La Ferme du Pommeau

[Visite en décembre 2012]

Aujourd’hui nous décidons de prendre le frais à la Plaine-des-Palmistes, en allant déjeuner à laFerme du Pommeau, hôtel restaurant connu et (les diplômes affichés à l’accueil l’attestent) reconnu dans le milieu gastronomique et hôtelier réunionnais. L’établissement se situe presque au bout de l’allée des Pois de senteurs, qui rejoint la nationale au niveau d’un autre restaurant que nous visiterons l’année prochaine : les Platanes. L’endroit, vaste (le domaine fait 13000m2), est pour le moins bucolique, et invite au repos. Vous pouvez y emmener la marmaille taquiner les oies, canards et autre pintades. 

La belle salle, qui peut contenir une centaine de convives, avec sa cheminée, ses bouquets de fleurs et sa décoration « chalet » est très confortable et donne envie de mettre les pieds sous la table. Nous sommes accueillis avec le sourire par la patronne, puis par le personnel qui nous invite à choisir notre table. La carte affiche quelques plats créoles et métropolitains parmi lesquels on trouvera foie de veau persillé, entrecôte grillée, côtes d’agneau et cuisse de canard farcie aux cèpes (pour la cuisine déor) ou rôti de porc  la patate douce, cari de coq et boucané baba figue, pour les plats péi, entre autres. C’est sur ces deux dernières propositions que nous jetons notre dévolu, et nous commencerons avec des toast de chèvre chaud et un flan de cœur de songe sauce à l’oseille. Et à vue de nez, étant donné les tarifs pratiqués, de l’oseille, cela va nous en coûter un peu! Qu’importe, nous espérons en avoir pour notre argent. Vous pouvez composer votre menu suivant diverses formules s’étageant entre 25 et 38 euros, plus le menu enfant à 13 euros.
Après un apéritif composé de punch maison en libre service (dont un excellent baptisé « moun des hauts », bien charpenté), nous voyons arriver les entrées et les attaquons derechef. Les toasts chauds et croquants exhalent leur bonne odeur de fromage de chèvre fondu, sous lequel ils disparaissent, et nos sinus sont vite embaumés. Le fromage est goûteux mais pas très agressif, ce qui est plutôt bien. Cette première entrée s’évanouit, et laisse la place au flan. Celui-ci est particulièrement onctueux et souple, le songe s’y exprime avec délicatesse et nous vous conseillons fortement de le déguster avant le gratiné qui le couvre, ce dernier étant bien trop puissant. Un plat qui devrait se marier très bien avec un petit blanc de Cilaos capiteux (le vin hein… pas le yab !). Ce flan de songe est un rêve !
Nous patientons un peu avant que les plats de résistance soient servis. Et leur venue, à l’assiette, nous suscite un sourire de satisfaction. En effet, au humage, tout est conforme à ce que l’on est en droit d’attendre d’un boucané et d’un coq créoles : épicés, caractériels, un peu sauvages. A la vue, les couleurs sont belles et appétissantes. Nous sonnons la charge.
Pour faire court, le coq est bon, ferme à la fourchette, le poivre le portant comme il lui sied, nous regrettons simplement d’avoir hérité de parties blanches de la viande moins goûteuses, mais dont la qualité intrinsèque et la cuisson dénotent tout de même une expertise certaine de la part du chef : ce n’est pas sec. Le boucané baba figue se défend aussi. Le baba est cuit mais encore croquant, on dirait de la cuisson à la gueule de dragon comme dans les restaurants chinois. Il a en plus laissé son amertume au vestiaire et parfume magnifiquement un boucané équilibré en gras et dont le fumet est respectable. Bon. Ceci étant dit, nous poussons ici un grand coup de gueule contre le défaut commun aux deux plats : trop salés ! Beaucoup trop salés !

Au fil de nos pérégrinations dominicales nous constatons encore trop souvent une propension affirmée des cuistots à nous charger les plats en sel ! Qu’est-ce donc que cette manie de la main lourde sur la salière saperlipopette ? Toutes les vraies saveurs des plats sont écrasées, voire atomisées quand il s’agit d’arômes subtils et fins, qui donnent toute sa dimension et tout son intérêt à une préparation culinaire ! Rappelons aussi que les excès en sel sont mauvais pour la santé, favorisant les maladies cardiovasculaires, même si on laisse l’hypocondrie à l’entrée avec le parapluie ! Bref, le trop de sel a un peu gâché le repas, même en mangeant les caris avec beaucoup de riz. Nous mettrons pour finir un bon point pour le rougail dakatine, un peu seul, hélas, plus un avis mitigé concernant les grains, bons, mais pas assez en crème. Nous terminons avec des cafés, les desserts ne nous inspirant pas plus que cela. L’addition se monte à 75 euros et des poussières, pour trois personnes, hors boissons et sans dessert. Autant dire un peu cher.

La Ferme du Pommeau est une bonne table, dire le contraire serait mentir, mais, à l’image de l’ambiance, nous trouvons la qualité globale un peu endormie. L’affaire semble ronronner tout doucement et nous n’avons pas été vraiment enchantés, positivement s’entend. La seule (mauvaise) surprise est venue des plats trop salés. Nous osons espérer qu’il s’agit d’un malencontreux concours de circonstances ! Seules les entrées, au dessus du lot, tirent vraiment leur épingle du jeu et c’est heureux car cela nous permet d’augurer d’un potentiel créatif culinaire certain. Dans un endroit pareil, nous aurions également aimé trouver plus de rougails à table, et des brèdes aussi.  Nous décernons à la Ferme du Pommeau une fourchette en argent malgré tout méritée, tout en étant persuadé­­ que cela pourrait (et devrait) être mieux, beaucoup mieux.

Pour résumer :
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : bien
• 
Service : bien
Qualité des plats : assez bons
Notre impression globale : Bonne table
Fourchette en argent

Le Poisson Rouge

[Visite de décembre 2012]

Samedi du côté de l’Est, sous un soleil de plomb. Nous roulons au hasard des restaurants et deux nous refusent pour cause de dîner dansant. Nous finissons par atterrir au Poisson Rouge, à Sainte-Rose, une institution s’il en est, connue de plusieurs générations de gastronomes du dimanche.

L’endroit est au frais, sous l’épaisse verdure de son jardin. Sur la route, les plats à emporter défilent. En contrebas, une demi-douzaine de tables attendent les clients sous les arbres. Nous préférons nous installer à l’intérieur de la grande salle équipée pour les soirées dansantes, elle aussi, toute ventilée de ses nombreux nacos. Les lieux accusent le poids des ans, mais demeurent propres et bien tenus.

Nous sommes accueillis à la bonne franquette par un sympathique monsieur qui nous place sur une table et nous dépose la carte. Celle-ci propose divers plats chinois traditionnels plus des grillades de viande et de poisson. Nous penchons davantage pour les deux plats créoles au menu du jour : un cari de poisson et un rougail boucané. Nous décidons pour commencer de tester les nems, par portion de quatre, et la salade exotique. Un punch maison plus tard, les entrées arrivent et la salade siffle le début du match. Notre hôte débarque alors avec de la vinaigrette « pour le cas où ce ne serait pas assez assaisonné ». A la vue du palmiste hâché menu de la composition, on a envie de lui crier « halte-là malheureux ! ». Et bien sûr le palmiste a déjà un goût de citron, et par-dessus le marché il est coupé vraiment trop fin pour pouvoir nous faire apprécier un quelconque arôme. Seul demeure son croquant, qui accompagne la salade verte et l’ananas. Ce dernier est mûr juste ce qu’il faut, avec un bon équilibre acide-sucré. Tout l’ensemble est très frais et agréable par ces chaleurs. Les nems pour leur part sont très réussies. Molles dedans, craquantes dehors, nous les badigeonnons du piment chinois servi avec et leur saveur nous envahit les sinus, en nous arrachant une larme.

