Bouis-Bouis les Bains

Chercher une très bonne table de cuisine réunionnaise entre Saint-Gilles et La Saline les Bains est une gageure. Hélas. Et pourtant, la zone balnéaire est un pôle touristique majeur, en première ligne pour la faire découvrir à nos visiteurs.

C’est sans doute pour ça que le mot  « touristique » est devenu péjoratif quand il est utilisé pour décrire un commerce, un restaurant. On utilise aussi l’expression « piège à touristes ». Car le touriste est, normalement, toujours dans de bonnes dispositions. Il est en vacances. Loin de son quotidien métro boulot dodo. Le touriste de métropole (et d’ailleurs) est déjà heureux de profiter du soleil, de l’océan, de la nature. Et de cette cuisine qu’il ne connaît pas ou mal.  Que c’est donc facile de lui faire avaler du tout-venant, préparé par-dessus la jambe, avec des produits congelés, bas de gamme, puisqu’il va trouver ça bon, jusqu’au jour où il ira manger chez une de nos fourchettes d’or…

Malgré un passage au peigne fin de toutes les adresses proposant de la cuisine péi, difficile d’en trouver qui sorte du lot, dans le secteur des plages. Chez Mité, en centre-ville de Saint-Gilles, à la rigueur. La Case DIC, pas très loin de là, naguère récompensée, fait du yoyo. Le coin marmite du Choka Bleu reste globalement pas mal. Les autres petits établissements des alentours naviguent dans les eaux incertaines du moyen. Allons plus loin, pour voir.

Du côté de Saint-Paul, rien de reluisant, mis à part Chez Monmanzé du côté de Tour des Roches, où nous avons retrouvé une cuisine réunionnaise conforme aux canons. Rien de transcendant non plus du côté des restaurants de la route Digue. Chez Sully, c’est bon, mais pas de quoi krazer un maloya. Et du côté de la grotte, ce qui est remonté à nos oreilles ferait se dresser celles des inspecteurs de la DAAF. A vérifier. Ce sera fait. Sur les hauteurs Saint-Pauloises, il y a peu de très bon et davantage de pas très bon, comme un infâme saucisses bringelles goûté la semaine dernière en version barquette achetée dans un boui boui de la Saline les Hauts, un lieu dont le manque de netteté apparent pourrait être imputé à l’ancienneté des murs. Les saucisses étaient plus sèches que les chaussettes de l’archiduchesse. Et sans aucun goût de surcroît.

Ce sont aussi les saucisses qui ont pêché dans un établissement de l’Ermitage. On ne sait pas d’où elles viennent, mais s’il y a plus de 50% de viande là-dedans, c’est le bout du monde. Tout ça arrangé à la sauce bien rouge, aussi, des tomates en boite ou autre concentré. Les tomates fraîches sont chères en ce moment ? Le rougail s’avale quand même, mais ce n’est pas un creux qu’il faut pour s’envoyer ça, c’est une grosse dalle bien épaisse, de celles où on pose les fusées. 

Le cari poulet est du même acabit. La sauce est plutôt correcte, et il remugle lointainement des accents d’épices là-dedans, du caloupilé peut-être… Là où ça coince, c’est à la mâche de la viande, sur le blanc, qui, lui, va au-delà de la sécheresse… ce machin mâché se transforme en poudre. Au secours. C’est quoi l’histoire ? C’est du poulet de chez Tricatel (Les vieux se rappellent) ? Lyophilisé et reconstitué ? Et ce n’est pas la bouchée de rougail tomate, salé à la truelle, qui va faire passer l’affaire, d’autant plus que le riz, de son côté, sent le dessous d’évier sale, pour rester poli. On ne sert pas ce genre de riz. Mais il faut sans doute tenir le budget de 14,90€ la formule. Alors hop, on achète premier prix. Et là, le bât blesse. Il blesse d’autant plus qu’on constate une certaine technicité, un savoir-faire empirique, qui mériterait de s’épanouir avec des produits plus choisis. Plus chers aussi oui, et alors ? Pour pas cher, avec les salades, les clients ont déjà du choix.  A propos de crudités, on note leur présence dans l’assiette. Volonté d’équilibrer le menu ou coquetterie touristique ? Elles sont fraîches et croquantes, mais la vinaigrette industrielle est infecte.

