Chez Guilaine: tout venant culinaire pour clients peu exigeants

Aujourd’hui nous voici à la Plaine-des-Cafres, humer le bon air frais qui ouvre l’appétit. Après « La Kaz », testé l’année dernière, puis le restaurant de l’hôtel Les Géraniums, qui promet (et pourvu que ça dure), un petit établissement jamais noté jusqu’ici reçoit notre visite incognito.

Chez Guilaine se trouve au rond-point sur la route de la Grande Ferme, et du volcan, à quelques centaines de mètres après O’QG. Une petite case sans prétention avec terrasses aménagées reçoit les visiteurs de passage et, ce vendredi, la tendance est assez touristique. La salle paraît propre, malgré des aspects vieillissants. Ça manque de netteté. Les vitres auraient besoin d’un bon coup de torchon. Ce dernier va venir mais pas pour les vitres.

La carte est très complète, divisée en type de viande, poulet, porc, bœuf, poisson et même kangourou. 28 plats au total. Cela paraît beaucoup pour les deux personnes aperçues en cuisine. Ça sent le surgelé à plein nez. D’entrée, la dame qui nous avance la carte nous signale au moins quatre plats manquants.

Qu’importe, le menu du jour nous convient très bien à priori : ce sera un ti-jacques boucané et un cari poulet (« la cour », nous dit-on) à emporter. Nous faisons l’impasse sur les entrées, basiques, trois froides, deux chaudes.

Le ti-jacques est servi avec ses accompagnements. Nous remplissons l’assiette et passons aux choses sérieuses. Le visuel pose déjà question. Pas tant au niveau de la couleur mais le cari transpire clairement. C’est du ti jacques mouillé. Le boucané, quant à lui, affiche sa graisse surabondante comme une carte de visite. C’est de la charcuterie industrielle bas de gamme, dont la viande est réunionnaise comme nous sommes moldaves, fumée on ne sait où ni trop comment, et proposée par quelques « maisons » locales que nous ne citerons pas. Le boucané est archi cuit. Bouilli est le terme exact, lequel convient aussi au ti-jacques sans odeur, sans saveur, sans sentiment. Ce plat est un ratage au niveau de la texture (le ti jacques est flasque, le boucané plus encore) et une misère gustative. Du tout venant de barquettes de boui-boui à mouches. Et ils appellent ça du boucané ti jacques chez Guilaine. Pour notre part, nous pensons à la célèbre tirade de JP Coffe, au mot de Cambronne.

Le cari poulet fait un peu mieux. Mais pas de quoi se taper les flancs de contentement. Le gallinacé est peut-être fermier, mais « la cour » nous en doutons fortement. Ou alors la dame parlait de la cour de Duchemin & Grondann, fournisseur de volaille « péi » toute qualité devant Dieu, Allah, et tout autre divinité non végane. Le machin est pâle comme un anorexique après trois jours sur le « Marion » par mer démontée. Et il sent à peu près pareil, l’iode en moins. Fumet aux abonnés absents, roussi inscrit à « Perdu de vue », épices en jachère cyclonique. Ce cari n’est ni fait ni à faire.

A côté de ça, le riz fait bonne figure. Il est épais et aurait donné de belles mâches si les caris avaient suivi. Le petit rougail frais est très correct. Les grains blancs sont en crème et satisfaisants. La petite salade de chou, simple, croquante et convenablement assaisonnée, vaut dix ti-jacques approximatifs comme celui qu’elle accompagne. Nous repartons sans dessert, même le gateau « Tyson » (sic !), comprenez « Ti-son », Mike n’a rien à voir là-dedans, ne nous fait plus envie. Addition pour deux plats dont un à emporter plus un verre de piquette : 28 euros. C’est cher pour ce que c’est.

Nous repartons en priant pour ne pas entendre la question : « Ça a été, monsieur ? ». Ben non. Ça ne peut pas. Car ceci est une pâle copie, une lueur spectrale de cuisine locale. Vite fait, mal fait, et à l’économie. Et comme de toute façon quantité de gens n’ont plus de palais, et les touristes ignorants n’ont pas forcément de comparaison en mémoire, le chef doit s’en brosser. Alors oui, la situation est compliquée, oui, le covid, oui, le cyclone, et alors quoi ? Faut-il donc rajouter une couche de médiocrité en faisant porter le chapeau du je-m’en-foutisme et/ou de la flemme, aux aléas ? Et les autres font comment ? Tout ceux qui ont été sélectionnés parmi les meilleurs restaurants de l’île, ils ne soufrent pas ? Ils vivent dans un univers parallèle où le covid n’a jamais existé ? Ce genre de cuisine bâclée ne fait pas honneur à notre tradition culinaire. Espérons que ce soit un accident, un mauvais jour. Pas grand-chose à dire sur le service et l’accueil efficaces et polis, à part un côté un peu « brouillon » et des personnes qui se lancent des remarques devant les clients, ce qui ne fait pas très pro. Conclusion : pas de sélection. Fourchette en plastique.