La première mi-temps se poursuit avec le boucané, qui mettra, avec son remplaçant poisson, un peu de temps à arriver. Foin de circonlocutions désagréables, disons-le franchement, le boucané n’est pas bon. Comment le qualifier autrement quand celui-ci, un peu trop gras, mou du genou, baigne dans une sauce où l’oignon exerce une dictature sans faiblesse, et où le sel est un peu trop présent ? De la viande standard en plus, pas vilaine au nez, mais trop banale au palais.

Deuxième mi-temps. Le boucané part sur le banc de touche, remplacé par le poisson, qui nous fera un match plus offensif. « Nous sommes en panne de poisson rouge et de gueule rouge » nous dit l’aubergiste en substance qui nous emmène à la place un mérou un peu pâlot. Mais s’il manque de couleur, l’animal s’avère bien préparé et très goûtu. La sauce est bien dosée en sel et en piment, et l’on y perçoit de loin la saveur tonique du gingembre qui se cache derrière celle, plus franche, de l’ail chinois. La chair n’est pas aussi fine que celle du roi des poissons locaux, loin s’en faut, et légèrement trop cuite, vu son comportement sous la fourchette, mais ce n’est pas dramatique. Le tout tient la route et nous contente amplement, d’autant que les rougails tomate et citron étaient très corrects et que les haricots, bien parfumés en thym, ont assuré.

C’est le dessert qui marquera le but aux arrêts de jeu. Du gâteau ti son, joliment présenté avec du chocolat, de la chantilly et une pointe de confiture de papaye maison, qui en a dans le maillot ! D’ordinaire sec et étouffe-chrétien, le gâteau ti son est ici moelleux et tendre à souhait, avec un bon goût de beurre qui fait merveille marié au chocolat. L’homme nous donne le secret de ce moelleux, mais nous ne le dévoilerons pas ici, vous le lui demanderez vous-même, en réclamant les pâtisseries de « tatie Yvette », parmi lesquelles on compte aussi le gâteau de patate douce et le gâteau de bananes aux raisins.
Fin du match. Le score est à 58 euros hors boissons pour deux personnes. Un brin cher.

Le Poisson Rouge est un vieux de la vieille de la restauration créole. Si nous nous fions aux nombreux témoignages que nous avons reçu, il aurait baissé en qualité. Nous préférons nous fier à notre présent ressenti après ce repas : c’était globalement bon, mais il y aurait encore des progrès à faire. Les plats nous semblent exécutés à la va-vite, pour satisfaire la demande importante côté route. En revanche les produits ont l’air d’être frais, et pas trop mal travaillés. Le désastreux rougail boucané a bien failli faire basculer la note vers la fourchette en inox. Le poisson seul n’a pas suffit à faire pencher la balance, heureusement que le dessert était là pour le « but en or » ! Verdict : une fourchette en argent, sur le fil.

Pour résumer :
Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
Service : correct • Qualité des plats : bons dans l’ensemble
Notre impression globale : Bonne table
Fourchette en argent

La Villa Angélique

[Visite en novembre 2012]

[à apprécier sur la Marche de Radetzky, Johan Strauss]

Saint-Denis, 20h00. Nous passons le portail de La Villa Angélique, petit hôtel-restaurant de charme de la rue de Paris, où une soirée «créole revisitée» est organisée. La belle case en bois est illuminée. Nous sommes accueillis par de charmantes hôtesses qui nous proposent un petit punch et des mignardises à grignoter : tubercules divers hachés menus et frits. Nous sommes ensuite dirigés vers la terrasse où plusieurs convives sont déjà attablés, le nez dans leur assiette ou écoutant d’une oreille distraite le chanteur-guitariste de service qui entonnera toute la soirée un best of du répertoire local, avec du Souchon, du Brassens et du Cabrel, de fameux compositeurs créoles comme chacun sait.

Oops. Nous médisons déjà, en oubliant qu’il s’agit d’une soirée créole revisitée ! Voilà pourquoi les jeunes messieurs de service sont déguisés en Antoine de carnaval ! 

[à apprécier sur Casse-noisette, Danse des Mirlitons, Piotr Illicht Tchaikovsky] 

Nonobstant le respect dû au travail nécessaire pour organiser la soirée, tout ce flonflon artificiel pour touristes habitués des hôtels étoilés un peu partout dans le monde nous laisse de marbre (excepté peut-être le sourire des hôtesses !). Nous nous installons dans un coin et attendons le pied ferme et les papilles sur les starting-block, de voir arriver les mets proposés pour cette soirée à savoir : un «ti cornet» de palmiste au Piton Maïdo (l’intitulé déjà nous fait froncer le sourcil), de la légine au gingembre mangue et ses «ravioles de Ti-Jack» et un «Mille-feuilles de magret et ananas Victoria en son gratin lontan». Pour clore le repas, ce sera une «mousse de patates douces sur biscuit des îles et glace vanille bourbon». Nous mettons en veilleuse nos ADN yab et malbar pour laisser s’exprimer davantage le charentais, histoire d’être convenablement disposés à déguster avec impartialité ces plats «zoréoles». Très vite, on nous apporte les cocktails avec la mise en bouche. Et là que faire ? Rire aux éclats ou pleurer ?

[à apprécier sur Adagio for Strings, Samuel Osborne Barber] 

La mise en bouche est constituée d’un samoussa accompagné d’une «sauce au curcuma péi». Un samoussa. Pas trois, pas deux : un, miséricorde ! L’affaire ressemble à ces tableaux d’art minimaliste qui se vendent à prix d’or chez les gens de la haute société. Minimaliste, le samoussa l’est aussi par le goût : il a un goût de friture. Point. Sa présentation suggère qu’il soit dégusté avec la sauce, et celle-ci est bonne, fort heureusement.  Quant aux cocktails, leur composition est simple : 90% de glace pilée ! Autant dire qu’ils ne nous ont apporté qu’un plaisir très limité, à part celui d’étancher notre soif.

L’entrée est très jolie à regarder mais ne nous consolera guère. Hélas. Quelle idée saugrenue de mélanger palmiste et notre très goûteux (et caractériel) Piton Maïdo ? Déjà que nous avions toussé, il y a quinze jours, sur la salade trop assaisonnée du Vieux Port. Mais là ! Ce n’est plus un mariage, c’est du viol. Foutez-lui la paix, au palmiste ! C’est un peu facile, voire grotesque, de toujours l’associer à tout et n’importe quoi pour faire «genre». Le seul détail intéressant : la capucine qui orne le plat. Deux tables plus loin, une touriste l’a mise dans ses cheveux, comme Ernestine qui, batifolant dans les champs, affichait ainsi la fleur afin de signifier à son bouillant fiancé de modérer ses ardeurs pour cause d’invasion anglaise imminente. Les assiettes sont enlevées et nous croyons sentir comme une vague odeur de fourchette en plastique… c’est de mauvaise augure. La soirée semble se réchauffer un peu. Le chanteur aborde des airs antillais. Le service a l’air de se dérouler comme du papier à musique. Les Antoines (et Antoinettes) sont efficaces.