Tout ça nous amène à rebours sur l’entrée, qu’on peut choisir composée ou à composer. Les samoussas poulet et poissons sont mangeables. Les bonbons piments sont croustillants et excellents. Et les bouchons maison que nous avons commandé ? Passés à l’as par un serveur moins concentré que les tomates susnommées, qui ne nous a pas proposé d’eau non plus. Mais nous avons l’habitude.

Le virgin mojito était bon, mais pas très joli à voir. Ça manque de soin tout ça. Le restaurant propose aussi des grillades, des burgers et des salades. Peut-être que ces plats-là sont meilleurs. Huit salades – frites, trois salades grillades, six salades tout court, et bien entendu le « menu enfant ». Question salades, ils s’y entendent.

« C’est où ? ». Devinez. On ne donne pas le nom de l’établissement. Les personnes concernées se reconnaîtront et pourront si elles l’estiment nécessaire, corriger le tir en montant en gamme sur le choix des produits. Ce serait pas mal pour présenter une cuisine péi plus authentique et plus goûteuse. Ceci étant dit, tant que les ventres vides et les palais formatés à la malbouffe s’en contenteront, pourquoi faire mieux ? I fé honte nout’ nassion zafer kom’a. Honte en effet puisque dans la zone balnéaire, pour le moment, la cuisine péi est généralement en dessous de la métro, fusion ou créolonomique pratiquée dans la plupart des autres établissements, qualitativement parlant, tant sur le service que dans l’assiette. On mange beaucoup mieux du côté du Port par exemple. Mais il reste de l’espoir. Bientôt des « anciens » vont revenir, et espérons-le, relever le niveau général. Qui ? Où ? Affaire à suivre.

L’Entracte, une foi militante dans la tradition culinaire

Aujourd’hui, nous allons vanguer entre Petite Ile et Saint-Jo, pour atterrir à l’Entracte, ex-restaurant Saint-Pierrois, qui a récemment pris ses quartiers dans la belle demeure créole toute blanche posée en face de la fameuse petite chapelle consacrée à Sainte-Marguerite, dite « des trois sans hommes », référence aux sœurs Valentine, Lucille et Adèle Payet.

Un bâtiment inscrit aux Monuments historiques consacré par Mgr de Langavan en 1944. Toute la propriété, maison comprise, est d’ailleurs chargée d’histoire. On y fit même la classe pour les bambins pauvres d’autrefois et longtemps après qu’elle soit morte, Adèle, des gens bons s’en souviennent. L’aubergiste, le sieur Hoareau Patrice, ci-devant militant de la cause culinaire traditionnelle réunionnaise devant l’éternel, a même reçu la visite de l’un de ces enfants éduqués dans l’école aujourd’hui en ruine, mais qu’il compte bien retaper. De Saint-Pierre, ce bricoleur patenté a gardé son mobilier en bois de palettes, qu’il a disposé sur un caillebotis sous chapiteaux, lesquels ne se voient pas de la route, préservant ainsi le cachet unique de la demeure.

Le buffet est à l’arrière. Moult plats sont proposés dans les marmites, dont deux chauffent encore sur la braise dans une cuisine typique qui pique notre curiosité. Passage de porte en baissant la tête, on a changé d’époque, et un regard sur le plafond noir de suie indique que plusieurs générations de cari la kour et de boucané, qui rès pendillé kan i koz ek saucisse, ont fumé et mariné là bien avant Tino Rossi.

Gros pois citrouille, rôti poulet, sauté de chou et chou de Chine, rougail saucisses fumées, agneau au miel, sauté de crevettes, mais aussi riz chau!é, cambar et fruit à pain au sel et poivre sont au menu du jour. Des plats cuisinés autant que faire se peut avec des produits frais et au feu de bois. Même le poulet vient d’un élevage « réservé » des hauts. Nous nous installons. La carte des cocktails avec et sans alcool donne envie. Les rhums sont estampillés Isautier.

