« Lé Gadiamb » ? Pas encore assez…

Le restaurant Lé Gadiamb a été testé en 2011 puis 2016. La dernière visite fut soldée par une fourchette en inox. Cinq ans ont passé depuis et nous décidons de retourner nous asseoir à une de ses tables, et profiter de sa jolie terrasse verdoyante. Les lieux ont peu changé : toujours cette petite maison créole typique, et ses objets lontan en décor.

Au menu aujourd’hui : sauté de sounouk, canard à la vanille, saucisses pétée et riz chauffé et rougail boudin pour les plats les plus traditionnels et moins courants, et les grands classiques. L’accueil est souriant. Le service l’est tout autant, la jeune femme qui s’en occupe est dynamique, et le mot est faible.

Samoussas et bonbons piments pas mauvais

Nous prenons quelques fritures en entrée, proposées par vannes pour une, deux ou trois personnes. Samoussas, bonbon piments et bouchons frits se mangent sans façon, avec des jus de tamarin et de mangue (venant des bouteilles en verre disponibles dans le commerce). On aurait pu nous suggérer un jus de tangor frais, par exemple, c’est la saison. Nous n’aurons pas d’eau non plus, seulement en la réclamant un peu plus tard. Restaurateurs, rappelez à votre personnel que les clients ne sont pas des dromadaires, ils peuvent avoir soif à un moment donné.

Les vannes vidés, viennent les plats. Nous sommes d’abord interpellés par les quantités de cari. Comme dit le créole : « na poin pou tuer ». Les tarifs ne sont pas particulièrement bas, si en plus les portions sont rachitiques… mais rassurez vous, elles satisferont parfaitement les appétits raisonnables. Les bons mangeurs, en revanche, râleront un peu. Nous réviserons cette impression à chaud à la fin du repas, vous verrez pourquoi.

Si vous aimez le sucré-salé…

Nous commençons avec le cari la patte cochon « façon gadiamb ». La couleur est belle, assez cuivrée, et pas besoin d’être un expert pour voir que la viande est bien cuite, elle part en morceaux. En bouche, la façon Gadiamb s’affiche tout de suite, avec une humeur sucrée salée et une touche un peu sarcive. C’est cuisiné avec de l’anisette, comme nous l’a dit le météore qui passe entre les tables pour le service.

C’est très particulier. Les inconditionnels de la patte cochon classique hurleront au blasphème, à l’assassin, à la mise en danger de l’avis des truies.Nous n’irons pas jusqu’à ces extrémités, mais ressentons tout de même une certaine frustration. La patte a été sucrée, notre contentement aussi.

En revanche les amateurs de chinoiseries et de sarcives prendrons du plaisir à mordre dans cette patte fondante.

Nous passons sans regret au civet zourite. Petite parenthèse. Plusieurs personnes nous ont signifié par le passé leur désappointement concernant ce plat, dont le vin cuit viendrait gâcher le goût du zourite, lequel serait davantage mis en valeur en cari. Il y a sans doute du vrai là-dedans, d’autant que c’est dans ce même restaurant, en 2011 cette fois, que nous avons eu le plaisir de goûter à un civet zourite au vin blanc, largement plus raffiné. Mais ma bonne dame, où diable trouve-t-on du zourite frais à La Réunion, comme on en trouvait autrefois suspendus et dégoulinants en bord de route du côté de la Saline-les-bains ? Cette bestiole là envoyait du lourd, question goût, avec des charges iodées extraordinaires. Les morceaux de caoutchouc sous blister importés d’on ne sait où sont bien incapables de rivaliser, même avec une DLC. Le nôtre, de civet (au vin rouge), n’est en tout cas pas avare en sel, à défaut d’iode. L’octopus est correctement cuit, la sauce épaisse, rouge cramoisi, donne dans le poivré et la tomate mûre confite, comme il se doit, et pour être honnête, la chair a quand même du goût. Le chef devrait en revanche cesser d’être amoureux, ce n’est pas bon pour le coeur. On n’ose imaginer ce que donnerait le sounouk.