[à apprécier sur la 5e symphonie en C mineur (pom pom pom pom !), Ludwig Van Beethoven]

Et voici le magret et la légine. Et voici la lumière. Le mille-feuilles se présente comme succession de tranches de magret et d’ananas, posées sur le gratin «lontan» : de fines lamelles de patates douces. La belle viande de canard, saignante comme nous l’avions demandé, est tendre, poivrée, goûteuse, et se mélange superbement avec l’ananas, poussant parfois la courtoisie jusqu’à le laisser passer devant. Le moelleux gratin, avec la texture légèrement poudrée de la patate douce vient calmer ces élans gustatifs et cela se traduit au palais par un équilibre savant entre le sucré et le salé et un plaisir à la mastication qui en devient presque bestial. Le verre de Chinon rouge proposé est le bienvenu.

[à apprécier sur la Suite pour orchestre BWV 1068 «Air on the G string», Johann Sébastian Bach] 

Pour sa part, la légine joue plutôt dans le registre du raffinement, de l’élégance et de la simplicité. Elle est ainsi présentée dans son plus simple appareil, nue comme Eve avant la pomme ; le gingembre-mangue se distinguant à peine, de loin en loin, pour préserver cette virginité de saveurs des mers glacées. On apprécie donc avec moult délectations la chair odorante du poisson blanc, qui se laisse glisser derrière les molaires en nous donnant des frissons (ça y est, nous sommes convertis à la légine!). Le ti-jacque est presque de trop. «Presque» parce qu’il est lui aussi sur son trente-et-un. Un brin croquant, très parfumé mais pas trop épicé, le ti-jacque rivalise avec celui de Chez Alice, à Hell-bourg, qui l’avait tantôt sauvée de la fourchette en inox. Nous louons ici le respect du produit, et eussions souhaité qu’il en fût de même à l’égard du palmiste servi en entrée comme valet de pied à un fromage trop fort pour lui. Les assiettes sont nettoyées au pain, et remplacées trois chansons plus tard par le dessert.

[à apprécier sur Les noces de Figaro, ouverture, Wolfgang Amadeus Mozart]

Encore une fois, la présentation est soignée. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que l’élément décoratif est…de la colle-pistache ! Après une prière pour notre taux de glycémie nous enfournons la nougatine, la croquons goulûment. C’est les années 70. Nous avons huit ans, et de la colle plein les dents ! La mousse de patates douce brille davantage par sa texture que par son arôme, trop subtil, surtout après la colle-pistache, mais fait merveille mélangée à la glace où la vanille se révèle dans toute sa splendeur. Le «biscuit des îles», au coco, nous semble presque de trop.  Le jeu des sensations est fort réussit et le dessert vient clore avec bonheur un repas pourtant bien mal entamé. Addition de la soirée : 103 euros pour deux personnes. Correct si on tient compte du repas, de l’ambiance et du standing, mais le rapport qualité-prix de cette soirée est «limite».

[à apprécier sur Casse-noisette, la valse des fleurs, Piotr Illicht Tchaikovsky]

La Villa Angélique mérite visite, ne serait-ce que pour ses atours. L’ambiance qui se dégage de cette maison créole entièrement refaite invite au repos et à la sérénité. Nous jugeons ici les plats qui nous ont été proposés au cours de cette soirée, qui ont le mérite de révéler le talent et la créativité de la jeune et dynamique Chef, ci-devant Kelly Jean-Baptiste. Comme quoi la valeur n’attend pas le nombre des années, et le talent non plus, du reste. Il est indubitable que si ce talent s’exprime ainsi tous les jours que Dieu fait (et à cette condition seulement, nous n’excluons pas, d’ores et déjà, une contre-visite l’année prochaine), La villa Angélique est l’une des meilleures table du chef-lieu. Mis à part quelques erreurs de concept au début du repas, le reste tient parfaitement la route, ce qui justifie amplement, pour l’heure, l’octroi à ce restaurant d’une très jolie fourchette en argent.

Pour résumer : 
Accueil : très bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : très bien
Service : très bien • Qualité des plats : bons dans l’ensemble • Rapport qualité-prix : perfectible
Notre impression globale : Bonne table
Fourchette en argent

Le Vieux port

[Visite en octobre 2012]

 

C’est par un temps de curé que, les kilomètres derrière nous, Le vieux Port nous  ouvre ses portes, dans  la fraîcheur de son petit  jardin luxuriant du sud sauvage, pas très loin de la fameuse coulée de 2007, au bord de la RN2, côté mer.

De la route, à vrai dire, on n’aperçoit presque pas le restaurant lui-même mais plutôt les tables dressées dehors sous de grands parasols. Un panneau marque l’endroit, en annonçant « We speak english », et ça c’est « a very good thing » gageons-le. Beaucoup d’autres devraient en prendre de la graine. 26 couverts attendent dehors pour l’heure. L’établissement en totalise une soixantaine. Nous sommes accueillis avec spontanéité et gaité, de la bonne vieille hospitalité créole. Nous nous installons dehors, dans l’herbe, l’endroit est un brin bucolique, et il y fait frais ; des atouts certains malgré une trop grande proximité de la nationale, où, par ces dimanches de vacance, la circulation est assez dense.

La jeune demoiselle qui nous a reçu nous apporte la carte, et des publications touristiques sur la Réunion. Attention louable à l’égard de nos visiteurs l’outre-océan. La carte nous intéresse davantage. Elle présente plusieurs variantes de salades, toutes à base de palmiste, certaines d’entre elles mélangeant les ingrédients, légumes divers et viandes, comme de la saucisse ou du boucané pour l’une, ou des camarons pour une autre. Voilà certes une initiative originale.

Parmi les plats chauds, on retrouve notre trinité porcine de rougails péi : saucisse, andouillette et boucané, plus les mêmes cuisinés au chou de vacoa, crevettes en plus ; puis du porc, du poulet et du coq au palmiste, « le dimanche seulement ou sur réservation ». Un rôti de porc au palmiste est au menu du jour, ça tombe bien !  Nous lui adjoindrons des saucisses fumées au chou de vacoa, avec une salade de palmiste « simple » en entrée. C’est parti pour les hostilités. Nous patientons en sirotant un bon petit punch maison, dans lequel nous détectons à la fois une acidité et une amertume rapellant le combava ou le citron-galet. Très rafraîchissant.

La salade de palmiste nous est déposée déjà assaisonnée. Plusieurs restaurants font cette erreur. Pensez à demander le palmiste avec l’assaisonnement à part. Souvent, et c’est encore le cas ici, le citron « tue » la saveur doucâtre du palmiste. Pour autant, la salade que nous dégustons donne de bonnes sensations en bouche, avec un croquant délicat, attestant le choix rigoureux des morceaux et une fraîcheur sans contestation possible.

Les plats chauds suivent assez rapidement. Nous constatons d’abord, à notre grand désappointement, que seuls deux morceaux de palmistes garnissent le plat. C’est peu. Dommage car ils sont  fort parfumés, souples en bouche et fondants à souhait. La viande est très équilibrée, ni trop grasse ni trop sèche. Sa texture révèle une cuisson maîtrisée, étant presque aussi fondante que son compagnon palmiste.
Les saucisses fumées au vacoa ne sont pas en reste. Juste dommage qu’elles soient coupées en lamelles trop fines, laissant l’impression qu’elles font de la figuration. Les sensations sous la dents sont limitées. Peut-être est-ce là une stratégie pour mettre en valeur le chou de vacoa, qui est savoureux : curcuma et thym relèvent son parfum inimitable, aussi fin que le palmiste, avec un croquant subtil équivalent à celui de la salade. Tout cela se mélange agréablement avec le riz et finit par exploser au palais grâce au petit (trop petit !) rougail mangue.  Un mot sur les lentilles : bien en crème, ils dégageaient comme une humeur de quatre-épice qui leur donnait du caractère, très appréciable avec le rôti.

