Le Kréolita pourrait mieux faire

Aujourd’hui nous faisons la pause déjeuner du côté de Saint-Gilles les Hauts, à l’entrée du patelin, au restaurant le Kréolita, signalé par une de nos antennes comme intéressant. Nous débarquons peu avant midi. Du monde fait la queue pour les barquettes. La déco de la salle est simple et accueillante, le mobilier est basique, mais en bon état et propre. Une serveuse nous reçoit avec le sourire et nous donne le menu du jour. Rougail salé, canard à la vanille, cari poisson, rougail chevaquines et poulet braisé sont afchés. À l’extérieur, pas moins de 15 plats sont proposés, dont des caris peu courants au restaurant, comme la corrée massalé. Voilà qui aiguise l’appétit, mais n’est-ce pas un peu trop ?


Nous demandons le civet de lapin, et le rougail chevaquines en barquette, pour plus tard. Le plat arrive assez vite. Notons d’abord qu’on aimerait voir du lapin plus souvent au restaurant. Pour promouvoir le lapin péi, des chefs devraient donner des idées de recettes pour sortir du sempiternel civet créole. Celui qui nous est présenté est un peu clair de couleur, et plutôt avare en odeur.
Il baigne aussi dans une sauce trop liquide. Si la viande est cuite, trop peut-être, elle ne semble pas avoir assez tâté du fond de marmite bien huileux. Le goût est correct, mais manque d’éclat, ce qui est dommage pour un civet. La présence des
nombreux petits os, normale pour ce plat, nous incite à les nettoyer, et nous prenons d’autant plus la mesure d’une cuisson faite à la flotte. Heureusement le persil apporte sa fraîcheur, compensant le vin éteint.

Le rougail chevaquines pèche un peu de la même manière : c’est trop humide. Heureusement les petits crustacés ont suffisamment de caractère pour se suffire à eux-mêmes, avec leur doux parfum de dessous de bras de randonneur après le Grand Raid. Le rougail est mangeable et devient plus intéressant après un passage à la poêle et l’ajout de deux piments verts écrasés.

Le riz est insignifiant. C’est du riz grain long, sec et acariâtre, avec des grains détachés, et sans saveur. Les lentilles ne sont pas mauvaises. Elles dégagent comme une odeur de cumin plutôt agréable. Grosse bonne surprise avec le rougail zoignons. C’est du vrai, du bon, qui fait activer la fourchette en mettant des claques au lapin !

Addition : 22 euros et des poussières pour deux repas, une bière et un café clair. Le rapport qualité-prix est acceptable.

Le Kréolita est un restaurant de quartier sérieux, à n’en pas douter, mais il peut aussi tomber dans les travers de la facilité et de la cuisine vite faite. Pourquoi autant de plats au menu ? Ne vaudrait il pas mieux s’appliquer à en faire moitié moins comme il faut, qu’une quinzaine dont certains sont bâclés, sous prétexte de ratisser large? Un meilleur choix de riz nous paraît également essentiel. Le potentiel existe en tout cas pour réaliser une très bonne cuisine réunionnaise, celle qui déplace les clients de loin, d’autant que le cadre est sympathique et le service aimable et professionnel.

Coup de bol pour Piton Sainte-Rose

Nous retrouvons deux vieilles connaissances : le chef Jean-Philippe, décoincé de son cabanon des Orangers et heureux de l’être, et le citoyen Maugis, grand mufti de la pomme-en-l’air, actif défenseur du terroir réunionnais et des produits lontan à travers son association Ecologie Environnement, et dont le Bol Renversé est devenu le nouveau quartier général.

Samoussas aux brèdes chouchou

Le nom de l’établissement n’est pas choisi au hasard. Le bol renversé du père JP est en effet devenu une référence réunionnaise, adulé des connaisseurs pour sa qualité, demandé par les estomacs sans fond pour la quantité, recherché par les curieux qui en ont entendu parler comme une légende. Ce mets qui fait partie de notre culture culinaire au même titre que le riz cantonnais et le sauté de mines, est proposé sur une petite carte à part, c’est dire.

Nous débarquons avec une réservation faite le matin même. Il reste de la place mais de justesse. Un groupe de motards, estampillé d’une marque teutonne connue, va arriver.

