La coulée est figée

Direction Piton Sainte-Rose, où nous allons mettre à jour la fourchette en argent de « La Coulée 77 », testée en 2019. Une note « par défaut », nous avions estimé que la fourchette en inox aurait été trop sévère. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Nous arrivons peu avant midi. La configuration des lieux n’a pas changé. Une salle lumineuse toute en longueur à gauche, une terrasse et quelques tables à droite, le comptoir avec des vitrines froide au fond, ainsi qu’un coin artisanal.
Personne dans la salle pour l’heure. Quelques clients en terrasse. Au milieu du repas un couple de sexagénaires viendra nous tenir compagnie. En ce mercredi, ce n’est pas la foule. L’accueil est très aimable et le service à l’avenant.
Une dizaine de caris sont inscrits à l’ardoise. Du rougail saucisses au rôti de poulet en passant par le cari de camarons et le civet de cerf. C’est très varié. Le cari bichique est là aussi, de l’importé, vu le prix. Nous lui préférons le cari de poisson frais, du vivaneau.

En entrée, pas de samoussas aujourd’hui. La serveuse nous suggère donc les bouchons et des beignets de légume maison, facturés à l’unité. Comme d’habitude, bien malin qui peut dire quels sont les légumes utilisés car ces beignets ont un l’éternel goût de… beignets ! De la pâte frite dans l’huile. Pour autant, ils expriment quand même assez de saveur pour être appréciés. Les bouchons pour leur part ne sont pas de compétition non plus, mais se mangent bien aussi. Notons l’effort de dressage même s’il y a encore du travail. Nous réclamons de l’eau, après avoir éclusé le Perrier qui a lui-même tardé à être servi.

Le plat principal arrive assez rapidement. L’assiette est jolie, avec ses crudités sur le côté, marque de fabrique de la Maison. S’il est toujours appréciable d’avoir sous la dent de la fraîcheur légumière croquante, il serait en revanche indiqué de proposer la vinaigrette à part. Tout le monde n’apprécie pas l’assaisonnement de la même façon. Pour certain il peut y en avoir trop, pour d’autres pas assez. Autant laisser le client doser à son goût. En l’espèce, nous aurions apprécié les crudités nature car cette vinaigrette n’est pas terrible.

La serveuse nous demande si nous souhaitons des grains et du piment pour accompagner. Un peu qu’on veut ! Pourquoi ? Cela n’est-il pas censé être automatique dans un repas réunionnais ? Si on commence a laisser au touriste le choix des accompagnements, c’est le début de la fin. Le touriste qui se déplace dans un pays, le fait pour découvrir ce pays dont sa culture culinaire. Si celle-ci ne lui convient pas, il n’a qu’à se tourner vers la restauration « internationale », ou rester chez lui.

Nous attaquons le poisson. Il est goûteux, sur une texture légèrement poisseuse, et un côté sec sur la langue. Trop cuit ? Pas assez salé, c’est sûr, ce qui n’est pas le cas de la sauce. Ce vivaneau « frais » est passé par la case congélation, probablement. Le décalage entre sauce et poisson, qui se disent « merde », nous laisse une frustration. Le plat reste mangeable mais n’est pas transcendant.

Le rôti de coq pris à emporter s’en sortira mieux, même si l’emplumé n’a pas du connaître de nombreux matins. Le roussi est correct. La viande, de belle couleur, est assez bonne, avec un peu de mordant, mais sans que cela laisse de trace indélébile qu’on ne puisse enlever avec le liquide vaisselle du temps.

Les grains sont bien cuits, mais bruts de décoffrage. Pas une feuille de thym n’émerge de la sauce. Le rougail tomate a la bienséance d’avoir un petit goût de tomate. Ne riez pas, ce n’est plus si évident de nos jours. Rien à signaler au sujet du riz très tendre.