Nous terminons, repus, avec le café, laissant les touristes apprécier le gâteau de patate douce ou le gâteau de manioc du dessert. Addition : 52 euros et des copeaux de vacoas pour deux apéritifs, une entrée, deux plats et deux cafés. Assez honnête au regard de la qualité globale.

Le Vieux port est ce genre de petit restaurant discret et charmant, qui cultive son attachement à la traditon culinaire créole en mettant en avant les produits du terroir. En l’occurence, le palmiste, et le vacoa. Un rapide coup d’oeil sur la fréquentation du lieu donne déjà une indication sur la qualité de ses plats. Cela fait huit ans que ça dure. Et la gouaille du patron, assez franco de (vieux) port, n’est certainement pas étrangère à ce succès. La qualité globale nous a paru très correcte, le travail des produits sus-nommés étant à l’évidence parfaitement exécuté, même si les quantités pourraient être sujettes à caution pour des « bons » mangeurs. Si d’aventure la météo promet du beau temps, nous vous conseillons fortement de réserver si vous désirez déjeuner “sur l’herbe”. Le Vieux port est une adresse que nous vous recommandons donc fort logiquement en lui octroyant une bien belle fourchette en argent.

Pour résumer :
Accueil : très bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : passable
Service : bien • Qualité des plats : très bons
Notre impression globale : Bonne table
Fourchette en argent

Le Zamalak

[Visite en septembre 2012]

Aujourd’hui, arrêt dans la bourgade en expansion de Saint-Gilles-les-Hauts. Suite à nos navigations sur le web, nous avions découvert le Zamalak, établissement tenu par un dénommé Doki-Thonon. Le patronyme, connu dans le milieu des gastronomes péi, nous a fait dresser le sourcil gauche, celui qui veut dire « tiens, intéressant ! ».

Ça, et le fait que l’établissement soit crédité de commentaires élogieux par des internautes visiblement contents du voyage, a fait monter la pression dans notre jauge de curiosité, et, passez muscade, nous voilà déjà attablés au Zamalak, appréciant d’un œil humide l’antique sol ciré au rouge, à la brosse coco d’Ernestine, qui la jouait « Rock around the clock » sur les bords. Un peu à l’écart de la traversante du village, l’endroit est vaste. La salle étale pour l’heure une trentaine de couverts, très espacés, un bonheur pour les enrobés (dont nous sommes), et les familles aux enfants remuants (idem). Autant de places en terrasse, à côté du comptoir. Tout cela est pour le moins coloré. Le mélange de la tradition avec ce côté « snack de plage » donne au lieu une certaine personnalité, et l’on s’y sent bien. L’accueil est au diapason : courtois, sympathique, détendu. La carte affiche des salades, quelques plats d’inspiration métropolitaine et nos caris habituels, plus deux, que nous avons rarement vus jusqu’ici au menu des établissements que nous avons visités, et que nous nous faisons conséquemment un devoir de commander : un rôti de porc et une pintade à la vanille.

En guise d’apéritif, nous nous autorisons un ti’punch, avec la mère Modération qui ne nous quitte pas d’une semelle. Nous nous l’envoyons doucement derrière la cravate, et l’odeur sucrée du rhum citronné se mélange avec celle, ambiante, du bois de la case, nous catapultant dans un passé créole pas si lointain. Il ne manque plus que le père Dédé à la radio, avec un air des Jokarys ! Nostalgie quand tu nous tiens… Les salades, posées sur une table voisine sont conséquentes. Et nos assiettes ne le sont pas moins. Ce ne sont pas tout à fait des portions pour dockers, mais pas loin.

Riz, caris, nos bons vieux pois du Cap, parfaits pour la musique de chambre qui fera plaisir à madame, et trois rougails. Tout y est. Enfin… tout, non : toujours pas de brèdes à table mes enfants ! Un gros samedi forain à Saint-Paul, et avec un marchand de légumes à deux cent mètres de là, saperlipopette ! Il faudra un jour qu’on nous explique cet embargo quasi-général sur les brèdes dans nos restaurants ! Sont-ce les prix ? La conservation ? La demande insuffisante de la part des clients ? Nos colonnes sont ouvertes à qui voudra éclairer notre lanterne. Nous attaquons.

Avant de commencer, un point : nous ne courons pas derrière la pintade. D’abord parce que ça doit courir vite, ces machins-là, et surtout parce que la viande a un arrière-goût spécial qui ne nous sied guère, mais c’est très personnel ! Pourquoi donc le préciser ? Parce que la pintade s’est avérée sympathique. A l’aspect déjà, et surtout à l’odeur. Les effluves de sauce réduite, de caramel et de fumée de feu de bois entonnent un « alléluia » dans nos narines extasiées. Le palais est aussi satisfait : viande cuisinée à la perfection, pas trop sèche. Petit os imprégnés de sauce dont nous nous délectons lentement. Morceaux de gousses de vanille que nous croquons délicatement afin d’en extraire la fine pulpe et en mélanger la saveur avec celle, parcimonieusement sucrée, du cari. Flash-back. Ernestine, jupes retroussées dans la poussière de décembre, court derrière la pintade, grand couteau à la main.

Le charme retombe un peu avec le rôti. Il était bon, doré et tout, ce serait mentir de dire le contraire, mais sans attrait particulier. Pour le coup, nous avons trouvé qu’il manquait un peu de parfum, même le persil fané dessus était éteint. La viande, pas trop sèche et aux bords moelleux, était tout de même correcte, nous présentant sa petite amertume du fond de marmite. Une ou deux gousses d’ail piquées dedans auraient fait notre affaire.

Les rougails s’en sortent pas mal, le citron devant. Il s’est bien marié avec le sucré-salé de la pintade. Le rougail tomate était acceptable. Le rougail dakatine, lui, était fade. Bon point pour les pois en crème. Le riz était un tantinet collant. On aime ou pas, sans commentaire donc.

L’addition se monte à 28 euros pour deux plats et un apéritif. Un tarif très honnête, l’un des meilleurs rapports qualité-prix de cette rubrique. Voici donc une escale intéressante et pas chère, sur la route de l’Ouest et du Sud, au lieu de vous précipiter sur la route des Tamarins bille en tête à midi tapante. Quelques tournants et vous y êtes. L’occasion de faire une pause déjeuner sympa et conviviale. Le cadre est « roots » et ensoleillé. La cuisine y est perfectible mais déjà très correcte. Un effort serait peut-être à faire sur les accompagnements, mais pour le prix, il serait inconvenant d’être trop exigeant.

Le Jamalac est un de ces fruits rares et mal aimés qui ne s’apprécie vraiment qu’à complète maturité, quand sa couleur tutoie le rouge cramoisi, si bien entendu les oiseaux vous laissent quelque chose ! Question de maturité peut-être : ce ne sera pas la fourchette d’or cette fois-ci pour le Zamalac. Celle-ci demeure toutefois largement accessible, mais en attendant, c’est une bien belle fourchette en argent que nous décernons à ce resto-midi de Saint-Gilles-les-Hauts.

Pour résumer :
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : perfectible
Service : bien • Qualité des plats : bons
Notre impression globale : Bonne table
Fourchette en argent

Ti Resto lontan

[Visite en août 2012]

Aujourd’hui, nous débarquons sans tambours ni trompettes à la Plaine des Cafres, au Ti resto longtemps, situé pile en face de la maison du volcan en plein travaux. La salle, d’une cinquantaine de couverts, est décorée très simplement. Les tables sont agrémentées de véritables orchidées en pot, pour la touche authentique. 

