien exécutés, simples, et bons, comme nous aimerions en trouver davantage. Si l’on en croit la gentille dame qui nous a servi, l’établissement va bientôt tourner une page importante de son histoire, « pour le meilleur ». Allez donc manger au Boucanier, et vous imprégner de cette ambiance et de son décor uniques, en appréciant la cuisine de Marcel Ferrère. Nous, nous levons l’ancre pour une autre découverte, ou redécouverte, dimanche prochain, si plaît à Dieu.

Le Warren Hasting doit éviter les écueils

Pour cette première visite de l’année, nous reprenons la route du Sud Sauvage, où nous trouvons un beau soleil et un vent modéré qui tempère quelque peu la chaleur.
Longeant les falaises noires battues par l’océan et les pimpins, les tronçons de route droite du Baril nous amènent au Warren Hasting, non point le navire bien sûr, et encore moins l’administrateur colonial sujet de sa majesté le roi Georges, paix sur ses os, mais au restaurant éponyme du bateau anglais échoué voilà 124 ans presque jour pour jour.

Le bâtiment de petite taille est propre. Une trentaine de couverts à l’intérieur, quelques tables dehors, accueillent les clients. L’accueil humain, lui, est poli, un poil distant, avec le sourire en cale sèche (même masqué, un sourire se voit). Cela se détend par la suite. Nous nous posons à l’intérieur. Il y fait très chaud. Un brasseur d’air n’aurait pas été du luxe, en sus de la brise de mer. Au menu du jour : rougail saucisse, Salmi poulet (recette mauricienne), saucisses palmistes, carri coq, et de l’espadon frais à la plancha. Nous testons le coq et les saucisses, qu’il est assez peu courant de voir associées au palmiste. Aucune entrée n’est proposée. Les assiettes arrivent assez rapidement, avec un dressage basique comprenant quelques crudités, qui prennent de la place et qui auraient été plus appréciées à part. On nous propose de l’eau. O miracle !

Les saucisses sont discrètes à l’odeur, un petit peu moins au goût, ce qui semble quelque peu étrange pour des saucisses fumées. En mettant le nez dessus, l’on perçoit ses atours, qui laissent en bouche une petite acidité. La peau fine craque sous la dent avant de lâcher une chair très moulue dont nous n’avons pas l’heur d’apprécier à cette heure. La sauce est minime. Les morceaux de palmiste l’ont bue, mais sans y perdre leur saveur diffusée par un beau moelleux. C’est bien, mais cela en devient frustrant, car les-dit morceaux sont coupés trop petits pour fournir des sensations généreuses en bouche.

De son côté le coq chante à l’heure. Lui aussi est découpé pour le rendement, et c’est une belle partie de suçage qui s’en suit, avec les doigts, d’autant qu’à la proposition de la serveuse nous acceptons une patte !
Le mâle galliforme dégage une odeur forte issue de ses sucs, sans doute, du poivre visuellement présent, peut-être, et d’un assaut de curcuma puissant, celui qui fait les doigts jaunes. En bouche, le coq ressemble à Cambronne jurant à Waterloo sous les assauts des rosbifs, tiens, encore eux. Il a beau hurler, le curcuma n’en a cure. Les os sont sucés, les morceaux de blanc mâchouillés, et le riz teinté avalé, mais ce coq-ci, qui n’a certes pas pataugé dans la cour d’un moun des hauts certifié à l’Amexa, ne nous laissera pas de souvenir impérissable.

Heureusement que le riz est correct, et les lentilles aussi, dans leur sauce épaisse, avec leurs humeurs rocailleuses. Le rougail tomate fait en revanche un peu pitié. Pimenté trop sagement pour un Réunionnais au palais galvanisé, il laisse poindre les relents fatigués des tomates d’âge avancé conservées au frigo quand il faudrait abréger leur souffrance.

Nous finissons par les bananes flambées proposées avec glace chocolat ou mangue. Nous laissons les glaces, mais commandons les bananes. Celles-ci sont amenées bien chaudes, et baignant dans le jus succulent de leur transpiration alcoolisée. Petit couac de percolateur : le café est clair comme le jus de chaussette d’un bidasse, anglais ou non. Il repart donc et se fait remplacer par un noir de chez noir, qui ressusciterait sir Hastings himself ! Nous quittons le restaurant en réglant une note de 55 euros, pour deux boissons, deux plats, un dessert et un café. Le rapport qualité-prix est perfectible.

Nous l’avons souvent entendu, ici et là, et lu dans les commentaires sur les réseaux sociaux : « Pourquoi aller payer pour manger dans un restaurant ? Chez « monmon » (ou la case) lé meilleur. » Notre repas au Warren Hasting ne pourrait hélas pas donner d’argument pour contrer ce genre de réflexion oiseuse. Fort heureusement, des restaurants proposent autre chose que de la pitance convenue, bonne, mais sans intérêt notable.
Le Warren Hasting semble toutefois vouloir sortir des grands classiques. Un plat mauricien, que nous n’avons jamais vu auparavant dans un restaurant, des saucisses avec du palmiste, sont des initiatives intéressantes, mais côté goût, tout cela reste approximatif, aujourd’hui en tout cas. Une nouvelle visite sera sans doute nécessaire pour valider la présence de ce restaurant sur une pleine page du guide 2022. Concernant l’accueil, un peu plus de sourire et d’enthousiasme serait bienvenu. Le service, lui, est efficace et professionnel. Bon dimanche !