Un « bel » bertel !

Ca bouge un peu à Sainte-Rose, où l’offre de restauration grimpe en qualité, sauf une ou deux exceptions notables. Nous avions naguère découvert la Rivière des Saveurs, avant l’entrée du village quand on vient du Nord, et qui propose une cuisine simple et familiale avec des gâteaux péi extraordinaires. Aujourd’hui nous allons mettre les pieds sous la table du Bertel des Laves, situé à l’autre extrémité de la commune.

Le Bertel des Laves se situe à Bois Blanc, petit quartier de Sainte-Rose, qu’on aurait dit un peu oublié ces dernières années. L’ouverture de l’antenne de ProVanille et celle du restaurant, presque en face, dynamisent un peu le lieu, où les cases semblent emmitouflées dans la verdure luxuriante.
Nous débarquons un « gros » dimanche post-cyclonique. La bâtisse en dur est assez grande et un peu froide aussi. Il manque de la déco pour réchauffer tout ça. Mais la terrasse à l’arrière est plus agréable. Nous nous y installons.

Au menu aujourd’hui, que de bonnes choses : Massalé Cabri, Rôti de porc, Cari coq la cour, canard fumé à la vanille, rougail saucisse et sauté de mines au poulet. Les prix s’étagent entre 12 et 18 euros. En plus, pour ceux qui déjeunent sur place : bol renversé, sautés de poulet, porc ou crevettes au chou de coco, aux légumes ou aux brèdes. Magrets de canard à l’ananas ou aux letchis. Nous demandons le coq, le rôti et le massalé, plus le rougail saucisses pour voir. Pas d’entrées.

Les saucisses du rougail ont la particularité d’être tranchées finement. Cinq ou six millimètres d’épaisseur. Surprenant pour ceux qui sont habitués à des portions plus épaisses, coupées à angle droit ou de travers. L’avantage est que les tranches ont parfaitement bu la sauce. Il en résulte une saveur agréable qui finit sur une finale un peu suave, équilibrée par le poivre de la saucisse. La mâche est certes moins ample qu’avec des tranches plus grosses, mais l’on peu ainsi en prendre deux ou trois à la fois.

Le massalé fait mieux encore. La viande garde un peu de tenue tout en gardant de la moelleusité. La poudre qui s’y colle est du genre assez puissante. Avec les feuilles de caloupilé, on est dans le registre du cabri de caractère, que le piment la pâte… cabri, sublime très bien. Nous avons mangé des massalés bien plus goûteux et complexes, mais largement plus qui étaient inintéressants. Celui-ci se situe dans une très bonne moyenne.

Le coq « la cour » n’a aucun mal à chanter dans notre assiette. Voilà de la belle viande ferme, toute imprégnée d’une sauce de cari peu étendue mais excellente, celle qui vous fait écarter les trous de nez quand vous arpentez la campagne au détour de la petite case d’une grand-mère surveillant sa marmite sur le feu de bois. Le léger fumet se déploie en bouche. Le chef a été si généreux que nous pouvons partager sans crainte de manquer. A la fin, un petit bout de peau luisant nous met à l’épreuve. C’est insoutenable. Hop ! Le moyen le plus efficace de se débarrasser d’une tentation est d’y céder.

Nous terminons par le cochon. C’est encore trop rare de déguster des rôtis dans les restaurants. Celui-ci est divin. Une jolie chair qui fond presque sous la dent, la peau qui colle juste ce qu’il fait avant de céder. Cette belle pellicule où subsiste quelques épices avec ces effluves roussies magnifiques, poussées jusqu’à la limite qui attache au fond de la marmite. Nous aurions bien vu ce rôti accompagné de quelques petites patates, et d’un rougail tomate arbuste bien pimenté.

A la place nous avons un rougail tomate classique, bon, mais trop salé. Un accident. Le riz est parfait. Il boit les sauces et fait de belles bouchées. Les grains blancs sont très corrects aussi.

Le dessert, un petit gâteau péi, est passablement compact. La boule de glace arrange l’affaire.
Le moelleux au chocolat est du même acabit. Un petit effort serait à faire pour améliorer tout ça.

Addition une soixantaine d’euros pour trois boissons, trois repas, deux desserts et deux café. Le rapport qualité prix est très bon.

Yannick Vienne touche sa bille. Le chef du Bertel des Laves a lancé son affaire peu avant l’arrivée du Covid et malgré cela, et des débuts hésitants (nous avions pris des barquettes), il a su faire de son restaurant une bonne adresse. Sa cuisine est maîtrisée, parfaitement exécutée, reste authentique et savoureuse. Le service est aimable et professionnel. Il ne manque au lieu qu’un peu plus d’attention au niveau du confort et de la décoration pour le rendre plus attractif. Une visite qui nous a assez contentés pour qu’on y revienne ! Bien d’autres adresses ont eu la fourchette d’or pour moins que ça.