Nous arrivons au beau milieu d’une trouée de soleil, et la température, très supportable est tout de même assez fraîche pour nous fouetter les sangs et nous ouvrir l’appétit. Ça tombe bien, la carte, essentiellement créole, est assez engageante. Ainsi, parmi les entrées on nous propose divers gratins (pommes de terres, chouchou, palmiste, bois de songe…) et des salades variées, chaudes ou froides. La liste des plats, outre les classiques, affiche quelques préparations plus ou moins inédites comme le poulet au coco ou une poêlée de crevettes au palmiste. Le poisson n’est pas en reste avec divers plats à base d’espadon, et on y trouve du camaron cuisiné à toutes les sauces (ou presque). Nous entrons donc et sommes accueillis avec le sourire par une sympathique demoiselle, qui ramène aussitôt la carte, collée au fond de vanes. Présentation jamais vue. Un point pour l’originalité.

Notre choix se portera d’abord sur un gratin de bois de songe et un foie de volaille à la crème et au vinaigre de framboise, que suivront un poulet palmiste (précisés fermier et frais), et un cari boucané baba-figue. La salle se remplit doucement de locaux autant que de touristes, tandis que nous sirotons notre apéritif avec modération. Pour une fois nous avons choisi un porto, et nous ne le regretterons pas. Les entrées sont là au bout de dix minutes, la présentation est correcte.

Et plus que correct sera le foie de volaille ! L’affaire est chaude, délicatement parfumée (étrangement il y a comme une humeur de figue), et donne toute sa mesure en bouche : onctuosité au début, velouté à la fin. La crème où l’on devine une pointe de moutarde danse la valse avec la saveur délicate du foie sublimée par la légère acidité du vinaigre de framboise avec lequel, nous le supposons, l’abat été déglacé. Et c’est là que le fond de porto entre en scène : juste magnifique. Il s’entend avec le foie comme larron en foire. Une gorgée, une bouchée, un morceau de tomate frais à la fin pour « claquer » tout ça et nous voici souriant béatement en repoussant l’assiette proprement nettoyée.

Le gratin joue dans la même cour. La béchamel, moelleuse, délivre finement sa partition au fromage. Ce dernier n’est pas trop agressif et laisse le bâton de songe s’épanouir. On y retrouve, sur la fin, en pointillé, le goût de fumé un peu âcre du légume qui donne au plat toute sa personnalité.

Un peu d’eau (que nous devons réclamer) pour rincer tout ça et calmer les papilles, quelques minutes d’attente, puis les caris arrivent, servis à l’assiette, excepté le rougail de courgettes et les grains blancs. Les portions sont correctes. Quelques brèdes viennent donner une touche de vert, mais il semble qu’elles ne soient là que pour la couleur, car en trop petite quantité.

La couleur du poulet, elle, est satisfaisante, ainsi que son fumet. Le premier coup de dent confirme la qualité « fermière » annoncée sur la carte, mais révèle aussi une chair trop blanche et plutôt sèche dans l’ensemble. Fort heureusement, le cari est parfaitement exécuté, tant dans son aspect que par l’odeur qu’il dégage. Et si la texture pêche un peu, le plat reste très bon, avec ses morceaux de palmistes goûteux et d’une légère acidité.

Enfin, le boucané baba-figue fait merveille. Point d’acidité ici, dans les bouchées de baba : cool ! La fleur de bananier en fines lamelles s’emmêle et fond lentement sous la dent. Le boucané, très équilibré pour ce qui est du gras, a distribué généreusement son parfum au fond de la marmite pour ce mariage réussi avec le baba, tout à fait dans la grande lignée de la tradition créole. Sur ces hauteurs chantantes du Sud, on entendrait presque la mère Turpin, Ethève ou Dijoux hurler de la case : « Ernestiiine ! » « voui ma mèèère !» « allé rode baba dan’ fond pou câri onze heeeure ! Et trap-lo-lave-riz-casse-bois-allume feuuuu ! » On se réveille. Les desserts. Finissons en beauté ce repas. Se sera crème brûlée et gâteau ti son. Une crème brulée flambée au vieux rhum, tiède, délicate, douce comme une fiancée de huit jours enchantera notre palais. Le gâteau ti son est dans la lignée du baba ci-dessus dégusté : conforme à la tradition, c’est à dire succulent mais étouffe-chrétien. Cela a été parfaitement atténué par la présence de crème et de chantilly : c’est bien vu ! Addition : 50 euros pour deux personnes, hors boissons. Nous repartons repus et satisfaits.

Le Ti’Resto Lontan affiche clairement son attachement à la tradition culinaire créole « au feu de bois » et ce n’est pas de la publicité mensongère. Même si tout n’est pas encore parfait, (une volaille « la cour » nourrie au maïs et autres produits naturels aurait été la bienvenue) le moins qu’on puisse dire est qu’on s’y régale. Le chef ne se contente pas de respecter ses classiques, il innove aussi, par légères touches, prudemment. Ouvert depuis un an et demi, Le Ti’ Resto Lontant, s’il n’en a pas l’air extérieurement en revendique en tout cas l’esprit, et nous l’y encourageons fortement en lui décernant une jolie petite fourchette en or !

Pour résumer :
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : très bien
Service : très bien • Qualité des plats : très bons
Notre impression globale : très bonne table
Fourchette en or 

Le Temps des mets

[Visite en août 2012]

Aujourd’hui, nous mettons les pieds sous la table d’un restaurant gastronomique, ou en tout cas qui l’affiche comme tel  : «Le temps d’mets» à Saint-Denis, rue du Général de Gaulle. Installé en lieu et place d’un ancien restaurant chinois, et refait à neuf, il fait l’angle avec la rue Jules Auber. Sur sa devanture on peut y lire «  nouveau chef disciple d’Auguste Escoffier  » (vous m’en direz tant  !) et la formule du midi à 20 euros.

La salle, grande et parfaitement insonorisée – nous sommes très près de l’une des artères de Saint-Denis – est sobrement décorée, dans un style tendance dépouillé bleu caca d’oie. Nous sommes accueillis princièrement par un personnel souriant et très attentionné.

La carte fait la part belle… au vin  ! Amateurs de ce breuvage érigé en monument de la gastronomie française vous serez servis  : quatre pages vous proposent pas moins de 29 bouteilles, et pas du gros rouge qui tache, s’il vous plait… mais pour la modération, tout seul ou en couple, il faudra vous contenter d’un service au verre. Point de demi-bouteille à la carte (excepté une). Donc tarif plein pot quasi obligatoire. Pour ce qui est des plats, des entrées au dessert, on est clairement dans une tendance métropolitaine avec quelques plats locaux dans les suggestions du chef, sur lesquels nous fixons notre attention. L’ambiance est détendue. Les quelques clients déjà présents n’ont pas le petit doigt en l’air, mais nous croyons reconnaître un «  gros  » patron de la place aux entournures laissant présager d’un penchant certain pour la bonne chère. C’est encourageant.

Hum… (prendre la voix d’Edgar dans les «  Aristochats  ») nous commencerons par un «  croustillant d’espadon et légumes grillés à l’huile d’olive vanillée et tamarins  » (affiché «  dorade  » sur la note, allez comprendre) assorti d’un «  carpaccio de magret de canard au café, marmelade à l’orange et blinis  ». Tout le reste est dans le même genre. Ce n’est plus un menu, c’est une chanson de geste.