Nous prendrons une tarte au citron pour finir sur une note sucrée. Tarte dont la serveuse ne sait nous dire la provenance. Vu sa trombine, de la tarte pas de la serveuse, c’est du bon vieux produit industriel du style de chez Yong. Ce n’est pas mauvais en soi, mais très standard.

Avant de partir nous réglons un note de 43,70 € pour une boisson, une entrée, deux plats dont un à emporter, un dessert et un café. Le rapport qualité-prix est perfectible.

Aucun changement flagrant à la coulée 77 par rapport à notre visite de 2019. La coulée est figée, comme à l’entrée de l’église voisine. Figée dans le moyen, pour faire court. Il ne ressort rien de cette cuisine qui se voudrait intéressante, vu le menu, mais dont on ne garde absolument aucun souvenir. On nous demande souvent ce qui fait la différence entre le moyen/bon et le bon/très bon. On pourrait répondre qu’avant toute analyse fine où intervient une bonne dose de subjectivité, la première des caractéristiques qui intervient est l’odeur ! Les bons plats sont précédés de leur odeur. Quand ça sent peu, ou rien, c’est mal engagé. Le restaurant est pourtant « encadré » par une fourchette d’or, un peu plus loin, et un confrère juste à côté, non encore testé, mais dont on nous dit grand bien. Le réveil c’est pour quand ? A moins que vivoter dans le moyen soit le but ! On peut comprendre. A ce stade, il n’y aura aucune fourchette pour la Coulée 77 dans le prochain guide des restaurants de cuisine réunionnaise, et cela est bien dommage.

Les Letchis, rapport qualité prix perfectible

Comme à notre habitude nous arrivons de bonne heure, le restaurant ouvrant dès 11h30. Rien n’a changé en 5 ans. Toujours le même toit en tôle sur la terrasse qui nous avait choqués lors de notre dernier passage, nous qui avons connu cet établissement avec les tables sous les arbres.

Les intempéries avaient été évoquées comme explication à cet enlaidissement de l’endroit. Les bassins à l’entrée, où nagent les poissons, sont toujours là, mais ils auraient besoin d’un bon nettoyage. Dans le prolongement de la terrasse, un caillebottis fatigué, qui s’affaisse quand mon marche dessus, accueille quelques tables et on nous y installe. Après les épisodes de pluies intenses, le ciel est d’un bleu magnifique. La Rivière des Marsouins chante a quelques mètres, et des pieds de longanis chargés s’y penchent. Tout cela est très bucolique, mais la fumée d’un feu, un peu plus loin, est assez désagréable.  L’accueil est aimable, détendu et très professionnel.

Aujourd’hui, en sus de la carte, on nous propose du poisson rouge. Nous sommes au courant. Mais la photo sur la page Facebook montre des juvéniles, et notre expérience a montré qu’ils sont parfois bien moins goûteux que les adultes, lesquels ont logiquement mangé davantage et nagé plus longtemps dans l’océan. Aller pêcher ce genre de poisson sans attendre qu’ils grandissent, c’est un peu la même histoire qu’aller casser toutes les mangues vertes de leur pied, sans en laisser à mûrir. L’appât du gain immédiat.

Nous ne prenons donc pas le risque, et nous nous rabattons sur l’un des plats qui a fait la réputation du lieu, selon la recette du sieur Lhomond père, à l’époque patron du restaurant, le canard braisé. En préambule nous demandons un mojito sans alcool qui nous rincera avant d’attaquer la salade de palmiste rouge (présenté comme tel en tout cas) choisie en entrée.

Si le palmiste est probablement rouge, son dressage ne laisse pas l’apprécier à sa juste valeur. Nous avons droit, une fois de plus, à cette sempiternelle découpe en fines lamelles qui n’autorise qu’un croquant limité impropre à apprécier la saveur subtilement lactée de ce produit d’exception. Tout ça sous prétexte que c’est joli. Mais on s’en cogne la couenne que ce soit joli, ce qu’on veut c’est que ça ait du goût ! Et là, le goût est forcément limité, et ce ne sont pas les quelques filasses un peu dures, signe d’un dépiautage pas trop soigneux, qui peuvent y remédier. L’assiette est aimablement enlevée, et le canard promptement servi, avec ses accompagnements.