Le coq massalé est plus réussi. Un « coq pei » à la chair sèche sur certains morceaux, mais plus tendre sur d’autres, comme la cuisse, avec une teinte tirant sur le mauve signe d’une viande de meilleure qualité que la sauce imbibe correctement. Le parfum du massalé est correct, mais nous n’avons pas vu de feuilles de caloupilé traîner dans la barquette. Les bouchées sont satisfaisantes. Nous les avons relevées avec un morceau de piment cabri rouge, pour donner au massalé davantage de vigueur.

Chou trop salé.

Les accompagnements sont satisfaisants. Le riz offre une bonne mâche, sans grains fous qui jouent au flipper avec les gencives, les lentilles sont très bonnes aussi, avec leur parfum de terre rocailleuse après la pluie. Le sauté de chou a le mérite d’exister, mais n’envie rien au zourite question salage.

Le concombre est bon, bien croquant, mais le rougail dakatine ne ressemble à rien : saveur en berne, force nulle, texture de mastic de bricolage. 

Nous terminons avec un fondant au chocolat (apprécié) et une crème brûlée revisitée à la patate douce. Il y a de l’idée. Mettre une crème brûlée par dessus une purée de patate douce pourrait fonctionner si l’affaire n’était pas froide. Une purée plus légère et veloutée à température ne serait-ce qu’ambiante se mélangerait mieux avec une crème tiède.

Nous repartons après le règlement d’une note de 69 euros pour deux boissons, une entrée, trois caris dont un à emporter et deux desserts. Sans café. Soit plus de 30 euros par personne en ne comptant pas la barquette. C’est un peu cher pour ce que c’est. Finalement, les quantités sont bonnes, avec cette qualité là :  on n’a pas trop envie de se resservir.

Il serait malhonnête de dire qu’on mange mal au restaurant Lé Gadiamb, mais ce nom est-il encore approprié ? Voilà un restaurant niché dans une jolie case créole, avec une ambiance authentique qui met à l’aise, et un service avenant, efficace et professionnel, mais dont la cuisine est somme toute moyenne. Trop. L’authenticité et la tradition ne doit pas figurer seulement dans le décor et dans le nom des plats, elle doit aussi se ressentir en bouche, c’est un minimum. Et cela commence par la maîtrise du sel. Que manque-t-il donc pour que ce soit vraiment « gadiamb » ? Un peu plus de goût, et aussi de finesse, un travail des épices et du roussi plus abouti, et, sans doute, davantage de temps à consacrer aux marmites. En l’état actuel, une inscription sur la liste des meilleurs établissements créoles est délicate. Une nouvelle visite sera nécessaire.

La Table d’Emma, créole et éclectique

L’arrière de la case créole peinte de toutes les couleurs a été aménagé en terrasse couverte, avec assez de distance entre les tables pour se protéger des miasmes des voisins. Au fond, on devine une cuisine ouverte, où deux personnes s’activent. Il n’est pas tout à fait midi, il n’y a pas foule, mais les clients vont arriver au fur et à mesure.

Aujourd’hui, au menu : agneau rôti au fumoir, sauce romarin et olives, pintade rôtie aux raisins, rougail morue, blanquette de veau et salade de saumon. L’accueil est poli. Nous choisissons la table du fond, pour la vue d’ensemble. On oublie de nous proposer de l’eau. Le souvenir d’une « à peu près » blanquette datant de quelques mois, gustativement éteinte avec une texture de carton, nous dissuade de renouveler l’expérience. Nous optons plutôt pour l’agneau et la morue, en version barquette pour cette dernière. Trois toasts aux rillettes de poisson, ou de crustacés, nous sont proposées en guise de mise en bouche. Ils sont croquant et plutôt bons.

Nous n’attendons pas très longtemps l’agneau. Voilà une viande que l’on a peu l’occasion de trouver dans les restaurants de cuisine réunionnaise, ce que la Table d’Emma n’est pas totalement. L’agneau est en effet peu ou pas représenté dans notre culture culinaire. C’est sans doute dommage. 

Cet agneau n’est donc pas un cari, mais un lointain cousin issu de la cuisine méditerranéenne et nous lui sommes gré de nous offrir cet exotisme, ce d’autant plus qu’il est bon. La viande, légèrement résistante sous la dent, affiche une cuisson presque à point, juste assez pour rester juteuse. Elle est même croquante par endroit. Si cela peu effrayer les carencés des dents, nous nous en satisfaisons parfaitement. La sauce épaisse, un chouïa gélatineuse, magnifie la semoule fine et bien cuite pour de belles sensations en bouche. Elle porte les beaux arômes de romarin et la saveur exquise des olives qui se marient parfaitement à la viande. 