La carte des vins compte 18 références toutes couleurs confondues. Dans un coin, quelques matériels sonos rappellent l’ADN de l’établissement, avec un appareil réglementaire pour a »cher les décibels. Patrice Hoareau souhaite de bonnes relations de voisinage. Nous faisons l’impasse sur les trois entrées, dont du palmiste frais, pour taper dans le dur tout de suite : la formule à 25 euros. Cinq grillades sont également à la carte. En deux services, nous faisons le tour de la question.

Entamons le repas avec le riz chauffé. Incontestablement, il s’agit là du meilleur et du plus authentique riz chauffé que nous ayons jamais dégusté dans un restaurant. Un riz cuit à la perfection, dont les grains collent assez pour fournir de la belle mâche sans ressembler à une pâte informe. Le piment vert est présent, mais en version « light » pour les palais délicats. On l’apprécie quand même, heureusement. Le sel, dosé juste pour qu’on le sente sans qu’il devienne autoritaire, soutient cette a!aire, qui nous rappelle le temps lontan. Rien à voir avec ces ersatz de riz chau!é plus proches du riz frit, bourrés d’ingrédients qui n’ont rien à y faire, et pourtant sans saveur, qu’on trouve dans certains établissements citadins qui utilisent la tradition comme du marketing auprès des ignorants de la vraie cuisine péi.

Le poulet rôti, et sa sauce, fleurent bon la bonne viande, sans étalage de gras superfétatoire. Les saucisses sont dans le même esprit. Ici peu de sauce, même si les sauces y sont. Ça ne baigne pas dans l’huile comme on a pu le voir trop souvent par ailleurs. Et la couleur fait plaisir aux mirettes. Si les saucisses sont relativement bonnes dans l’ensemble, et correctement épicées, nous avons quelques réserves quant à leur texture. C’est un peu compact mon capitaine. Le sauté de chou est encore croquant et y ajouter des brèdes chou de Chine lui donne de la couleur. Cela vient équilibrer les plats.

Les crevettes pour leur part n’en ont pas besoin, étant fournies avec des légumes aussi, surtout des carottes en julienne. Très fortes en goût, comme juste sorties de l’eau, les crustacés s’apprécient avec la pâte piment vert. Les sensations sont enlevées et un peu sauvages. Les pois citrouille sont en crème. On sent davantage le pois que la citrouille d’ailleurs.

Le fruit à pain et le cambar sont préparés comme avant, au plus simple, ce qui laisse leur saveur naturelle s’exprimer pour rappeler le vieux temps, qui n’était pas forcément bon pour tout le monde, mais qui fait partie de chaque réunionnais comme les racines font partie de l’arbre. Une version sucrée, « ravage », est également prévue. Avec tout ça, pas question de tester les desserts, on vous laisse faire !

Nous repartons repus, ayant réglé une note de 73€, cocktails compris, pour deux personnes.

Le restaurant a changé d’endroit, mais pas de style de cuisine, et la qualité est toujours présente, pour le peu que nous ayons dégusté ce jour. C’est une cuisine réunionnaise simple, familiale, qui ne s’embarrasse pas de circonlocutions gustatives et va à l’essentiel. La formule bu!et est tout à fait indiquée dans ce lieu où la convivialité est de mise. Pour les repas plus « mondains », les tables dressées à l’intérieur sont idéales, sur un plancher en bois, comme avant, dont les années n’autorisent plus les talons aiguilles, n’en déplaise à madÂme. Un plafond créole viendra coi!er tout ça. L’accueil est correct, le service est professionnel et souriant. Patrice Hoareau prend encore ses marques, même si beaucoup a déjà été fait. En vitesse de croisière, avec une équipe au complet, nul doute qu’il va faire des étincelles. C’est le moins que l’on puisse lui souhaiter. À ce stade, décrocher la fourchette d’or est largement faisable.