La couleur fait plaisir à l’œil. C’est foncé, c’est luisant sur les bords, ça respire le fumet de fond de vieille marmite, celles qui sont si carbonées qu’il faut les nettoyer au marteau piqueur. Des reflets de poivre, de thym et de girofle, poussés jusqu’au bout du bout d’un roussi dans le gras qui va chatouiller le brûlé sans franchir le point de non retour, nous rappellent ce monument de cari dégusté voici quelques années chez les compères Pat’Jaunes. La première bouchée confirme. Si la viande affiche quelques filandres, elle n’en demeure pas moins moelleuse, presque confite. Les morceaux colorent le riz, puis on ajoute une cuillère de haricots bien en crème, puis un peu de rougail d’orangine, et c’est le paradis en bouche.

Le rougail bringelle est aussi très bon, mais manque de ce côté fumé-cramé du soulier verni qui a tâté du feu directement. Le rougail d’orangine est mieux présenté que la fois dernière. Il est délicieux, mais nous supposons qu’il aura mieux fait son travail en compagnie du poisson rouge que Sarah Patel a eu dans son assiette ce midi là, après que nous ayons quitté les lieux. En revanche, une fois la fumée dispersée, nous avons été incommodés par l’odeur du tapis de letchis pourri à proximité de notre table. Leur état indique qu’ils ne sont pas tombés dans la nuit et qu’ils macèrent ainsi depuis plusieurs jours, sans que personne ne connecte deux neurones pour aller les ramasser. Cette négligence aux conséquences tant olfactives que diptériques est parfaitement inacceptable dans un établissement qui affiche de telles prétentions, avec des tarifs plutôt salés. Les ronds de jambes devant les clients, c’est bien, l’hygiène, c’est bien aussi.

Le café gourmand du dessert est très varié et conclue positivement le repas.

Addition : 64,50€ pour un cocktail, une entrée, un plat, une eau gazeuse et un dessert. Le rapport qualité prix est perfectible.

Cela fait en effet cher pour une seule personne, même si, globalement, le repas fut très bon. Mais pas forcément meilleur qu’à d’autres tables de l’île, moins onéreuses. L’étude d’une formule ne serait pas du luxe. Le luxe, lui, est dans le cadre unique de ce verger en bord de Rivière des Marsouins, qui fait faire une pause au temps lui-même (mais est-ce une raison pour assommer le client ?) Le luxe serait aussi de fournir des salades de palmiste croquantes comme il faut. A part ces détails, et l’entretien des espaces verts qui laisse à désirer, et auquel les interpellés ont promis de remédier, rien de spécial à dire. Les Letchis font bien mieux qu’à notre dernière visite. La possibilité d’attribution d’une fourchette est très envisageable, mais en l’état actuel des choses, l’or est exclu. En espérant que ce sera encore mieux la prochaine fois.

La marmite tient le bon cap !

Nous profitons de notre présence à Cilaos pour continuer notre tour des restaurants de cuisine réunionnaise en vue de la parution du prochain guide jaune. L’année dernière deux d’entre eux ne s’étaient pas montrés sur leur meilleur jour. Deux autres sont testés le week-end dernier. Une découverte prometteuse et une déception.