Plus sobrement, on poursuivra avec un civet de cerf pays, affiché à 21 euros  ! Du cerf de chez Escoffier… que voulez-vous  ! Plus un sauté de bœuf au palmiste frais, 22 euros quand même, oui madame. Il a fichtrement intérêt à être bon, le cerf  ! La chasse est ouverte.

Le temps que les entrées nous soient servies, nous dégustons un excellent et très rafraîchissant jus de fruits frais, où nous identifions de l’ananas et de l’orange, l’ananas ayant été mixé avec des feuilles de menthe. Un bonheur de cocktail. Puis, arrivée de l’espadon et du carpaccio. Ce ne sont plus des entrées, ce sont des œuvres d’art. La présentation en met plein la vue. Et nous comptons, parmi nos légumes plus sautés que grillés au final, trois petits cigares de croustillants. Comme dit le créole  :   «  ben mounoir, na point pou tuer  ». (traduction : ben mon vieux, c’est pas la quantité qui va nous tuer).

Mais n’oublions pas que nous déjeunons chez un disciple d’Escoffier… nous sommes là pour gastronomiser, nous gastronomisons  ! Et les croustillants sont à la hauteur. Croûte légère, poisson parfumé et moelleux et une petite surprise intéressante avec une touche de basilic. Les légumes, pour leur part sont bons  : ti brèdes, carotte, navet et des oignons verts en déco, mais rien d’extraordinaire à priori dans «  l’huile d’Olive vanillée et tamarins  » dont les saveurs jouent à cache-cache.

Le carpaccio est délicieux mais un peu salé, et la marmelade à l’orange présente des morceaux d’ananas. Les deux mélangés trouvent un équilibre convenable, et la saveur du café soutient tout cela élégamment. Heureusement que les blinis viennent nous remplir la bouche, histoire de nous donner l’impression que nous mangeons quelque-chose. Si savoureux soit-il, le carpaccio est tellement fin qu’il n’a qu’une face, et en bouche il s’évapore  ! Et son souvenir avec.

Pause. Plats enlevés. Questions sur notre appréciation. Nous devisons avec le personnel sans ronds de jambes ni mots ampoulés. Et voici le cerf et le bœuf, présentés dans de la vaisselle originale, accompagné de riz servi dans l’assiette et de rougails tomates dans des verres où on aurait plus tendance à mettre notre bon rhum local. Pour la quantité, cela paraît juste au niveau du riz, mais le service prend les devants en nous proposant du «  rab  » si nécessaire. Du riz standard, à vue de nez, soit-dit en passant, sans parfum ni saveur, accompagné de lentilles lambda. Le civet de cerf nous surprend d’abord car… un peu trop salé. Mais cela reste encore dans les limites du tolérable, surtout en le mélangeant au riz. La chair est tendre, moelleuse ou légèrement sèche selon les morceaux, bien imprégnée du vin, lequel est très efficace pour assagir et bonifier le côté un peu «  gibier  » du cerf. La sauce aurait été parfaite si ce n’était ce sel, trop dominant. Gageons que les amateurs de sel y trouveront leur compte, mais rappelons tout de même que le sel est un exhausteur de goût, qu’il est indispensable à l’organisme mais qu’en abuser finit par tuer la saveur de l’aliment, et tuer le mangeur aussi au bout du compte, car il favorise l’hypertension. Cette petite parenthèse diététique refermée, goûtons voir au bœuf.

Le bœuf sauté au palmiste est à l’image de l’entrée au croustillant  : il veut en mettre plein la vue. Mais c’est sur-vendu, limite attrape-couillon, sur les bords. En effet, si la viande, sautée à la chinoise, dans sa sauce épaisse qui l’entoure comme une deuxième peau, fleure bon les aromates asiatiques, siave, sauce d’huitre et autre condiments exotiques… le palmiste frais a moins de goût que des pousses de bambou qui auraient pu faire l’affaire. Déjà, le palmiste en lui-même a une saveur si délicate que pour vraiment l’apprécier, il faut le manger cru, juste après avoir été coupé si possible. On ressent alors son petit côté acidulé et légèrement lacté. Dans le sauté du disciple, le palmiste, bien que présent en quantité correcte, fait de la figuration gustative. Seul son croquant présente quelque intérêt, associé à la texture un peu collante de la viande. C’est juste pour dire que c’est un plat au palmiste, et justifier le prix.

Un mot sur le rougail  : à déconseiller aux mauviettes. Débouchage de sinus garanti. Mais là encore, un peu trop salé. Nous terminons par un café gourmand et un dessert aux fraises simplement appelé «  douceur de fraise combava  » avec des fraises, acides, de la crème, sucrée, et du combava, pas trop agressif et qui tire son épingle du jeu. La coupe terminée nous laisse avec le goût de fraise en bouche et l’odeur de combava dans les narines. Pas mal. L’addition chez le disciple d’Escoffier est sévère: 103 euros, de l’apéritif au dessert, hors boissons (le verre de vin est à 9 euros !). Autant dire qu’à la carte, c’est un peu chaud.

Si la qualité globale est correcte, de notre point de vue elle ne justifie pas les tarifs pratiqués. Certes, les emballages sont jolis  : la présentation des plats est soignée et le service est professionnel, mais tout cela n’est que poudre de perlimpinpin, esbroufe, et bluff, assez pour en mettre plein la vue à la bourgeoise au premier dîner (Le Temps d’ mets, vous pensez!). C’est tout un art de faire passer de la bonne cuisine – car cest de la bonne cuisine – pour de la préparation de grand chef, tout en maitrisant les coûts pour optimiser les bénéfices. Bien sûr, c’est de bonne guerre, mais ici c’est tellement voyant que cela en devient grotesque. Point de fourchette d’or pour le Temps d’ mets. Le disciple d’Escoffier se contentera de notre fourchette en argent, et c’est déjà bien. En toute humilité il va sans dire.

Pour résumer :
Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : superbe
Service : très bien • Qualité des plats : bons
Notre impression globale : bonne table
Fourchette en argent

L’Etoile de mer

[Visite en juillet 2012]

C’est un peu par accident que nous débarquons aujourd’hui à l’Etoile de Mer, au Cap méchant. En effet, notre destination d’origine était Vincendo, mais le restaurant que nous devions tester (recommandé par un fidèle lecteur)n’ayant aucun plat créole au menu ce jour, nous avons poussé un peu plus loin. 

On ne présente plus le Cap méchant : ses vacoas, sa pelouse épaisse, sa mer d’un bleu intense, ses pique-niqueurs du dimanche, ses balades sympa et sa dame exentrique bien connue des riverains et des visiteurs qui poursuit les gens en déblatérant des insanités bibliques, ce dont, visiblement, les autorités n’ont cure. On nous accueille aimablement dans une gigantesque salle toute de bois décorée où nous comptons pas moins d’une centaine de couverts. La grande baie vitrée permet de profiter du décor, qui nous invite déjà à une belle promenade digestive.

 A la carte : rougail saucisse, cari poulet et cari canard (au feu de bois), camarons, langoustes, bichiques (congelés bien sûr) et poisson rouge (tout frais) sont de la fête. Une très nette tendance maritime donc. Nous décidons de tester le cari de poulet, plus un civet zourite, qui est en plat du jour. Inutile de préciser que le poisson et les langoustes flirtent avec les 30 euros voire plus, et que les bichiques, vendus en double portion, tutoient presque les 50 euros.