Aujourd’hui, nous ne goûterons pas aux bols renversés, mais préférons le cari poulet au chou de coco et le cari ti jacques boucané.

En guise d’entrée, on nous propose les fameux samoussas aux brèdes chouchous qui nous ont régalés la fois précédente. Ils sont bien plus remplis que dans nos souvenirs, et toujours succulents. La pâte fine et croustillante, comme savent les faire les “zarabs”, laisse pleinement les brèdes fricassées s’exprimer, portées par un piment déluré.
Le bon punch coco, épais juste ce qu’il faut, arrose tout ça très bien, modérément bien sûr.

Les assiettes dressées ne tardent pas. Que dit le ti jacques ?

Ti jacques

Le Ti-Jacques dit qu’il est servi suffisamment pour ne pas laisser trop de place au boucané. Il dit que ce dernier lui a bien imbibé la chair hachée. Il dit que le boucané se la ramène aussi, avec son goût fumé un peu spécial, et appétissant. Il ajoute qu’en bouche il va offrir une belle moelleusité même si ça n’existe pas dans le dictionnaire, et sans être mouillé comme un mimite sous la pluie.
Et il ne ment pas ! Le bouchées sont non seulement moelleuses mais magnifiquement parfumées, même si, en ce qui nous concerne, on aime bien aussi quand il reste du croquant.

Poulet au chou de coco

Le poulet ne déçoit pas non plus.
Ce n’est déjà pas du poulet “de lo”, il est fier comme un coq, et ne rougit pas de la comparaison, avec une chair assez ferme, aux reflets violets dans la cuisse, qui a bien pris de la saveur de la sauce où remontent des éclats d’épices avec un joli curcuma en arrière plan. C’est du cari d’expert, où le choux de coco est très goûtu, tout autant que son cousin palmiste, voire davantage car il ne négocie pas avec la sauce, lui. Il revendique sa personnalité fraîche et croquante.

Le riz est très bon. Il donne de belles bouchées gourmandes, tout jauni du cari, avec des grains gonflés dans être collants. Nous boudons le rougail tomate, pas pour son goût, mais pour une envie de piment la pâte.
La petite salade à côté est fraîche et équilibre la générosité grasse des sauces avec son croquant. Un achard de légume coloré aurait été bienvenu à la place, mais cela aurait peut-être changé le tarif.

Nous terminons avec des desserts, cabosse de chocolat et chocolat moelleux, plus un café gourmand. Le moelleux est puissant, il enrobe la cavité buccale pour la mitrailler de sensations. La cabosse est une mousse sculptée, plus raffinée, et plus dangereuse aussi : on en veut encore !

Nous réglons l’addition : 96 euros, cafés compris pour trois personnes, soit 32 euros par tête. Le rapport qualité-prix est correct.

Jean-Philippe, le chef

L’équipe de l’ex-5 orangers n’a rien changé à ses habitudes. Toujours bon accueil, ainsi qu’une carte étudiée qui contente tous les goûts. Et toujours hélas une route bien droite où les moteurs et pots d’échappement se font bien entendre en terrasse ! Si les autorités compétentes pouvaient faire installer des ralentisseurs dans le coin, ça calmerait certaines ardeurs et réjouirait quelques tympans. Le principal, la cuisine du chef, ne change pas non plus sauf pour se bonifier. Quand on travaille dans de meilleures conditions, les résultats sont là : les assiettes, généreusement servies, sont dressées avec une belle démonstration de toutes les qualités de notre art culinaire, pour les touristes notamment, assez nombreux dans la zone. Un grand soin est toujours apporté aux desserts, ce qui est quand même assez rare par ailleurs pour être noté.
Que manque-t-il au Bol Renversé ? Un décor intérieur plus accueillant ? L’équipe vient d’entrer dans les murs, laissons lui le temps. François Maugis pourrait y installer une treille de pomme-en-l’air, pourquoi pas ! A part ça, on ne voit pas bien quoi souhaiter de plus qu’une belle longévité et une constance dans la qualité sur le long terme, qui construit la réputation d’un restaurant.
Si vous voulez mettre les pieds sous la table du Bol Renversé, n’attendez pas d’en avoir, du bol, réservez plutôt, nous vous le conseillons fortement.