Nous entamons ce nouveau tour avec La Marmite du Cap, situé à quelques dizaines de mètres en amont de l’hôtel Tsilaosa et du restaurant « Chez Noé », qui recevra aussi une visite d’ici août. La baie vitrée est en partie masquée par un adhésif qui expose la carte aux visiteurs. Le chevalet posé sur le trottoir, affiche pour sa part les plats du jour : boucané ti jacque, rôti de porc pomme de terre, cari canard, sanglier petit pois, civet de pigeon au vin de Cilaos, cari camaron, coquelet entier et cari d’espadon. La salle d’une quarantaine de couverts est encore vide. Bois verni et murs bleus composent la décoration. Tous les goûts sont dans la nature. Nous prenons place. L’accueil est poli et le sourire est composé. Nous prenons place, et examinons la carte, version réduite de celle de la vitrine. Un gratin « du jour » et un civet cabri, un de nos « plats test » préférés, feront l’affaire, sous le mode de la formule entrée plat et dessert à 26 euros. Ce qui paraît raisonnable.

Le gratin de citrouille est servi rapidement. Visuellement, le fromage est plus fondu que gratiné d’ailleurs, avec des reflets huileux, et quand nous en faisons la remarque à la serveuse, sa réponse, elle, est gratinée, avec une pointe d’ironie : « monsieur est cuisinier » ? Non, mais c’est pas notre premier gratin ! Pourquoi ? En dessous du fromage, de la citrouille très polie, accompagnée de morceaux de patate dirait-on. La dose de sel qui vient équilibrer avec justesse les atours doux de la cucurbitacée tout en relevant son goût. C’est très bon. Le gratin pas gratiné est quand même apprécié en dépit de l’absence de pain frais pour l’accompagner, et nettoyer le ramequin. Nous l’avons attendu un temps certain avant de nous résoudre à le réclamer. Quelle ne fut pas notre surprise de voir arriver des tartines passées au four, toute dures. Fait exprès, ou plutôt oubli d’achat du pain ce jour-là ? Il existe pourtant une boulangerie pas loin.

Voici le cabri, en présentation petite marmite, c’est vintage, vu et revu, mais ça reste apprécié. Belle couleur, texture très moelleuse, odeur un peu en retrait, qui manque de fragrance, mais saveur fidèle au poste, ce cabri se situe au-dessus de la moyenne. La viande archi-cuite (probablement réchauffée) s’arrange bien des feuilles de caloupilé et d’une légère acidité en fond de bouche, accentuée avec éclat par un rougail zévis goûteux. Zévis, zé tout fini. Belle idée de marier le massalé et la prune de Cythère, pour voir si le silon s’y terre. Les os sont nombreux mais ils contribuent au goût et au suçage, tout enrobés qu’ils sont dans la sauce épaisse. Prétexte pour attaquer l’affaire à la main, à la traditionnelle.` Les haricots ont bon thym, et bon roussi. Le riz est sans défaut, épais et moelleux sans être collant, il donne avec le massalé de belles bouchées jouissives.

En dessert nous demandons une tarte tatin, non faite maison mais tant pis. Elle est servie chaude et la chantilly coule dessus. Joli point final au repas. Nous repartons en réglant une note de 29€ pour une boisson et une formule. Le rapport qualité-prix est bon.

Nouvellement testée, La Marmite du Cap donne des signes encourageants pour l’obtention d’une jolie fourchette au « guide jaune ». Sans atteindre des sommets, la cuisine créole est de bonne facture, dans tous les sens du terme. L’accueil est correct mais le service est perfectible. Cette fois encore nous avons déjeuné au régime des dromadaires, sans eau proposée. Si la politesse est globalement de mise, ça manque de chaleur. Faudrait peut-être repeindre les murs en jaune pour ça, allez savoir.  D’autre part, le genre de pique gentille « vous êtes cuisinier ?» ne passe pas avec tout le monde. Enfin, « Les clients préfèrent le fromage fondu plutôt que gratiné », sourire en coin, ressemble à un léger « foutant » à peine déguisé. Ce restaurant devra confirmer avant d’entrer dans le guide des meilleurs restaurants de cuisine créole, ce qui remplumerait les pages dédiées aux cirques, hélas bien désertes.