Le rougail morue, plus local, est à ranger dans la catégorie des bons, sans que nous soyons tout à fait sûr que ce soit bien un rougail morue. Nous sommes un peu étonnés d’y voir quelques morceaux de patates s’y promener. Celles-ci épaississent la texture, pas désagréablement d’ailleurs. 

La morue elle même se pare d’atours très gingembre, avec un côté fumé et grillé. Le sel est maîtrisé, le roussi des épices aussi, mais le poisson aurait été plus présentable, et délectable, s’il avait été émietté avec davantage de soin. Les gros morceaux ont sans doute l’intérêt d’offrir de la mâche, mais tout cela n’est pas très harmonieux. Ce détail mis à part, ce rougail morue pommes de terre se défend suffisamment pour être mangé sans grimace.
Les gros pois sont veloutés, et tout empreints d’un fumet prononcé. Le feu de bois revendiqué n’est donc pas du flanc!Le riz grain long n’est pas très absorbant mais il a la politesse d’être bien cuit et se fait tolérer. Le rougail bringelles est correct, et surprenant. Nous y détectons une humeur de gingembre mangue, ce qui est assez inhabituel.

En dessert, nous demandons la tatin de pommes présente avec une panacotta aux fruits rouges, un crumble pommes ananas et framboises, et un croustillant au chocolat, entre autres. La tarte est très gourmande, pas trop sucrée, avec une pâte délicieuse, un appareil réussi où se glisse la glace. Nous nous régalons.

Addition : 32,50 euros pour deux plats dont un à emporter, un apéritif, un dessert et un café. Le rapport qualité prix est assez correct.

Disons le tout net, si nous nous étions arrêtés à notre première impression, lors de notre visite de début d’année, avant les fermetures préfectorales, la Table d’Emma serait passée aux oubliettes. La cuisine, très éclectique, surfe sur une tendance fusion avec la créolité, et celle-ci n’est pas oubliée, certains jours nos bons caris sont même privilégiés, tels que le poulet dakatine, le cari crevettes, le civet canard ou le zandouilles bringelles. Le moins que l’on puisse dire est que la Table d’Emma propose de l’originalité et de la surprise. Pour autant, même si notre repas du jour nous a donné globalement satisfaction, il manque un je-ne-sais-quoi de finesse à tout cela. Il nous reste comme une frustration, un manque. Ce manque d’un « petit quelque chose » qui pourrait donner à cette cuisine un éclat supplémentaire. Une nouvelle visite, un jour où les caris seront majoritaires, sera nécessaire pour valider l’inscription de la Table d’Emma sur la liste des meilleurs restaurants créoles, et peut-être obtenir la plus belle des fourchettes.

L’oiseau de bon augure

Nous voilà partis du côté de Grande Anse, dont le bord de mer est pris d’assaut par les pique-niqueurs dominicaux. Nous descendons à l’Oiseau Blanc, restaurant situé en bord de route, avec vue imprenable sur la côte verte et l’océan. L’endroit fut jadis occupé par un autre établissement, Le Vacoas. Nous le retrouvons rafraîchi, propre et confortable.

L’accueil est masqué et professionnel, nous sommes placés contre le garde-corps en béton. La proximité immédiate et bruyante de la route se fait doucement oublier. Le menu du jour est riche : confit de canard, camaron au combava, sauté de boeuf, poulet au palmiste, civet zourite, canard à la vanille, côte de porc à la créole, andouillette à l’ananas, boucané gros piment, rougail saucisse aux oignons verts, cari de poisson rouge et friture de guêpes. Le choix des
plats est difficile, et c’est bon signe. Les guêpes sont de Mada, et un peu chères quand même, nous leur préférons le cari de poisson rouge. Nous goûterons aussi au poulet palmiste, histoire d’oublier une récente mésaventure. Des tempuras de crevettes feront notre entrée. Les apéritifs sont servis, un cocktail de fruits frais et un virgin malibu, sans alcool donc. Les deux sont délicieux, rafraîchissants, et sucrés juste ce qu’il faut.