Double portion obligatoire également pour la salade de palmiste de rigueur sous ces latitudes saint-philippoises. Nous resterons sages avec des entrées plus abordables : un gratin de palmistes et des beignets de poisson. Le temps de retourner des commodités (fatiguées, les toilettes), les beignets sont là, tout chauds. Et pas mauvais, en fait, même si nous nous attendions à quelque chose de plus proche des accras, on devine le goût de poisson sous la couche de mie de pain. Ils ne sont pas trop gras, ce qui n’est déjà pas si mal. Le gratin est beaucoup mieux. Béchamel onctueuse et bien veloutée, fromage gratiné doré comme il faut, et qui, malgré son arôme tyrannique, laisse quand même le palmiste s’exprimer. De douces lamelles fondantes au fumet délicat. Pas mauvais début, voyons voir ce que nous réserve la suite. Voici venir le poulet, jaune et la zourite, en rouge foncé. Et là…patatras !

Si le gallinacée est visiblement de la race des bouffeurs de vers de terre, nourri aux galets de la cour, (fermier, donc), si l’odeur qu’il dégage s’approche de la déontologie culinaire créole 100% pure tradition feu de bois, et s’il baigne dans une sauce en raisonnable quantité, de quoi colorer le riz juste ce qu’il faut, le plat, misère, s’avère épouvantablement salé. De quoi faire marcher un hypertendu au plafond. Même le riz ne parvient pas à faire « passer » le sel. Nous nous rabattons sur le zourite. Belote, et rebelote ! Salé itou, le mollusque, et pour le coup la saveur caractéristique du civet passe aux oubliettes, adieu girofle, vin, et autre laurier. Le seul goût qui persiste est celui, amer, des épices un peu attachées au fond, relevé, hélas, par le sel. Dommage car le zourite était bien tendre. L’excentrique iconoclaste citée plus haut vient juste à ce moment nous casser les oreilles avec ses boniments. Au lieu de la repousser gentiment et de fermer la porte, le personnel, blasé, nous sort un « on ne peut rien faire».

Seul le plat de lentilles, qui sent bon le thym et l’oignon roussi nous console un peu en atténuant ce couple de salaisons. Un maigre rougail fait de la figuration. Tomates trop mûres ou trois jours de frigo, ou les deux, l’accompagnement présenté comme « pimenté » ne ferait pas peur à un palais de marmaille zoreil tout juste sevré. Au traditionnel « ça c’est bien passé ? » de fin de service nous interrogeons l’employé au sujet des éventuels émois galants du cuistot. « C’était trop salé ? » , un peu ! « Il fallait nous le dire, on aurait renvoyé les plats et servi autre chose ». Oui, on aurait pu, mais c’est trop tard !

Une crème brûlée de ce matin ou d’hier, chaude dehors, froide dedans, vient clore toute cette affaire.

Addition : 50,50 euros pour deux personnes. Hors boissons (offertes par geste commercial). Bon tarif mais nous avions jadis mangé mieux dans cet établissement.

L’Etoile de mer n’est pas une mauvaise table en soi. Ce n’était sans doute pas son jour, mais il semble quand même que la qualité des plats soit un peu expédiée. Le côté cantine y est certainement pour quelque chose, pourtant, il n’y avait pas grand monde aujourd’hui. Aucune excuse donc pour ne pas prendre le temps de bichonner les mets. Un peu de persil sur le zourite, par exemple. Un tapis de salade sous les beignets. Un autre rougail. Des brèdes (là on en demande trop!). La présentation des plats est plus que minimaliste, c’est presque un manque de respect du client. Si en plus le sel avait été mieux dosé, on aurait même chanté un cantique avec l’autre phénomène qui voit le diable partout. Diablement moyen tout cela, oui. Ce qui explique, hélas, la fourchette en inox plantée dans la carte de l’Etoile de mer.


Pour résumer :
Accueil : bien • Cadre : bien • Présentation des plats : nulle
Service : moyen • Qualité des plats : moyen
Notre impression globale : moyen
Fourchette en inox

Chez Alice

[Visite en juin 2012]

Aujourd’hui, nous voilà partis dans le cirque de Salazie, berceau des chouchous, des cascades, du pisse-en-l’air et des Sisahayes. Et c’est à Hell Bourg que nous nous arrêtons pour déjeuner. Entre les restaurants, les snacks et autres tables d’hôtes alentours, ce n’est pas le choix qui manque pour satisfaire un appétit aiguisé par l’air vivifiant de ce charmant petit village lové au creux d’une végétation luxuriante. Nous choisissons d’aller tester la table de Chez Alice, établissement connu de la place qui propose aussi des chambres.

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En passant, nous faisons connaissance avec le sieur Philippe, vendeur de légumes bon pied bon œil, qui se trouve avoir le verbe loquace en matière de chouchous ! «Comment ou aime mangé le chouchou ?»
« Ha ça ! Répond l’homme, Mi préfère le p’tit chouchou-cannette, bouilli, avec un ti grain d’sel, a là mon naffair ! Sinon vi peu mange a li avec sucre aussi. »
« Bon, et en plat ? »
« Ah, ben en daube ! Vi met in tit peu zoignon, l’ail, thym,sel, avec un peu de quatre-épices » (tiens, ça c’est original ! On va essayer!).

Après cette conversation avec Philippe, not’ bouche i fé d’l’eau. Alice, nous voici ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que le restaurant est agréable et confortable, divisé en deux grandes salles. Plantes vertes, bois, avec des tables aux napperons jaunes posent un décor accueillant.

La carte que l’on nous dépose présente les atouts touristiques du cirque, puis un menu à dix-neuf euros avec deux entrées et deux plats au choix. L’essentiel de l’offre à la carte est créole (du cari de poulet au civet de lapin en passant par le cari de poisson). Concernant les entrées : quatre salades, et trois préparations au chouchou : daube, tarte et gratin. Des samoussas et des bouchons, servis par quatre, sont aussi facturés comme des entrées, à 1,60euros ! Pas de petites économies chez Alice ! Des amuses-gueule ordinairement offerts ailleurs. Pour le prix ils auraient au moins pu faire attention à la présentation : le morceau de carambole est abîmé.

Notre choix est fait : ce sera gratin et daube de chouchou, puis cabri massalé et ti Jacques-boucané.

Le personnel s’active avec dextérité auprès des clients déjà arrivés. En attendant, nous sirotons un excellent jus de goyavier frais, qui sent encore la rosée du matin, et un « ti-punch » bien citronné qui nous rince les gencives avec modération, tutti et quanti.

Les entrées débarquent, et le bal commence…mal. La daube de chouchou, présentée à l’assiette avec quelques crudités qui font pitié est parfaitement quelconque. Nous avions pourtant levé un sourcil de satisfaction à la première bouchée, le morceau était frais et parfumé. C’était bien le seul. Les autres, coupés gros, sont un peu farineux… et sans autre saveur que celle de l’ail, et du persil haché dessus. L’ensemble est convenable mais nous nous attendions à beaucoup mieux.

Le gratin, pour sa part, est une catastrophe. C’était pas son jour il faut croire. Les morceaux de chouchous nagent le cent mètres dos dans de la flotte parsemée de béchamel sans goût. Le fromage lui-même est d’une pâleur de tuberculeux. La vague saveur de gratin est quasiment fantomatique. Y’a de la fourchette en inox dans l’air. Nous prions pour que la suite soit plus à la hauteur. Et les petites marmites arrivent (présentation pratique mais qui ne font plus s’extasier que les touristes tout frais).

Nous attaquons le cabri massalé. Première impression : nous sommes bien loin du cabri massalé pur malbar, celui qui transforme votre palais en piste de danse des épices, qui vous envahit les sinus du parfum de coriandre, de cumin, de graine de moutarde mélangées et qui vous arrachent des larmes qui sentent le piment. Non. Ici nous avons droit à la partition sage d’un massalé furtif, mais qui a gardé quand même assez de goût pour mériter son nom. Détail : une feuille de quatre-épices flotte dans l’abondante sauce en compagnie de rares feuilles de caloupilé. On repense à l’ami Philippe et sa recette. La viande est bien tendre, mais ils auraient dû nous fournir un égouttoir pour l’attraper dans la marmite ! Au final, le cari s’avère plutôt bon, mais pas extraordinaire.

Le Ti’jacques boucané arrive comme la cavalerie, John Wayne en tête, pour sauver la veuve gratin et l’orphelin massalé !

Comment dire ? Au premier humage, nous comprenons tout de suite que le plat est de haut niveau.

Notez que nous avion précisé vouloir déguster un Ti-jacques boucané et pas un boucané Ti-jacques ! On veut manger du Ti-Jacques, du vrai, du cueilli au tronc de l’arbre, du battu à la main par grand-mère avec sa bouteille d’huile de tournesol à côté « à cause de la colle ». Et là, les amis, on en a (enfin) eu pour notre argent. Les fines lamelles du fruit sont gouteuses, avec un léger arôme fumé, et fondent sous la dent. Le tout est sec comme un cari bichique, et pourtant juste assez gras pour glisser sous la langue et vous procurer un frisson de plaisir, tant et si bien que nous apprécions la dernière bouchée sans riz, « tel », en remerciant le ciel d’avoir exaucé notre prière.

La suite se résume à une tarte au coco, correcte, et accompagnée de fruits dont un quart de goyave rouge. Fin du bal : l’addition s’élève à 43 euros, hors boissons, pour deux personnes.

On n’est pas passé loin de la catastrophe chez Alice, victime, sans doute du « syndrome du touriste couillon » (l’étranger ignorant qui trouve un plat bon, quand le créole du terroir jugera le même plat moyen, parce qu’il a la culture et l’expérience nécessaires), syndrome dans lequel sont plongés jusqu’au cou nombre de restaurants ayant pignon sur rue, dont certains ont été testés ici il n’y a pas longtemps. Pas facile de recevoir tout ce monde et de garder la qualité et l’authenticité créole au fond de sa marmite. Même si certains nous trouvent un peu « durs » dans cette rubrique, nous restons conscients que le métier de restaurateur n’est pas de tout repos, quand on veut le faire bien, et avec passion. Il peut y avoir des couacs. Aujourd’hui l’excellent Ti-jacques boucané de chez Alice l’a sauvé de la fourchette en inox. Ce sera donc une fourchette en argent, pour ce sympathique restaurant de Hell Bourg.

Pour résumer : 
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : bien
Service : très bien • Qualité des plats : moyens/bons
Notre impression globale : bonne table
Fourchette en argent

Le Champ-borne

[Visite en mai 2012]

Aujourd’hui, nous allons déjeuner au Champ-Borne, situé dans la localité du même nom, à quelques encablures du Beau Rivage que nous avons testé au mois de février dernier. Le restaurant est au bord de la route, vous ne pourrez pas le manquer : un bâtiment avec des baies vitrées qui laissent tout le loisir aux convives de profiter du paysage côtier. Si on tient compte de la salle intérieure réservée en général pour les réceptions, le Champ-Borne peut accueillir 200 personnes.

A la carte, les spécialités créoles classiques, y compris le cari bichique, mais aussi quelques grillades (bœuf, agneau et canard) et des plats chinois, de quoi contenter tout le monde. Notre préférence va vers un civet de coq, et le gallinacé affiche tout de suite sa généalogie : «fermier !», et un cari de bourgeois. Un achard de chou de coco viendra nous ouvrir l’appétit. La salle extérieure, de 80 couverts, est propre mais mériterait un peu plus de décoration. L’endroit est assez vaste pour qu’on puisse déjeuner sans gêner les voisins.

L’accueil est prévenant. Nous commandons et pour patienter on nous propose le punch maison : jus de fruit et grenadine avec du rhum blanc. Un cocktail simple mais efficace car léger et pas trop sucré. L’achard est servi chaud. La température nous fait monter aux narines des effluves de safran et de cumin et nous attaquons aussi sec. Le chou de coco est très finement émincé mais reste croquant. Bien sûr, à part une légère acidité, son arôme est complètement masqué par les épices sus-citées. Il n’en demeure pas moins très agréable et rempli son office : réveiller nos papilles gustatives. C’est tant mieux, car voici venir sans tarder le civet de coq, qui a assez belle allure. Les morceaux, d’une couleur marron tirant sur le rouge baignent dans une sauce généreuse (trop peut-être à notre goût, mais certains aiment imbiber leur riz), qui nous envoie le parfum musqué du girofle.  

 Notre fourchette atteste le lignage du volatile : c’est effectivement du coq fermier. Il faut dire que nous avons semble-t-il hérité des parties charnues et la viande est un peu sèche sous la dent, mais sans exagération. La cuisse de l’animal est plus onctueuse, et son état révèle une cuisson qui a dû être longue, bien trempée dans le vin. Parlons-en justement, du vin : s’il n’est pas avare en goût, s’il a parfaitement imprégn é la viande, il demeure tout de même assez sage, laissant presque le girofle dominer. Une juste dose de sel vient équili brer le tout, et le fumet du coq nous reste dans le nez pour notre plus grand plaisir. Un plat à respirer autant qu’à manger. Une petite touche de persil aurait été appropriée.  

Pour sa part le poisson fait presque aussi bien. Les morceaux baignent dans une sauce rouge, abondante et veloutée, où chantent en canon le gingembre et le combava. Ces derniers ne parviennent toutefois pas à effacer totalement l’odeur sucrée des tomates en conserve. La chair du poisson est de bonne tenue, sa texture un peu râpeuse étant largement compensée par celle la sauce. On ne saurait trop vous conseiller d’y rajouter une petite cuillérée de piment vert «crasé» (fourni), histoire de «tuer» définitivement l’arrière-goût des tomates en boîte, sauf si, bien sûr, vous aimez ça.

Nous terminons par un dessert maison : de la confiture de pamplemousse, servie en minces lamelles, à capella. Une merveille. Les amateurs de l’agrume fermeront les yeux et apprécieront son amertume caractéristique, largement domestiquée (mais non dominée) par le sucre. Un réel plaisir physique, comme une décharge d’électricité dans la colonne vertébrale. Nous nous disons alors que l’affaire passerait bien avec un magret de canard saignant, disponible à la carte, mais accompagné de letchis. Faites-en donc l’expérience : laissez tomber l’accompagnement aux letchis (qui n’est pas de saison, en plus) et demandez plutôt le pamplemousse ! Une expérience intéressante, gageons-le ! Addition : 55 euros pour deux plats, avec une entrée et un dessert. Compte tenu de la qualité globale, c’est assez honnête.

Sur la route de Champ-Borne, voilà un restaurant sans prétention qui propose une cuisine de bonne facture. Il y aurait encore quelques progrès à faire pour atteindre la qualité de la cuisine créole authentique, telle que nous la recherchons dans cette rubrique, mais vous ressortirez du Champ-Borne relativement satisfaits, et la peau du ventre bien tendue. Libre à vous d’aller digérer avec une petite marche jusqu’à l’ancienne église en profitant de l’air marin. Conséquemment, nous attribuons à cet établissement une jolie fourchette en argent.

Pour résumer :
Accueil : très bien • Cadre : moyen • Présentation des plats : moyen • Service : très bien • Qualité des plats : bons
Notre impression globale : bonne table
Fourchette en argent