Les crevettes arrivent, présentées avec quelques crudités, et une sauce aigre-douce gélatineuse orange toute faite qu’on trouve un peu partout, mais sans une goutte de vinaigrette, ce qui nous fait nous demander si la verdure est là pour la déco ou pour être mangée. Les crevettes, pour leur part, sont excellentes, croustillantes sur le dessus, parfumées dedans. Elles disparaissent complètement en laissant un goût de pas assez. On se calme. Nous n’attendons pas si longtemps avant de voir débarquer le poulet et le poisson.

Le poulet, signalé fermier, a effectivement de la tenue, à l’exception de la cuisse qui se délite un peu. Cuisson trop avancée ? En tout cas, le roussi est parfaitement exécuté. Il fait remonter de belles humeurs fumées rappelant la cuisine au feu de bois qui vous fait saliver rien qu’à sentir. En bouche tout va bien. Même les parties blanches ne sont pas trop sèches et aisément masticables. La sauce, ni trop liquide ni trop épaisse, imbibe le riz comme il faut.
Le palmiste, la base du chou dirait-on, affiche quelques contours filandreux mais suffisamment tendres pour ne pas servir de fils dentaires improvisés. Il a bien bu la sauce, vu la couleur, et celle-ci lui donne une saveur plus franche que s’il était cru, bien entendu.

Le poisson rouge nous avait interpellé par son tarif, 22 euros, ce n’est pas donné, mais ce plat flirte plus fréquemment avec les 30 euros voire davantage. Nous comprenons aussitôt qu’il est présenté.
C’est du petit poiscaille, juste assez gros pour boucher la dent creuse d’un amateur de poisson rouge certifié devant le Créateur et ses pêcheurs, mais sans doute suffisant pour les autres. L’animal n’a certes pas eu le temps d’aller traîner ses ouïes suffisamment dans les coraux et les grandes eaux de l’océan Indien, et sa chair manque de saveur intrinsèque. Fort heureusement pour lui, la préparation est experte. La sauce épaisse, plus marron clair que rouge, semble être constituée non seulement de tomates mais également d’oignon concassé en quantité respectable. La cuisson les a fait fondre jusqu’à rendre leur texture indétectable sous la dent. C’est une préparation qui se voit assez rarement, une technique utilisée autrefois. Notre intuition sera confirmée par la cheffe. La sauce est très bonne et le petit piment vert opportunément proposé se charge de lui claquer les sangs, procurant des montées de plaisir qu’un poisson rouge plus costaud aurait davantage magnifié, selon nous.

Rien à dire sur le riz, qui boit correctement la sauce, et qui est moelleux en bouche. Les pois sont en crème, et respirent également d’un joli fumet avec un poivre et un thym joyeux, sur des sensations veloutées. Nous terminons le repas avec des bananes flambées, chaudes et gourmandes, baignant dans un jus caramélisé addictif que nous évitons
de téter par égard pour notre glycémie.

Sandrine Hoarau, cheffe et gérante de l’Oiseau Blanc, a fait ses classes au Centhor. Elle cuisine comme sa grand-mère le lui a appris, en appliquant aussi les techniques acquises en formation. La jeune femme s’attache à respecter la tradition culinaire locale et à proposer des plats de qualité pour satis faire ses clients. Elle sait aussi sortir des mets plus
« exotiques » ou originaux comme les tempuras de crevettes du jour ou les andouillettes à l’ananas. Le résultat est sans appel aujourd’hui : nous repartons satisfaits, quoique délestés de 86 euros, soit plus de 40 euros par personnes pour deux cocktails, deux entrées, deux plats, un pichet de rouge, un dessert et deux cafés, ce qui paraît peut-être cher au premier abord. D’autres plats sont plus abordables, et des barquettes sont proposées sur certains caris uniquement. N’importe comment, quand on mange bien, on souffre moins de l’addition. L’Oiseau Blanc est une très bonne adresse du coin, avec les Badamiers, situés un peu plus haut, et dotés d’une vue plus superbe encore, moins cher mais fermé le weekend. Après cela, une promenade digestive s’impose sur la plage de Grande Anse. Pour éviter la foule, allez-y les jours de semaine.